Un bon bol d’art façon Beaufort 2015

Du Zwin à La Panne, dessins, sculptures, photographies, installations, vidéos et cabanes en tous genres ont été disséminés dans les rues, sur les plages et dans trois parcs naturels. Prenez l’air tout en découvrant les nouveaux talents de l’art contemporain.

On a connu des saisons Beaufort spectaculaires avec des oeuvres signées par des artistes de grand renom. Pour sa 5e édition, le festival – titré Buiten de grenzen – opte pour le jeu et l’expérimentation avec une trentaine de talents, dont certains très jeunes. Tout le long de la côte, le collectif A Dog Republic, un groupe de plasticiens rassemblés autour du célèbre architecte et activiste des années 1960 Yona Friedman, propose des interventions (parfois avec la complicité du public) visant à éveiller la curiosité, l’imagination et la réflexion. Chacun peut ainsi, au fil de ses découvertes, se raconter des histoires dont  » la licorne  » – sa présence se répète en différents endroits et sous différentes formes – pourrait être une des principales héroïnes.

En réalité, la promenade sur le sable, les digues et dans les rues dissimule des pièges à rêve sur lesquels on tombe souvent  » par hasard « . Voilà sans doute l’esprit de ce Beaufort 2015 dominé par la pensée de Friedman qui aime rappeler que son principal guide intellectuel fut d’abord son chien parce que ce dernier  » passe sa vie à improviser « .  » Personnellement, dit-il, je préfère considérer l’exposition d’une collection (NDLR : le musée) comme un lieu de divertissement, où l’on peut se promener, s’asseoir, parler, manger. Dans ce cas, les objets ne sont pas les seuls motifs de votre présence, vous appréciez simplement leur présence à votre manière.  » Nous voilà prévenus. Aux côtés de ces  » objets  » essaimés et parfois éphémères qui, au fil des semaines, seront pour certains renouvelés, le visiteur peut aussi compter sur trois expositions construites, sous forme de jeu de piste, aux abords de Knokke, dans la réserve naturelle du Zwin, non loin de l’aéroport d’Ostende, dans le domaine provincial de Raversijde et, enfin, à La Panne, dans le parc De Nachtegaal.

Tout commence dans les sous-bois du Zwin

Attention, l’accès traditionnel par la route (désormais interdite à la circulation) ou la piste cyclable ne mène qu’à un chantier de construction fermé à tout passage ! L’accès se fait plutôt par la digue. Une promenade de deux kilomètres à pied (si on abandonne sa voiture dans le parking) ou à vélo pour apercevoir, mais inaccessible, la première oeuvre : un pavillon dédié aux oiseaux dont l’aspect évoque un gribouillis. On apprend que son origine n’est autre que la transposition en 3D de dessins et prototypes architecturaux du groupe A Dog Republic.

Après avoir traversé dunes et bois, on accède à la cabane graffiti et bureau d’accueil qui marque le début de l’exposition. Et tout commence avec une guirlande colorée offerte comme un cadeau de bienvenue aussitôt suivi par l’apparition des plus étranges d’un  » meuble  » noir affichant le score d’un match… de cricket. Le Britannique Mark Wallinger, qui ancre ce marquoir, indispensable appendice des matchs de cricket, en avant-plan des étendues du Zwin, s’interroge depuis plus de vingt ans sur les us et coutumes (populaires et religieux) de son pays. Donc, sur ce sport traditionnel qui, avec l’expansion coloniale de l’Empire, s’est largement répandu dans le monde. Or, un chercheur a récemment exhumé un manuscrit datant de 1553 qui livre le lieu de naissance de ce sport : la Flandre. Il n’en fallait pas davantage pour troubler au plus profond le chauvinisme d’outre-Manche et offrir, accessoirement, au plat pays, une fierté supplémentaire.

Plus loin, on remarque plusieurs cabanes. Devant l’une d’elles, une pièce du collectif Clairefontaine, les mots  » War  » et  » Warm  » apparaissent successivement en lettres en néon rouge et bleu. Si certaines oeuvres renvoient à l’esprit de la sculpture minimaliste et qu’une autre, via l’art vidéo, interroge l’enfermement (un film réalisé dans le centre psychiatrique De Wissel aux Pays-Bas par Domenico Mangano), le moment fort, procuré par Matias Faldbakken, se loge dans une pièce oblongue qui sert d’observatoire surélevé dominant toute l’étendue du site naturel. Ici, les plus audacieux franchiront le seuil afin de s’approcher des ouvertures ménagées. Mais alors, ils marcheront sur des milliers de douilles tapissant le sol. Les autres resteront sur le seuil, évitant de piétiner  » une oeuvre d’art  » ou préférant le chant du vent et des oiseaux au bruit de verre brisé que ce sol miné provoque sous les chaussures.

