Un (autre) Américain à Paris

Alexandre Charlier Journaliste sportif

Floyd Landis (30 ans) remporte un Tour de France de transition. Portrait d’un porteur d’eau devenu star

Pareil scénario aurait échappé à l’imagination d’une armée de faiseurs d’histoires de Disney. Ce Tour 2006 mérite un césar, un oscar et une citation au prochain Festival du film fantastique de Bruxelles ! Trop beau. Un Américain succède à un Américain : Floyd Landis reprend le guidon de Lance Armstrong, son ancien  » patron « , qui n’était pas son ami chez Discovery. A cette époque (2002-2004), Floyd n’était qu’un simple porteur d’eau. Floyd qui ? Landis. Un gars peu connu de ce public, en short, qui se gave rituellement du grand spectacle estival charrié par le passage de la caravane multivitaminée.

Problème, cette année, avant même le premier lancer de gadgets publicitaires, le peloton avait été délesté d’une vingtaine de présumés tricheurs, dont des cracks au sang mauvais. Jan Ullrich, Ivan Basso, Francisco Mancebo… Du coup, des seconds couteaux, d’anciens  » lieutenants « , ont pris le pouvoir. Et parce que le sport se grandit d’incertitudes, le Tour 2006, très ouvert, fut passionnant : 7 maillots jaunes différents ! Avec 40,784 km/h de moyenne, soit la troisième performance de l’histoire de la Grande Boucle, Floyd Landis a remporté la prestigieuse casaque à Paris. Et devant les cinémas UGC des Champs-Elysées, il a dû revoir le film de sa vie. Poignant. Car l’Américain a une story peu banale.

Le vélo en cachette

Il naît en 1975 à Lancaster, en Pennsylvanie. Là-bas, ses parents vivent au sein d’une communauté de mennonites. En froid avec toute forme de modernité, les mennonites respectent des codes d’éducation et vestimentaires stricts. Floyd va toutefois se démarquer de la ligne imposée par le clan. Un ami lui donne en cachette le goût du vélo. Du VTT. Il s’inscrit à une course de village et y écrase la concurrence. Il ne reste plus qu’à forcer son destin…

 » En choisissant de faire du sport de compétition, je suis allé à l’encontre des valeurs de mes parents, confi-ait le héros à Paris. Jeune, je m’entraînais le soir, après les tâches ménagères, parfois jusqu’à 2 ou 3 heures du matin.  »

Floyd ne troque son tout-terrain pour un vélo de course qu’en 1999. Il a 24 ans. C’est tard. D’abord, l’équipe Mercury puis, en 2002, il enfourche les surpuissantes bécanes de la fameuse formation de l’US Postal. Il bosse avec Lance Armstrong et le directeur sportif belge Johan Bruyneel. Bon grimpeur, fidèle, sobre, il aide son illustre compatriote à cadenasser le peloton. Landis quitte Armstrong en 2004, pour rejoindre l’équipe suisse Phonak (appareils auditifs). Avec d’autres lieutenants, Armstrong continue d’imposer son tempo infernal et crie une septième fois victoire à Paris, en 2005. Mais Landis se lâche dans son nouvel environnement et décroche, quelques mois avant le Tour, la palme à Paris-Nice. Première… belle victoire de sa carrière. A 30 ans. Propulsé par la force des choses et des affaires de dopage comme le favori de la plus grande épreuve à étapes du monde, Floyd assume. Et pour faire la pub de ce Tour  » de transition « , il réalise un exploit légendaire. Au bord de l’agonie un jour (dans la montée du col de la Toussuire), il réalise le lendemain une assommante chevauchée montagnarde solitaire de plus de 130 bornes. A Morzine, il gagne le Tour. Fabuleux scénario. Sur la ligne d’arrivée, non loin du toit de la France, le poing rageur de cet Américain au visage délicieusement grunge marque les esprits et traverse l’Atlantique.

Zone d’ombre

Floyd Landis est un héros sympa. Discret. Intrigant. A propos de zone d’ombre, il annonçait le 10 juillet dernier, au pied des Pyrénées, qu’il devait subir prochainement une intervention à la hanche. Un aveu de franchise qui lui permet, aussi, de prendre des médicaments pour soulager ses douleurs fémorales, dues à une vilaine chute en 2003. Landis pourrait se voir contraint de porter une prothèse ! Autrement dit, peut-être, clap final sur sa carrière cycliste. Tragique scénario. l

Alexandre Charlier

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