Un siècle de folie à Saint-Servais

Dans le Namurois, c’est une institution. Le Beau-Vallon fête cette année son centenaire. En un siècle, la folie n’a pas disparu. Mais les manières de la soigner ont fortement évolué…

La première patiente arrive à l’hôpital du Beau-Vallon, en 1914. Nous sommes sur une colline, à quelques encablures du centre de Namur. Pas trop près de la ville toutefois : il ne faudrait pas que les miasmes de la folie atteignent la population… Cet hôpital pour femmes a été fondé par les Soeurs de la Charité. Par souci du plus pauvre. Pour l’heure, la machine fonctionne avec des outils thérapeutiques limités.

Principal objectif : calmer les patientes. Les soeurs disposent de moyens de contention, et notamment de la fameuse camisole. Elles utilisent aussi la balnéothérapie. Le principe est simple : on plonge la  » folle  » dans un bain chaud et on la maintient à l’aide d’une planche en bois. La baignade peut durer plusieurs heures, voire toute une journée. Parfois trente jours par mois…

Malaria-thérapie et électrochocs

Le Beau-Vallon, le premier asile pavillonnaire en Belgique francophone, fête son centenaire. Pour l’occasion, il a ouvert ses archives à Anne Roekens, professeure d’histoire contemporaine à l’Université de Namur. D’ici à quelques mois, un ouvrage viendra célébrer l’anniversaire.  » Ce n’est que depuis une dizaine d’années que l’on s’intéresse en Belgique à l’histoire de la psychiatrie, explique la chercheuse. Le but est de dépasser l’étude de la médecine psychiatrique pour s’intéresser aux pratiques, au quotidien des hôpitaux…  »

Durant l’entre-deux-guerres, les traitements de choc se développent. La malaria-thérapie consiste à injecter la malaria aux patients, le choc infligé devant permettre aux patientes de retrouver leurs esprits… L’insulinothérapie, elle, implique de plonger les malades dans un coma insulinique, avant de les en sortir. Ces techniques viennent notamment en aide aux femmes traumatisées par la guerre et les bombardements.

 » Les électrochocs sont massivement utilisés dans les années 1940, note Anne Roekens. Ce traitement spectaculaire continue d’ailleurs à alimenter les représentations d’une psychiatrie « barbare ». Nous tentons cependant d’éviter les visions caricaturales et de montrer les progrès, l’humanisation. On s’aperçoit aussi que l’hôpital psychiatrique est une institution qui accueille des personnes qui ne pourraient être prises en charge ailleurs.  »

Petit à petit, le Beau-Vallon se professionnalise. Les religieuses se forment aux soins psychiatriques. Des laïcs arrivent, psychologues ou assistants sociaux. Avec l’utilisation de neuroleptiques, l’atmosphère évolue : les cris diminuent ; les médicaments rétablissent le calme… On va pouvoir commencer des psychothérapies.

En 1961, une clinique est spécialement fondée en vue d’accueillir des patientes – volontaires ! – pour des durées plus courtes. Fin des années 1970, des maisons de réinsertion voient le jour dans Namur. L’hôpital n’est plus ce microcosme replié sur lui-même, il s’ouvre sur le monde. Il n’est plus (seulement) un lieu d’internement : c’est un endroit de passage, où l’on revient de temps en temps…

Aujourd’hui, le Beau-Vallon s’engage à fond dans la réforme de la santé mentale en Belgique. De plus en plus, les équipes de soignants se rendent au domicile des patients. Les  » folles  » sont devenues des  » bénéficiaires de services  » qu’on tente de maintenir dans leur milieu social. Quant aux miasmes de la folie, dans le Namurois, il y a longtemps qu’on n’y croit plus trop…

Vincent Delcorps

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