Dans les années 1980, il lui promet qu’ils graviront ensemble les marches de l’Assemblée nationale. Elles se sont transformées en tremplin. Au moment où Nicolas Sarkozy entre au palais de l’Elysée, son épouse, Cécilia, refuse d’être une première dame comme les autres. C’était, pour lui, le combat d’une vie. C’est, pour elle, le risque d’un destin.
Il manquera toujours une voix à cet homme. Celle de sa femme. Cécilia Sarkozy n’a pas voté pour son mari le 6 mai. Elle n’a pas voté du tout, même par procuration – en attestent les listes d’émargement consultées par Le Vif/L’Express le 9 mai. Aussi absente ce dimanche qu’elle était présente le 22 avril. Ce jour-là, les caméras et les appareils photo n’avaient d’yeux que pour elle et ses deux filles, entourant le futur président à la sortie de l’isoloir. Impeccable mise en scène familiale.
Longtemps, Cécilia Sarkozy a rêvé d’une autre vie. Ce chemin de traverse, loin des ornières boueuses de la politique, elle en a découvert l’étrange douceur en 1995, après la déroute électorale d’Edouard Balladur et la mise à l’index de Nicolas Sarkozy. Elle essuie avec lui les crachats des militants qui le huent, » Sarko, salaud ! « , elle écarte les démons des jours de doute. » On a été heureux « , dit-elle lorsqu’elle évoque ces années de disgrâce. Aujourd’hui, jusqu’à la fin, elle a retenu sa main : ne pas pousser avec les autres la grille dorée de l’Elysée qui se referme sur son rêve. Avec cette mélancolie qui, parfois, teinte de gris les plus grands bouleversements, elle s’est tenue en retrait, observant de loin le destin qui prenait forme. Au QG parisien de la rue d’Enghien, un peu avant 18 heures, quand Nicolas Sarkozy reçoit l’appel décisif d’un institut de sondages et lâche » minimum 53 % « , elle n’entend pas. Il le lui dira, au téléphone. A cet instant, elle n’est pas avec lui.
Elle a choisi qui dînerait au Fouquet’s… mais n’y vient pas
Absente ? Présente ? Cécilia a personnellement dressé la liste des personnalités conviées à rejoindre le premier étage du Fouquet’s, luxueux restaurant parisien où ses amis célèbrent la victoire de Nicolas Sarkozy. Les hommes politiques y sont rares et pas forcément les bienvenus : le ministre des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, toujours empressé, n’est pas autorisé à se joindre aux intimes. Mais Madame elle-même n’assiste pas au dîner. Elle n’écoute pas son époux rendre hommage à son équipe. Elle ne l’écoute pas non plus saluer la mémoire de sa mère, Diane Albéniz, petite-fille du compositeur Isaac Albéniz, morte il y a plusieurs années déjà. Cécilia Sarkozy apparaît enfin, vers 23 heures, pour accompagner le président tout juste élu place de la Concorde. Elle monte à ses côtés sur l’estrade, salue une foule qui les acclame. Retenue jusque dans ses souriresà Aucune des photos prises ce soir-là ne la montre exultant, portée par la liesse de la victoire. Une étreinte, une caresse, un baiser témoignent à peine d’une émotion partagée.
Présente ? Absente ? Une escapade en famille au large de Malte, improvisée, est sans cesse bouleversée. Il faut à peine quarante-huit heures à Nicolas Sarkozy pour qu’il renonce à n’être pas lui, président surexposé et surchargé. » Je pense qu’avec tout ce qu’a subi ma famille je me devais d’être avec elle le plus tranquille possible « , tente-t-il d’expliquer pour répondre à la polémique déclenchée par ses vacances fastueuses sur le yacht de l’homme d’affaires Vincent Bolloré. Ce ne sont pas les jours qui lui sont comptés, c’est la richesse dont il a profité : aux yeux des Français, l’apparat républicain sied mieux à l’homme d’Etat que le Jacuzzi sur le pont du Paloma. L’illusion d’une existence où tout serait luxe, calme et volupté se brise en mille éclats au bord du tapis rouge qui conduit à l’Elysée.
Absente ? Présente ? En quatre mois, Cécilia Sarkozy n’est passée qu’une dizaine de fois dans son bureau du QG, une pièce qu’elle partage avec d’autres conseillers à côté de celle qu’occupe le candidat. Elle a été vue – entraperçue, plutôt – le premier jour de la campagne, le 14 janvier, à un congrès d’investiture dont elle a réglé les moindres détails. Le décor, la musique, la scénographie du sacre organisé porte de Versailles, c’est elle, qui refuse pourtant de monter sur scène, préfère s’asseoir au huitième rang entre ses filles et les fils de Nicolas Sarkozy. Le 29 avril, elle convainc toute une série de personnalités d’assister au grand meeting parisien de l’entre-deux-tours, à Bercy. Et décide, elle, de ne pas en être, au grand désarroi des organisateurs, qu’elle n’avertit qu’à la dernière minute. Louis Sarkozy a eu 10 ans la veille ; sa mère a organisé un goûter d’anniversaire dominical pour son fils et ses copains, avant d’emmener les enfants jouer au foot.
