Le président de l’édition 2007 du Festival de la bande dessinée ne cesse d’innover depuis vingt ans… Pour mieux dynamiter le genre
Si le président du festival d’Angoulême incarnait une maladie mentale, ce serait une parfaite schizophrénie. Pour commencer, Lewis Trondheim jouit, en vrai, d’un état civil à consonance bien de chez nous : il est né Laurent Chabosy, à Fontainebleau, en 1964. Ensuite, il aime à se représenter en rapace atrabilaire, alors qu’il n’est qu’un simple humain rouspéteur. Enfin, lorsqu’il se lance dans un blog dessiné, il s’invente la vie d’un certain Frantico, ventripotent obsédé sexuel à tendance scatologique, dont les réflexions quotidiennes sur le cul de la voisine ont réjoui des milliers d’internautes en 2005.
Son obsession : vieillir sans rancir
Nonobstant tout, l’homme à tête d’oiseau n’a rien d’un désaxé. C’est même l’un des esprits les plus inventifs du 9e art. Un virus contracté durant son service militaire, auprès d’un amateur de fanzines. Puis, il fait la connaissance de Jean-Christophe Menu, en 1987. Armé d’une photocopieuse, il se lance dans Psychanalyse : des pages de cases identiques habitées par une patate dont seules les élucubrations varient.
L’inventeur est né. Reste à accoucher du dessinateur. Pour apprendre, Trondheim se lance dans Lapinot et les carottes de Patagonie, 500 planches absconses et miraculeuses. Encore faut-il se faire éditer. Fondateur de L’Association, en 1990, avec Menu, David B., Killoffer, Mattt Konture et Stanislas, Trondheim £uvre à l’éclosion de la » nouvelle bande dessinée « , les Guibert, Blutch, Blain, Sfar, Satrapi… Trondheim, au succès que l’on sait. Fin 2006, il claque pourtant la porte. Motif officiel : divergences éditoriales.
Alors que Menu se radicalise, le coauteur, avec Sfar, de la pharaonique saga Donjon ouvre grandes les portes. Et publie, en mai 2006, Apprendre et comprendre la bande dessinée : » Puisque nos livres figurent désormais dans les programmes scolaires, il fallait fournir aux instits un outil pédagogique. » Quant à Ile Bourbon 1730, son dernier livre, celui dont il se dit » le plus fier « , c’est un grand roman d’aventures, épais, en noir et blanc, » avec plein de choses à lire « .
Dés£uvré, publié au début de 2005 à L’Association, relatait sa crise carabinée de la quarantaine. Sur le mode autobiographique, il sondait la capacité des auteurs de BD à vieillir sans rancir. Pour finalement comprendre qu’il détenait la solution depuis le début : apprendre, explorer, innover. Jouer de l’ukulélé, se lancer dans l’édition via la collection Shampooing de Delcourt, aborder le dessin animé, s’initier à l’aquarelle dans un album, Les Petits Riens – angoisse du névropathe face à un rouleau de papier toilette touché par autrui, anxiété de l’hypocondriaque égaré sur le Net… » Quand je me dis : « Tiens, ça, personne ne l’a fait », je suis foutu : je tombe dans le piège. » Chouette. l
Ile Bourbon 1730, par Trondheim et Appollo, Ed. Delcourt, 288 p.
Pour la bibliographie : www.lewistrondheim.com
Marion Festraëts