Après le PSC ressuscité en CDH, le PRL dissous dans le MR, le FDF tente une hasardeuse réincarnation sous une autre identité. Le Parti socialiste n’est toujours pas intéressé : il préfère entretenir jalousement sa façade, classée depuis 70 ans.
FDF, de l’histoire désormais ancienne. Les jours des » Fédéralistes démocrates francophones » étaient comptés. Ce vendredi 13, terminus tout le monde descend : il ne devrait rien rester du FDF, de son appellation comme de son sigle. La fin d’une histoire, mais pas la fin de l’histoire. Le parti survivra à son changement de nom. Il en gardera la couleur, amarante. Mais pourrait se décliner en un seul mot. Jusqu’à la date fatidique, le mystère de sa réincarnation et le suspense orchestré devraient rester entiers.
Passé le cap de la cinquantaine, ce parti presque aussi vieux que la fixation de la frontière linguistique qui l’a fait naître en 1964, ressent ainsi un besoin pressant de passer à autre chose. De montrer, sous une nouvelle identité, que le combat francophone n’est plus tout dans sa vie et que d’autres horizons sont à explorer du côté de la Wallonie.
Tout passe, tout casse, tout lasse. Il faut savoir vivre avec son temps. En espérant surtout cacher le poids des ans sous un look rajeuni. Le biotope politique connaît bien ce sentiment affreux de ne plus séduire. Du nord au sud du pays, il a largement fait peau neuve depuis l’an 2000. La mue peut être douloureuse. En 2002, c’est un Parti social-chrétien vieillissant qui se crucifie pour ressusciter en Centre démocrate humaniste. La même année, le Parti réformateur libéral sacrifie la visibilité de son ADN pour se fondre dans un Mouvement réformateur conçu pour intégrer les autres composantes FDF et MCC.
En Flandre, le ravalement de façade politique s’est érigé en sport national. Du CVP au CD&V, du PVV à l’Open VLD, du Vlaams Blok au Vlaams Belang, du SP au SP.A, d’Agalev à Groen, tous se sont refait une beauté. Avec, pour cause d’implosion de la Volksunie, une nette tendance au passage à l’heure flamande, qui s’affiche désormais en toutes lettres sur plus d’une bannière : CD&V pour » Christen, Democratisch & Vlaams « , Open VLD pour » Vlaamse Liberalen en Democraten « . En ajoutant le Vlaams Belang et la Nieuw-Vlaamse Alliantie (N-VA), la droite politique se dit fière d’être flamande.
Chacun son agenda. Les FDF, eux, ne se déclareront plus francophones. Un renoncement historique. Un vrai saut dans l’inconnu. » L’effet retour d’une modification de nom pour un parti est impossible à décrypter. Le marketing électoral forme un tout « , explique François Heinderyckx, spécialiste en communication à l’ULB. Inutile cependant de nourrir de faux espoirs d’un nouveau départ. » On ne connaît aucun exemple de changement d’appellation qui ait permis à un parti de renverser la vapeur de manière significative « , relève Pascal Delwit, politologue à l’ULB, exemple à l’appui : » Le PSC et le CVP, usés par le pouvoir, traînaient leur appellation comme un boulet. Depuis qu’ils se sont rebaptisés, ces deux partis n’ont pas fondamentalement amélioré leurs performances électorales. » Au moins ont-ils pu éviter le pire, retarder la descente aux enfers.
Savoir mourir pour espérer renaître. Certains s’épargnent encore ce genre d’états d’âme et de sueurs froides. Ils résistent, malgré le temps qui passe, à la tentation du grand bain de jouvence. A 35 ans, Ecolo ne songe pas vraiment à se tailler un nouveau costume. Même si, confesse une pointure du mouvement, » dans une société où les gens zappent de plus en plus, il faut pouvoir aller à l’essentiel, annoncer plus clairement la couleur. Ecolo est à mon sens un terme daté, devenu ringard. » » Allez les verts « , ce serait plus clair ? Possible. Sauf que la triste image donnée par les Verts français et » l’effet contagion » redouté n’incitent pas à déclencher une réflexion interne.