Depuis que Nicolas Sarkozy s’est déclaré candidat à l’investiture, le 30 novembre 2006, son épouse a un avis sur tout sans apparaître sur aucun organigramme officiel. On ne la voit pas, mais elle est partout. On la dit en Italie, à Londres, à Miami. La voici qui surgit sur papier glacé, au détour d’un article, d’une photo. Cette femme est une flamme, insaisissable, incontrôlable. La part » non négociable » de Nicolas Sarkozy, il l’a dit lui-même, engagée à ses côtés avec une liberté dont, plus que tout, elle veut rester seule juge. » Elle a compris qu’on est mille fois plus puissant quand on est absentà « , voulait croire un conseiller à quelques jours du premier tour.
Et s’il se trompait ? S’ils se trompaient tous, ces hommes qu’égare une quête effrénée du pouvoir ? Et si l’équilibre de Cécilia Sarkozy ne tenait qu’au battement d’un cil, un souffle, le pur désir d’être heureuse ? » Il ne faut pas de tout pour faire un monde, il faut du bonheur et c’est tout « , écrivait Eluard. L’histoire du couple Sarkozy, telle qu’ils l’ont si souvent donnée à voir, c’est un coup de foudre, une passion qui tient tête aux conventions, l’amour à faire pâlir les midinettes. Elle, déjà mère de deux petites filles, qui » prend ses poussins sous son bras » pour suivre celui qui doit être l’homme de sa vie. Lui, presque vingt ans plus tard, prêt à tous les excès pour la reconquérir, la séduire encore. Le plus amoureux des deux, peut-être, mais aussi le moins disponible, si loin de ses envies à elle d’échappées belles, emporté dans le tourbillon de la fonction. Avec Nicolas Sarkozy, Cécilia a cru en un homme qui, au fond, ne sait croire en rien qu’en la politique. Ce n’est pas une question de sentiments, juste l’ordre des priorités.
Elle a aimé, avant, la mise en scène, les projecteurs, cette symbiose sans pudeur, son couple étalé à longueur de papier. Elle a aimé la vie facile, la puissance, la reconnaissance. Elle s’est sentie chez elle entre les murs des ministères – » Nos premiers dîners à quatre furent un peu particuliers, note Jean-Pierre Raffarin dans La Dernière Marche (Grasset). Quand nous vous recevions rue de Varenne, Anne-Marie et moi avions parfois l’impression d’être des usurpateurs qui vous invitaientà à votre table. »
Cécilia Sarkozy a aimé partager avec son mari cette ivresse du pouvoir, au point d’avoir songé elle-même à se lancer dans la bataille électorale : lorsque Nicolas Sarkozy renonce à être tête de file de l’UMP aux élections régionales de 2004 en Ile-de-France, le couple envisage qu’elle figure sur la liste conduite par Jean-François Copé. » Elle prend bien la lumière, non ? » La décision est prise. Elle va annoncer sa candidature. Une participation à l’émission de Marc-Olivier Fogiel On ne peut pas plaire à tout le monde est programmée. Puis annulée. De la même manière, il pense à elle pour lui succéder à la mairie de Neuilly. Ce sera non. Décidément, Cécilia Sarkozy n’appartient pas à ce monde-là, n’en a ni le goût ni le pas. La brutalité d’un jugement la déstabilise, les critiques lui sont insupportables. Quand Jacques Chirac exécute Nicolas Sarkozy à la télévision, le 14 juillet 2004, l’homme dira : » Cécilia n’a pas aimé cette séquence, parce qu’elle est sensible. L’Elysée l’a fait exprès. » Elle est blessée, il est touché – » Elle est ma force et mon talon d’Achille « , confie-t-il.
En 2005, d’un coup, elle paraît saisie par l’ampleur du désastre, la noirceur des ambitions qui corrompt tout, les contraintes imposées dans cette aventure qui n’a plus rien de privé. Personne, dans cet univers qu’elle exècre autant qu’il l’a comblée, ne trouve grâce à ses yeux. Elle sait très précisément ce dont elle ne veut pas, sans savoir exactement ce qu’elle veut : un autre homme, un autre pays – une autre vie, peut-être ?
» Je l’ai dans la peau « , lance-t-il un jour à sa mère
Elle n’a pas le c£ur assez épais, Mlle Albéniz, née usée par une grave malformation et opérée à l’âge de 13 ans. Elle a détesté voir en couverture des journaux une aventure qu’elle aurait aimé vivre sans entrave, libre, anonyme, en oubliant qu’elle s’appelait Sarkozy. Elle a souffert que certains collaborateurs de son mari, en son absence, la qualifient de » folle » auprès des journalistes, mettent en cause ses raisons, dissertent sur ses sentiments. Elle n’a pas oublié, pas pardonné. Des proches du président sont convaincus qu’elle s’opposera à leur présence au Palais, comme elle les a biffés des listes pour la réception qu’elle a donnée le 22 avril au soir. Comme elle les a, ils en sont aussi persuadés, écartés de l’équipe de campagne, en décembre 2006, pesant sur les choix de son mari pour promouvoir ses alliés et écarter les plus hostiles. » Elle est la seule qui puisse lui dire qu’il se trompe « , confirme un membre de son entourage.
