Un duo détonnant

A Namur, Jacques Etienne (CDH) et Arnaud Gavroy (Ecolo) font la paire. Le tandem est né d’une alliance stratégique, quand les deux hommes se sont unis pour bouter les socialistes dans l’opposition.

Ils sont nés dans le même lit, ils sont façonnés de la même façon… C’est le couple de l’année !  » (1) Jean-Louis Close, ex-bourgmestre socialiste de Namur, ne porte ni l’un ni l’autre dans son c£ur. Mais il a peut-être vu juste en décrivant ainsi les relations qui unissent Jacques Etienne et Arnaud Gavroy. Car, entre l’actuel maïeur de la capitale wallonne et son premier échevin, il s’est noué quelque chose de très profond. Malgré la différence de pedigree : Etienne (58 ans) est un vieux briscard du PSC, relooké CDH, un politique au nez fin, et, accessoirement, un collectionneur de mandats ; Gavroy (44 ans), prof d’histoire, a découvert l’écologie dans le sillage des  » pères fondateurs « , Paul Lannoye et Philippe Defeyt. Ce curieux tandem intrigue, forcément. Au point de parfois éclipser le partenaire MR, le plus petit des trois partis de la majorité. Alain Detry, échevin libéral de l’Environnement, s’en agace :  » Mais pourquoi parlez-vous d’un duo ? Je ne suis pas d’accord… Jacques Etienne et Arnaud Gavroy ont fait front lorsqu’ils étaient dans l’opposition, mais ce n’est pas une raison. Namur est dirigée par une vraie tripartite, pas par deux hommes !  » Pas faux. Si la majorité est parvenue à boucler son budget, elle le doit d’ailleurs, en grande partie, à l’échevine des Finances, Anne Barzin (MR).

Et pourtant, à Namur, la paire Etienne-Gavroy est une réalité incontournable – insubmersible, affirment certains. Jusqu’il y a deux ans, ces deux-là n’étaient que des conseillers communaux qui ferraillaient ensemble contre la majorité socialiste-libérale. Le tandem prendra forme en même temps que l’affaire Sotegec. Pour rappel : en mai 2006, Publi-Namur puis Vers l’Avenir s’indignent du coût et du nombre de marchés publics raflés par le bureau d’études Sotegec, où la compagne de Bernard Anselme (alors bourgmestre) est aussi administratrice. En pointe sur ce dossier, Arnaud Gavroy revient régulièrement à la charge, avec pugnacité, au point de faire vaciller Anselme. Fin stratège, Jacques Etienne comprend rapidement que l’affaire Sotegec peut sceller le sort de la majorité. Il fait cause commune avec Gavroy et, jusqu’aux élections communales, l’un et l’autre conjuguent leurs efforts pour évincer les socialistes. Bingo ! Le PS sort ratiboisé du scrutin d’octobre 2006. Et les scores personnels sont sans appel : 7 560 voix de préférence pour Etienne, 5 984 pour Gavroy, 4 278 pour Anselme et 2 873 pour le libéral Bernard Ducoffre.

Jacques Etienne hérite du maïorat, Arnaud Gavroy s’adjuge le premier échevinat, aux compétences stratégiques (urbanisme, aménagement du territoire, politique foncière, énergie, Citadelle).  » Sans lui, je n’y serais pas arrivé. Sans moi, il n’y serait pas arrivé, analyse Gavroy. Une forme de respect mutuel en est née. On peut presque dire d’amitié. Mais, l’amitié, vous savez, en politique… « 

Depuis leur accession au pouvoir, la complicité entre les deux hommes ne s’est jamais démentie. Ils se disent tout.  » Mais vraiment tout !  » insiste Gavroy.  » Ce type a du c£ur. Quand il dit quelque chose, il le dit avec conviction. Bref, on s’entend bien… « , complète Jacques Etienne. L’un et l’autre se retrouvent également sur la même longueur d’onde lorsqu’il s’agit de resserrer les boulons à tous les étages : rigueur budgétaire, réglementation plus stricte sur la consommation d’alcool en rue, exigence accrue envers les travailleurs de l’administration, et sans doute plusieurs licenciements parmi le personnel communal. Et quand quelque chose ne tourne pas comme ils le voudraient, ils tombent souvent d’accord pour rejeter la faute sur… la précédente majorité.  » Il y a chez eux un côté terriblement agressif, voire revanchard. Ils feraient bien de se rendre compte qu’ils sont dans la majorité, et plus dans l’opposition « , accuse Valérie Déom, conseillère communale socialiste.