De retour sur la digue, l’aventure se poursuit. A Knokke d’abord (un immense tapis urbain) mais surtout à Blankenberge, où une monumentale et fragile construction en fer s’est posée par-dessus le dernier brise-lames. Faite de cercles de fer soudés les uns aux autres à la manière, ici encore, d’un gribouillis en partie submergé par la marée. Ce faisant, à chaque passage de la mer, le sel mord davantage les tracés qui, dans le même temps, se voient colonisés par des éléments naturels, algues et coquillages, bouteilles en plastique et autres rejets. Non loin, sur la jetée, des licornes géantes préparent d’autres récits. Des licornes qu’on trouvera aussi ailleurs, comme à Bredene, ou encore à Oostduinkerke, à Wenduine (sur la plage) ou à Coxyde (dans les  » maisons de dessins  » grandes ouvertes à la création du public). Enfin, on s’arrêtera sans doute à Bredene où A Dog Republic a décidé d’offrir une plage… aux chiens !

Le meilleur : à Raversijde

Cette fois, les oeuvres cohabitent avec un parcours dédié à l’histoire de ce mur de l’Atlantique qui défendit le littoral durant les deux guerres mondiales. On déambule dans les tranchées, parfois couvertes, donnant çà et là, sur de petites ouvertures (le ciel, la mer) ou des salles obscures et chargées par la peur. Tout au long de ce cheminement, se dressent les batteries antiaériennes, canons mitrailleurs et autres obus et guérites. Pourtant, c’est ici que les oeuvres s’intègrent avec le plus de pertinence. Le ton, il est vrai, est rarement joyeux même si le premier opus rencontré fait d’abord sourire. Lily van der Stokker donne ici la réplique à l’univers machiste de l’héroïsme soldatesque en recouvrant la maison du peintre Alfred Bastien (1873-1955) d’une peinture dont les motifs en vert et blanc évoquent ceux des essuies de vaisselle. A l’intérieur, deux oeuvres. La première, un dessin XXL à l’encre noire (Rinus Van de Velde) décrit, au milieu d’une serre tropicale envahie par le végétal, la passion d’un savant penché sur le contenu d’un bocal fermé. La seconde, au fond d’un espace blanc, convoque la beauté abstraite du nu féminin (Charif Benhelima).

La suite du parcours prend un tour plus sévère. Et d’abord parce que la plupart des oeuvres ont trouvé refuge au coeur même des bunkers. Pieterjan Ginckels propose dans ce volume angoissant une réplique du célèbre tableau De Storm (la tempête) peint de façon prémonitoire dans les années 1930 par le brabançon Brusselmans. Cette manière de citer l’oeuvre d’un autre artiste et de la mettre en scène de manière inattendue se retrouve dans l’environnement créé ailleurs par Alessandro Pessoli (des armes recomposées dans le bronze face à deux allusions à La Raie de James Ensor). Dans le bunker suivant, dont le sol est couvert de sable, une vidéo de Nicolas Provost narre, avec lenteur et un souci de perfection esthétique, l’histoire d’une rencontre dont on ne connaîtra pas la conclusion entre une beauté nue et aryenne et un naufragé noir. Sur une pelouse, nous voilà ensuite confrontés avec une immense caisse de bois. Une petite porte nous invite. Nous voilà à quatre pattes. On entre. Kista del Sol de Thorsten Brinkmann révèle alors un espace de vie où le décor et les meubles soulignent les diverses aspirations de l’habitant dont on cherchera peut-être à percer la personnalité à travers les indices déposés : une mappemonde, un fusil de chasse, une bouteille de vin, un lustre de faux cristal, une veste usagée, un peignoir bien sale…

Suite et fin provisoire… à De Nachtegaal, à La Panne

Dans cette réserve naturelle qui borde le désert de sable, on passe d’un grand mikado en bambou (A Dog Republic) à un  » pavillon catalan  » de l’Espagnol Marti Anson, hommage aux constructions sans architecte faites  » à la main  » par leur seul propriétaire à l’époque de Franco. A l’intérieur, Thomas Galler propose une suite d’images au format de cartes postales réalisées à partir de photos d’opérations militaires américano-égyptiennes au-dessus des pyramides de Gizeh. S’il y a encore bien d’autres pièces à voir, il est vrai, aussi, que l’éparpillement induit parfois l’impatience, la fatigue et la lassitude. Il est temps alors de retrouver les châteaux de sable et les gaufres au sucre…

Tous les jours jusqu’au 21 septembre. www.beaufort2015.be

Par Guy Gilsoul – Photos : Debby Termonia pour Le Vif/L’Express

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