Nicolas Sarkozy tient à cette femme plus qu’à lui-même – » Je l’ai dans la peau « , lance-t-il un jour à sa mère, que surprend leur relation tumultueuse. Mais il est tout entier porté par la conquête de la fonction suprême, quand elle cherche n’importe quel moyen d’y échapper.
Depuis juin 2006 et sa réapparition au côté de son mari, elle rêvait d’attention, de discrétion. Elle voulait une vraie vie, en marge de l’action publique. Un an plus tard, elle qui avouait » être sortie du cadre « , la voici première dame de France, soumise au plus strict des protocoles. Prisonnière d’un rôle où elle n’a pas droit à l’erreur. Plus exposée que jamais à voir ses moindres gestes épiés, scrutés, commentés. Elle avait prévenu, pourtant, dans un entretien accordé en mai 2005 au magazine Télé Star, qu’elle ne se voyait pas en First Lady : » Cela me rase ! Je ne suis pas politiquement correcte, je me balade en jean, en treillis ou en santiags. Je ne rentre pas dans le moule. » Attend-elle alors de Nicolas Sarkozy qu’il renonce à l’ambition d’une vie ? Et qu’espère-t-elle, lorsqu’il lui prend d’espérer, au moment où s’ébauche un monde nouveau ?
Cécilia Sarkozy n’aura pas l’abnégation d’une Bernadette Chirac, avec laquelle elle a déjeuné récemment, ainsi que l’a révélé Le Figaro. Elle n’a pas non plus sa patience, ni son respect des convenances. Les deux épouses partagent d’avoir toujours prôné l’apaisement entre leurs conjoints, mais l’une ne succédera pas à l’autre dans la fonction de femme de président.
C’est l’unique certitude des rares amis qui ont discuté avec Cécilia de l’après. » Il ne faut pas l’imaginer dans un premier rôle « , avance un proche. » Elle voudra avoir sa vie, son autonomie, plutôt que subir toutes les charges de la tâche « , indique un autre. Quel est le sens d’un combat auquel on ne croit pas ? Cette aventure, Cécilia et Nicolas Sarkozy en ont écrit toutes les premières pages ensemble, avant qu’elle s’en détache, et puis qu’elle y revienne, qu’elle s’en éloigne encore avant d’y retourner. La victoire lui comprime l’âme comme un papier qu’on froisse.
C’est quand il ne parle pas de Cécilia qu’il en parle le mieux
La vie est trop courte, et son c£ur trop fragile. Ce que Cécilia Sarkozy souhaite aujourd’hui à son mari ? » Qu’il ose un peu de douceur « , répond-elle à Ghislaine Ottenheimer dans Le Sacre de Nicolas, publié au Seuil. La douceur ! Voilà bien le premier sentiment qu’il faut fouler aux pieds pour s’imposer en politique. Elle le sait – depuis vingt ans qu’elle accompagne l’ascension de Nicolas Sarkozy, elle en a vu, des ennemis défaits, des victoires de brutes. Le pouvoir bronze ce qu’il ne brise pas. Plus on est exposé, plus on apprend à se dissimuler : quelques heures après avoir découvert que sa femme se trouve à Pétra, en Jordanie, avec un autre homme, Sarkozy reste de marbre quand François Fillon, sur le tarmac d’un aéroport, lui lance : » Je file, je pars à Pétra pour un colloque ! » Sans que le sénateur sarthois se doute un seul instant du drame intime que traverse son interlocuteur. Ce 21 mai 2005, le futur président, sans jamais aborder le sujet qui le tue, se met pourtant à nu, ôtant sa veste, sa cravate et sa chemise dans l’avion qui le ramène de Redon à Paris. Il devise sur la vie, philosophe sur la mort : » La vraie condamnation de l’homme, ce n’est pas la mort, c’est l’impuissance. » C’est quand il ne parle pas de Cécilia que Nicolas Sarkozy en parle le mieux.
Depuis l’été 2005, la chronique de leurs aléas conjugaux alimente la rubrique » couple » des magazines, ombre privée portée sur l’homme public. La frontière est mouvante, qui cherche des justifications personnelles aux actes du chef de l’Etat. Pour la première fois, deux époux fragilisés par l’antagonisme de leurs désirs et une volonté partagée d’accomplir leur(s) destinée(s) s’installent à l’Elysée. » Elle est ma force et mon talon d’Achille » – déjà, les arcs se tendent vers le point vulnérable. Il suffira d’un trait pour le toucher. l
Elise Karlin et Eric Mandonnet