UN AMÉRICAIN À PARIS
La jeunesse est invulnérable. Voilà ce qui aurait dû être inscrit sur le passeport de Hemingway lorsque, en janvier 1922, il débarqua à Paris et déposa ses valises au 74, de la rue du Cardinal-Lemoine. Il avait 23 ans, et ce fut sans doute la période la plus jubilatoire de sa vie, vingt mois au bord de la Seine qui furent sa saison au paradis. » Il ne se posait qu’un seul problème, celui d’être aussi heureux que possible « , écrira Hemingway dans Paris est une fête, un feu d’artifice, un inoubliable chef-d’£uvre qui ne sera publié qu’en 1964, trois ans après son suicide.
A l’époque où » Hem » écuma Paris, la ville était encore un jardin frémissant sous des lampions Art déco, et l’expression » génération perdue » n’était guère plus qu’une boutade de mécano irascible – lire le septième chapitre de ces Mémoires titubants d’ivresse, où le futur Prix Nobel raconte comment il fut adoubé du côté de la Closerie des Lilas par les Américains de Paris et comment il festoya en compagnie de sa première épouse, Hadley. Les fritures sur l’île Saint-Louis, le cervelas de la brasserie Lipp, le cahors gouleyant servi au Nègre de Toulouse, les réverbères de la rue Mouffetard, les parfums de l’éphémère, les virées aux vespasiennes pour contrôler la virilité de Fitzgerald, les bouquinistes sur les quais, les carafons de cristal remplis de liqueurs dans l’atelier de Gertrude Stein, l’£il radieux de Sylvia Beach à la librairie Shakespeare and Company, les nuits blanches, l’éternelle dolce vita et la vie de bohème, tout cela défile sous la plume nostalgique de Hemingway, sorte de Proust noctambule qui écrirait à la vitesse du jazz. Mais Paris fut aussi, pour lui, le miraculeux laboratoire où, tout en feignant de batifoler, il fit ses gammes de romancier et découvrit sa morale – » Ce qu’il faut, c’est écrire une seule phrase vraie. Ecris la phrase la plus vraie que tu connaisses. «
Pendant les trois années qui suivirent la mort de l’écrivain, le manuscrit de Paris est une fête fut bidouillé par ses éditeurs, et c’est sa version originale que propose aujourd’hui Gallimard. Avec huit » vignettes » inédites où l’auteur de Pour qui sonne le glas parle des disputes de Fitzgerald et de son chauffeur, de sa rencontre avec sa deuxième épouse – Pauline -, du boxeur noir Larry Gains, de l’art d’écrire et de ce Paris d’après-guerre » où nous étions très pauvres et très heureux « . Oui, une fête perpétuelle, un hymne à la joie, une quête quasi mystique de » la vraie vie « . Et un livre culte qui n’a pas pris une seule ride.
Paris est une fête, par Ernest Hemingway. Trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Saporta et Claude Demanuelli. Gallimard, 305 p.
ANDRÉ CLAVEL
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