Que penser des visions liées à une expérience de mort imminente ? Steven Laureys et son équipe ont recueilli et analysé 200 témoignages. Le point sur leurs découvertes étonnantes.
Dix pourcent des personnes qui font un arrêt cardiaque connaissent une expérience de mort imminente. Les témoignages sur ces EMI (NDE en anglais, pour near-death experience) s’accumulent et les scientifiques ne peuvent plus les ignorer. Les recherches pour tenter de comprendre le phénomène à l’intérieur du cerveau ne font que commencer. D’autant que, jusqu’ici, rares sont les médecins et chercheurs à avoir pris ce sujet au sérieux. Les récits compilés en Europe ou aux Etats-Unis ont surtout fait l’objet d’une exploitation éditoriale et commerciale à caractère le plus souvent sensationnaliste, surfant sur le thème en vogue de » la vie après la mort » et sur celui d’une conscience qui survivrait au cerveau. Les conférences sur ces questions font le plein et la plupart des livres consacrés aux EMI ont accédé au rang de best-sellers.
Le Vif/L’Express : Pourquoi un chercheur réputé comme vous se risque-t-il à travailler sur les expériences de mort imminente, thème que la plupart de vos collègues jugent un peu sulfureux ?
Steven Laureys : Pour deux raisons. D’une part, les histoires racontées par ces personnes me troublent. Leurs récits sont clairs et détaillés, alors que le cerveau de ces patients était endommagé, privé d’oxygène suite à un arrêt cardiaque. D’autre part, je m’insurge contre les affirmations incorrectes et dangereuses de certains auteurs. Prétendre que notre conscience est dans chaque cellule et que la mort cérébrale ne signifie pas qu’on ne perçoit plus rien est une aberration. Cela conduit à décourager le don d’organes, à une époque où trop de malades en attente d’une transplantation décèdent. Je suis le premier à admettre que nous avons encore beaucoup à apprendre sur le fonctionnement du cerveau, mais nous avons suffisamment de recul sur la mort cérébrale pour rejeter de faux arguments.
Quel est le profil des personnes dont vous avez collecté le témoignage ?
Dans notre échantillon, il y a des athées, des croyants, des athées devenus croyants, des croyants qui ne croient plus… Les options philosophiques du patient ne jouent aucun rôle dans la probabilité d’avoir une EMI. Nous accumulons plus de témoignages du côté flamand que du côté francophone. Notre force est d’avoir des récits en trois langues : le français, le néerlandais et l’anglais. Deux doctorantes belges et une canadienne travaillent sur cette étude, financée par le Fonds national de la recherche scientifique (FNRS). Un volet est prospectif : on demande à des personnes qui survivent à un arrêt cardiaque ou à un traumatisme si elles ont eu des visions. Un volet est rétrospectif, avec appel à témoins. Plus long est le temps écoulé depuis l’expérience, plus le récit des patients est précis.
Comment expliquer cela ?
Difficile à dire. Il y a peut-être une reconstruction progressive des souvenirs au cours du temps. Les personnes racontent à plusieurs reprises leur histoire, en la compliquant. Celles que nous avons interrogées se confient entre neuf et vingt-quatre ans après avoir vécu leur EMI. Les gens hésitent parfois longtemps avant de se décider à parler, de peur d’être pris pour des fous. Le sujet reste encore trop tabou. Certains doivent se sentir en confiance pour livrer leur témoignage. Dans la majorité des cas, ils étaient heureux de pouvoir nous parler de leurs visions. D’autres, en revanche, estiment que ce qu’ils ont vécu est d’ordre personnel et que la recherche scientifique n’a pas à s’en mêler. Ainsi, certaines associations de patients répugnent à partager l’expérience de leurs membres. Elles disent que nous ne pouvons pas comprendre ce qu’ils ont vécu, que nous faisons fausse route en cherchant dans le cerveau la source de leur expérience.
Les causes qui ont mené à l’expérience de mort imminente jouent-elles un rôle dans le type de vision évoqué ?
Grâce à notre étude, nous avons pu déterminer que l’étiologie, donc les causes à l’origine de l’EMI, ne jouait aucun rôle. Sur les 190 patients repris dans un premier bilan, 140 ont vécu l’expérience de mort imminente suite à un coma et 50 suite à un événement qui ne les mettait pas en danger de mort : sommeil, méditation, orgasme…. Parmi les 140 comas, 45 % étaient consécutifs à un arrêt cardiaque, 30 % à un traumatisme crânien et 60 % à une autre cause : intoxication, hémorragie ou accident cardio-vasculaire. Dans 99 % des cas, l’expérience est jugée agréable. Seules deux femmes ont raconté avoir vécu une expérience effrayante ou pénible.
Qu’ont vu ou ressenti ces patients au cours de leur expérience ?
Pour mesurer ces expériences, nous posons seize questions, qui figurent dans un questionnaire appelé » l’échelle de Greyson « . Nous recueillons aussi des éléments non repris dans ce questionnaire, comme le fameux tunnel décrit par certains. Plus de 85 % des personnes évoquent une sensation de bien-être et pas moins de 75 % décrivent une expérience de » décorporation » : l’impression de flotter au-dessus du sol, hors de soi, et d’apercevoir son corps à distance. La perte de la notion du temps et la présence d’une lumière blanche sont mentionnées par sept personnes sur dix. Les sensations d’unité, de point de non-retour, de rencontre avec des personnes défuntes sont également fréquentes. Plus rares sont les récits de traversée des murs, de perception extrasensorielle. Une personne sur dix à peine raconte avoir vu défiler le cours de sa vie, thème pourtant si présent dans les films de fiction ! L’origine culturelle des patients peut avoir une influence sur leur récit : chez nous, certains disent avoir vu Jésus lors de leur expérience de mort imminente. En Inde, d’où je reviens, on parlera plutôt de Shiva.
