L’équipe de Charles Michel veut frapper vite et fort : nombre de ses projets de loi sont examinés ou votés dans l’urgence au Parlement. Ce qui fâche un peu le Conseil d’Etat. Mais le gouvernement n’en fait pas un fromage…
Cet avis du Conseil d’Etat n’est qu’un avis parmi d’autres « , lance, d’une voix claire, la ministre Marghem (MR) face à des députés de l’opposition médusés d’abord, déchaînés ensuite. » Je ne suis pas obligée d’en tenir compte. » Dans le dossier épique de la prolongation des réacteurs de la centrale nucléaire de Doel, le propos de la ministre de tutelle a marqué les esprits. Le Conseil d’Etat, qui sert de conseiller juridique au gouvernement, est-il vraiment comparable au premier juriste venu ? Et, du coup, le gouvernement Michel fait-il fi, plus que ses prédécesseurs, des avis de cette instance fédérale, par définition mal aimée des politiques ? Quoi qu’il en soit, il est impossible de dresser une comparaison historique des pratiques des différents exécutifs sur ce point, faute de recensement scientifique sur le sujet. » Cela a toujours existé : les gouvernements ne tiennent en général pas compte des avis du Conseil d’Etat quand ils ne leur conviennent pas « , soupire un juriste. Les avis de l’institution ne sont pas non plus à l’abri d’une instrumentalisation, tant par la majorité que par l’opposition car ils sont peu nombreux, hors cénacle politique, à prendre la peine de les lire de bout en bout.
Si le gouvernement Michel ne semble pas faire pire (ni mieux) que ses prédécesseurs en la matière, il est sûr, en revanche, que l’exécutif fédéral veut aller vite en cette première année de règne. Et frapper fort, avec des réformes symboliquement importantes.
Depuis janvier, le gouvernement a ainsi réclamé l’urgence à 26 reprises pour l’examen, par les parlementaires, de ses textes. Il a aussi demandé le vote en urgence dans 13 cas. Et non des moindres : le saut d’index, la prolongation des centrales nucléaires, la loi-programme contenant, entre autres, la taxe » carats » destinée au secteur diamantaire, le recul à 67 ans du départ de l’âge à la pension, la marge d’évolution salariale, la piraterie maritime, le statut des postes et télécoms… » D’habitude, l’exécutif procède comme cela en fin de législature, observe Jean-Marc Nollet, chef de groupe Ecolo. Mais ici, nous n’en sommes qu’au début. Le gouvernement a donc soit un problème de calendrier et du retard à rattraper, soit une volonté d’aller vite et de donner une image d’efficacité. »
Stratégiquement parlant, l’exécutif a aussi tout intérêt à prendre les mesures les plus impopulaires en début de législature, lorsque les élections sont encore éloignées et tant que la majorité est encore soudée. Avec le secret espoir qu’avec le temps, les électeurs auront oublié l’impact de ces mesures lorsqu’ils se présenteront dans l’isoloir. Certains partis – la N-VA en particulier – cherchent certainement à rassurer leur électorat en travaillant vite, sur des dossiers emblématiques. » Le gouvernement sent qu’il peut assumer une accélération historique comme celle-là « , note le député PTB Raoul Hedebouw.
Tout ce qui le freine dans son travail ou ses ardeurs est donc malvenu. » On sent bien que ni le Parlement ni les corps constitués ne doivent faire obstacle au gouvernement « , relève un député de l’opposition. Ce dont se défend l’équipe en place. De l’avis des parlementaires, le Conseil d’Etat n’est de toute façon pas visé en tant que tel. Il ne l’est que dans la mesure où il peut constituer une sorte de contre-pouvoir. Cela dit, le ministre de l’Intérieur Jan Jambon (N-VA) a tout de même revu de fond en comble son projet de loi sur la lutte contre le terrorisme après qu’il eut été épinglé par le Conseil d’Etat.