Plusieurs observateurs voient en Arnaud Gavroy bien plus qu’un vice-bourgmestre, tant son pouvoir paraît étendu. Une illusion d’optique, car Etienne garde la main, mais elle est alimentée par le fait qu’en matière d’urbanisme la rupture avec la majorité précédente est particulièrement visible. Bernard Anselme s’attachait à renforcer l’image attrayante de Namur auprès des promoteurs immobiliers, alors que Gavroy s’est empressé de bloquer le projet de construction d’un centre commercial à Rhisnes, en périphérie.  » A quoi ça sert d’implanter un Cora loin de tout, qui fera crever l’AD Delhaize de Belgrade et d’autres magasins proches du centre-ville, et qui obligera tout le monde à faire ses courses en bagnole ? C’est débile comme idée !  » Désormais, la plupart des promoteurs désireux de s’implanter à Namur sont éconduits sans ménagement. Tel entrepreneur flamand, qui s’attendait à ce qu’on lui déroule le tapis rouge, a tiré une drôle de tête quand il s’est entendu dire :  » Vous venez de Courtrai ? C’est une belle ville, n’est-ce pas ? Eh bien, Namur veut rester une belle ville ! « 

 » Il faut éviter d’effrayer les investisseurs « 

L’opposition, elle, ne ménage pas ses critiques.  » Ces dernières années, on a mené une politique de développement économique, soutient Eliane Tillieux, conseillère communale PS. Alors, oui, ça fait un peu mal parce que d’anciens quartiers n’existent plus et renaissent sous un autre modèle. On perd peut-être en authenticité… Mais, à un moment, il faut mettre le sentimentalisme de côté et regarder la réalité en face. Si on continue à dire systématiquement non aux lotissements et au développement commercial, je crains pour la survie d’emplois à Namur.  » Même au sein de la majorité, certains manifestent des réticences devant la radicalité de la croisade entamée contre la spéculation immobilière.  » J’ai été le premier à dire, au sein du MR, que Namur devait digérer son urbanisme, expose ainsi Alain Detry. Par contre, je ne tirerai jamais aucune gloriole du fait que les investisseurs quittent Namur, comme d’autres peuvent le faire. Il faut éviter d’effrayer les investisseurs en leur faisant croire que plus rien n’est permis à Namur, sauf rouler à vélo.  » Ne comptez pas sur Jacques Etienne, en revanche, pour décocher la moindre flèche à l’égard de son compère. Il peine d’ailleurs à répondre lorsqu’on lui demande quelles sont leurs différences idéologiques :  » Pfff… Faut que je réfléchisse. Non, je n’en vois pas. Ah si, peut-être que, budgétairement, je suis un peu plus sévère que lui. Mais c’est tout. « 

La complémentarité des deux hommes se manifeste jusque dans leurs défauts. En résumé, et selon leurs détracteurs, Gavroy serait trop froid, Etienne trop chaud.  » Gavroy est quelqu’un d’hyper-brillant, certes, mais quelle arrogance ! lance la socialiste Myriam Gourdange. S’il n’était pas constamment persuadé de posséder la science infuse, ce serait plus efficace pour les Namurois et moins déplaisant pour ceux qui travaillent avec lui.  » Pour un peu, on reprocherait tout juste l’inverse à Jacques Etienne. Son  » manque de retenue  » (dixit un membre de la majorité), son humour gaulois et potache agacent parfois. L’homme se rattrape toujours par un  » c’était pour rire « , mais certaines militantes et journalistes locales en ont manifestement assez de ses blagues salaces. Histoire de modérer les uns et les autres, sans doute, un cochon-tirelire trône désormais sur la table lors des réunions du collège échevinal. Et chaque dérapage verbal est passible d’une amende. Et qui a contribué le plus à engraisser le cochon ? Jacques Etienne, talonné par Arnaud Gavroy. Ouf, la hiérarchie est respectée…

(1) Jean-Louis Close, cité dans Pan, le 27 mars 2007

F. B.

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