Serait-il possible que ces personnes aient eu une hallucination ou que leur récit sorte de leur imagination ?
Les visions de ces gens sont une réalité physiologique, comme le rêve, même si c’est difficile à accepter. D’ailleurs, partout sur la planète, on rapporte le même genre de récit, avec la lumière blanche, le tunnel, l’impression de survoler son corps… Nous ne pouvons, en tant que scientifiques, ignorer ces témoignages, de plus en plus nombreux. Imaginons qu’un habitant seulement sur dix de la planète soit capable de rêver et vous verriez que les 90 % restant mettraient en doute l’existence du rêve. Les expériences que nous avons collectées sont riches en détails, en émotions, ce qui n’est pas le cas lors d’un récit inventé. Une personne sur dix qui fait un arrêt cardiaque connaît une expérience de mort imminente. Grâce aux techniques modernes de réanimation, plus de patients survivent et peuvent donc raconter ce qu’ils ont vu ou ressenti.
Si ces visions sont un phénomène physique bien réel, d’où viennent-elles, comment sont-elles produites ?
Au Coma Science Group, nous considérons que chaque type de description – bien-être, tunnel, lumière blanche… – est provoqué par l’atteinte d’une région cérébrale spécifique, en raison du manque d’oxygène qui survient lors d’un arrêt cardiaque. C’est l’explication la plus simple. Mais nous n’avons pas de certitude tant que nous n’aurons pas compris le fonctionnement de la conscience. Celui qui expliquera comment la subjectivité émerge d’un phénomène physique aura un prix Nobel !
A-t-on déjà établi un lien entre un type de vision et le dysfonctionnement d’une zone cérébrale précise ?
C’est une piste que nous explorons. Deux chercheurs se sont distingués en la matière : le Dr Dirk De Ridder, neurochirurgien et directeur de la Clinique du cerveau de l’hôpital universitaire d’Anvers, et Olaf Blanck, chercheur en neurosciences de l’université de Lausanne. Ils ont découvert que la sensation de sortie du corps est provoquée par un dysfonctionnement du cortex pariétal droit. Blanck a stimulé différentes régions du cerveau d’une patiente avant une opération et a provoqué ainsi chez elle une sensation de sortie du corps.
Le fait que sept à huit patients sur dix rapportent cette sensation de flotter au-dessus de leur corps crédite-t-elle l’idée d’une conscience indépendante de l’activité cérébrale ?
Sam Parnia, un grand spécialiste des expériences de mort imminente, a cherché à en apporter la preuve. Basée actuellement à l’université de New York, son équipe a travaillé pendant quatre ans sur le sujet. Une quinzaine de centres hospitaliers ont été associés à ce programme, d’une ampleur exceptionnelle. L’étude, menée sur plus de 2 000 patients, a été publiée début octobre. Des photos avaient été disposées sur une étagère, uniquement visibles par la personne décorporée. Si des patients ayant vécu une expérience extracorporelle avaient reconnu ces photos, cela aurait remis en cause les lois de la biologie et de la physique. Mais ce ne fut pas le cas. Cet échec signifie qu’on ne peut prouver l’existence d’une conscience indépendante de l’activité cérébrale.
Cette étude a pourtant eu un large écho médiatique !
Faute d’avoir pu valider son hypothèse, le Dr Parnia a axé sa communication sur le fait que le cerveau humain ne s’arrête pas immédiatement quand le coeur cesse de battre et que la mort est un processus et non un événement ponctuel. Il suggère que, dans les premières minutes après la mort, la conscience n’est pas anéantie. Sauf que ses patients n’ont pas eu une mort cérébrale, mais une perte de conscience, liée à un arrêt cardiaque ou à une autre cause. Il sous-entend que leur activité électrique cérébrale était nulle, mais ne peut le prouver, car il n’a pas mesuré cette activité ! Cela dit, je ne rejette pas l’hypothèse d’une conscience liée à des éléments physiologiques inconnus. Se contenter des lois actuelles de la science ne fait pas progresser nos connaissances.
L’an dernier, une autre expérience, sur des rats, a défrayé la chronique : elle montre que l’activité cérébrale, loin de s’arrêter net par manque d’oxygène, s’intensifie dans les trente secondes qui suivent l’arrêt du coeur. Une piste pour expliquer la force et la clarté des visions humaines lors des EMI ?
Cette étude publiée par des chercheurs de l’université du Michigan est très intéressante. Jusqu’ici, on pensait qu’un cerveau actif normal devenait brusquement un cerveau plat au moment de la mort. A présent, on sait qu’il y a des bouffées d’activité dans un cerveau qui meurt. L’électro-encéphalogramme enregistre un grand nombre d’interactions neuronales, associées aux zones de la conscience, de la vision… Evidemment, les rats de cette expérience américaine sont morts, et même si on les ramenait à la vie, ils ne pourraient raconter ce qu’ils ont vécu ! Mais l’étude prouve que la dynamique d’un cerveau qui meurt est plus complexe qu’on ne le pense.
Installera-t-on un jour des électrodes sur le cerveau de mourants humains pour comprendre le phénomène des expériences de mort imminente ?
En fait, on le fait déjà. Dans le respect du patient.
Vos recherches vous incitent-elles à croire à une vie après la mort ?
Encore une fois, la seule preuve d’une vie après la mort est le don d’organes. La mort est irréversible, c’est l’une de nos frontières absolues, et il n’est pas souhaitable qu’on crée un élixir de vie éternelle !
Les personnes qui souhaiteraient raconter leur expérience de mort imminente peuvent contacter le Coma Science Group de l’ULg/CHU de Liège par email (coma@ulg.ac.be).
Entretien : Olivier Rogeau