Parti socialiste il l’est, PS il le reste
La valse des étiquettes n’a jamais fait tourner les têtes au boulevard de l’Empereur. Le Parti socialiste refuse d’entrer dans cette danse. Longue vie au PS. Un seul ravalement de façade d’envergure, en 130 ans de combat socialiste. Il remonte à 1945, lorsque le glorieux Parti ouvrier belge (POB), sabordé par les égarements de son président Henri De Man sous l’occupation allemande, ne survit pas à l’épreuve de la guerre. Le Parti socialiste belge, qui reprend alors le flambeau, ne s’est amputé que de son » B « , victime en 1978 du divorce linguistique au sein de la famille socialiste.
Le » vieux grand parti » reste fier de l’être. Fier de se dire encore socialiste et de se proclamer parti, comme on porte un titre de noblesse. C’est pourtant de moins en moins tendance : la manie est plutôt de gommer hypocritement au fronton des partis ce qui peut rappeler les beaux jours de la particratie. Le » p » comme parti s’est évanoui au CDH, au CD&V, à l’Open VLD, tandis que les libéraux francophones se sont inscrits dans le » Mouvement « , avec cette impression d’allant et de progrès qu’il est censé insuffler.
Ces contorsions amusent André Flahaut : » Un mouvement, ça va et ça vient… » La sensation du tangage et du roulis et la nausée qui peut en résulter, le ministre socialiste n’aime pas trop : » Au PS, le coeur de la centrale reste le parti, avec ses sas d’entrée. C’est ce qui fait sa force et sa puissance. » Ce qui forge le sentiment des camarades d’appartenir à » la » famille. Avec son syndicat, sa mutuelle. Et son parti bien sûr. Le PS aime ainsi s’afficher en » survivant d’une Belgique pilarisée qu’il revendique haut et fort « , pointe Nicolas Baygert, spécialiste en consumérisme politique (Ihecs, UCL).
Le Parti socialiste, un phare. Le PS, un roc. A l’aise dans ses baskets élimées. » Les hommes passent mais les valeurs socialistes restent, plus que jamais nécessaires et d’actualité « , appuie André Flahaut. A quoi bon effacer de la devanture une formule qui gagne encore ? » On n’a encore rien trouvé de mieux que « Parti socialiste » pour incarner nos valeurs de solidarité. L’ensemble des militants reste très attaché au nom du parti « , souligne Karim Ibourki, qui a repris en main la communication du parti. » Le PS a une base électorale stable, un électorat encore héréditaire « , complète François Heinderyckx. A quoi bon le brusquer par une opération cosmétique.
Touche pas au Parti socialiste : sinon, trahison !
Il faut que le parti se retrouve dans le creux de la vague électorale, éclaboussé par des » affaires » et rattrapé par ses casseroles, pour que l’idée de se racheter une conduite sous une autre identité refasse timidement surface. Mais ces mauvaises passes n’ont jamais poussé les socialistes francophones à envisager sérieusement l’irréparable. Ils n’ont jamais voulu suivre leurs camarades flamands qui, par volonté de ratisser plus large à gauche, se sont donné un nom de parti à rallonge : le Socialistische Partij Anders – Sociaal Progressief Alternatief, ou SP.A en abrégé. Cette refondation ne leur a pas vraiment porté chance.
Pas de ça au PS. La rose au poing s’est certes effacée du logo, la lettre » p » s’est graphiquement estompée pour faire moins d’ombre au » s » socialiste. Juste ce qu’il faut pour moderniser la façade, sans la défigurer. Cette façon d’entretenir sa différence de façon décomplexée conforte un profil de » survivor « . Donne un côté » vintage » qui lui va à ravir. Le bon plan ? » La composante identitaire socialiste est tellement ancrée dans la société wallonne et bruxelloise que le PS n’a pas intérêt à modifier son appellation, estime Nicolas Baygert. Jouer dans la modernité ambiante risquerait de passer pour un acte de trahison. » Ou pour un signe de faiblesse, l’aveu que le socialisme se sent mal dans sa peau. Ce que le » vieux grand parti » ne pourrait admettre ni se permettre.
Par Pierre Havaux
» On ne connaît aucun exemple de changement d’appellation qui ait permis à un parti de renverser la vapeur «