Sans aucun doute, le gouvernement soupçonne-t-il le Conseil d’Etat de ne pas lui être favorable. » Cette institution est payée pour vérifier si les nouvelles lois sont compatibles avec ce qui a été décidé par le passé, notamment lorsque la majorité était plus à gauche, rappelle Raoul Hedebouw. Du coup, le Conseil passe pour résistant. »
Si les nominations qui s’y opèrent ne sont pas vierges de toute politisation, les conseillers n’en ont pas moins, une fois en place, une réputation de parfaite indépendance. » Pas un parti n’oserait approcher un conseiller pour obtenir des faveurs « , assure un député. On observera que la N-VA ne dispose guère de relais au sein de l’institution. Et que Frédéric Gosselin, avocat au Barreau de Bruxelles et proche du Premier ministre Charles Michel, vient d’y être nommé.
Mauvaise humeur
Certes, le gouvernement n’est pas tenu de suivre les avis du Conseil d’Etat. Il peut en tenir compte peu ou prou, voire pas du tout. Mais il y a la manière… Depuis l’installation du gouvernement Michel, certains ont observé une certaine arrogance dans le vocabulaire utilisé par quelques-uns de ses membres à l’égard de l’institution. » Ce n’est pas correct de la part d’un homme ou d’une femme d’Etat de tenir des propos qui visent à décrédibiliser le Conseil d’Etat, avance Marc Verdussen, professeur de droit constitutionnel à l’UCL. On peut ne pas être d’accord avec ses avis. Mais sa manière de travailler est irréprochable. »
Le Conseil d’Etat ne cache d’ailleurs pas sa mauvaise humeur, bien plus perceptible qu’à l’accoutumée. Ainsi peut-on lire dans l’avis qu’il a rendu sur les nouveaux régimes fiscaux, dont la taxe » carats » : » Le Conseil d’Etat déplore vivement que ces nouveaux régimes fiscaux soient insérés dans une loi-programme qui fait l’objet d’une demande d’avis dans un délai de 5 jours ouvrables. Il ne lui est dès lors pas possible de remplir son rôle de conseiller juridique du gouvernement et du Parlement de manière satisfaisante, alors qu’il est crucial qu’il puisse le faire, certainement pour des régimes d’une telle importance. » Idem dans l’avis rendu à propos du relèvement de l’âge de la pension : » Ne disposant que de 5 jours pour rendre son avis, la section de législation a été contrainte de se limiter à un examen sommaire du texte concerné. La circonstance qu’une disposition du projet ne fasse l’objet d’aucune observation dans cet avis ne peut nullement signifier qu’il n’y a rien à en dire. » Et vlan !
En optant pour des réformes majeures réalisées rapidement, le gouvernement prend évidemment le risque de faire voter des textes juridiquement fragiles. Dans la foulée, il n’est dès lors pas à l’abri de recours devant la Cour constitutionnelle. Or, celle-ci est le plus souvent sur la même longueur d’ondes que le Conseil d’Etat. Et ses arrêts, contrairement aux avis du précédent, sont contraignants. Son travail sera en quelque sorte prémâché et la Cour aura beau jeu de rappeler au gouvernement que le Conseil d’Etat l’avait prévenu. » Il y a là un boulevard qui s’ouvre pour les plaideurs, relève le constitutionnaliste Hugues Dumont (FUSL). Il y aura sans doute une flopée de recours déposés. Mais ce n’est pas nouveau. »
Si la Cour recale certains textes du gouvernement, ce ne sera toutefois pas avant un an ou deux. » Le monde politique fonctionne à très court terme, pointe Marc Verdussen. Le Conseil d’Etat est là pour rappeler au gouvernement que la légitimité démocratique qu’il a acquise dans les urnes ne lui permet pas pour autant de ne pas respecter le droit. Dire : « Nous avons raison parce que nous avons été élus et toute instance qui dirait le contraire ou ferait obstacle doit être ignoré » est un peu court. La légitimité d’une équipe au pouvoir tient aussi à sa manière de travailler. Pas seulement au fait d’être élu. «
Par Laurence van Ruymbeke