TROIS ROSES ET UN COGNAC

Rosanne Mathot Journaliste

Où il est question d’hésitations, de compromis à la belge, d’uniformes policiers trop petits, du jaune, de l’orange et de l’amour.

C’était une histoire de prostate. Ou de ganglions. Non. Une affaire de testicules. Allez savoir. Quoi qu’il en soit, c’était clairement un truc gênant. Il suffisait de regarder le policier se contorsionner sur sa chaise, pour en avoir la certitude. Le type aux ganglions et aux testicules avait posé les pieds sur le barreau de la chaise devant lui, de sorte qu’en adoptant un certain angle, c’était un sacré panorama.

Au énième couinement plaintif du cuir sous les fesses policières, tout le café détourna le regard avec irritation. Les gens se mirent à faire hem hem, à tousser, à pouffer. On se dit que la patronne allait finir par l’envoyer se déculotter à la cave, ce policier au futal trop serré à l’entrejambe, trop long aux chevilles et peut-être même un peu trop large aux mollets. Mais non. Elle lui servit un cognac. Dans un élan martial, le gars avala son alcool en cascatelle, les moustaches au garde-à-vous. Il en réclama une bouteille de plus, puis, jetant un oeil indécis sur les trois roses rouges et les deux gilets fluo qu’il avait étalé sur la nappe, il sembla dubitatif, tout en tirant énergiquement sur son pantalon trop long, trop serré et trop large à la fois. Il prit les fleurs et enfila la veste jaune mais aussi l’orange, le temps que l’arrêté royal soit publié.  » Quels branquignols, ces politiciens hésitants « , se dit-il, goguenard, en montant dans sa voiture (1).

Vingt minutes plus tard, le commissaire reçut un texto sans équivoque :  » Je te veux. » Ça lui revitalisa la coucourde aussi sec, malgré l’engoncement de la chose dans son tissu hargneux. Il fit immédiatement route vers le sud. Vers la femme au souffle. Chaque courbe, chaque bifurcation, chaque virage le rapprochait d’elle.

Mais alors qu’il s’apprêtait à rejoindre joyeusement le ring, il reçut un autre sms, en provenance du nord, cette fois :  » Je t’attends, chou. » Ça se compliquait. Sous la pergola broussailleuse de ses sourcils froncés, il grimaça. Il fit un téméraire demi-tour sur la deux fois quatre bandes et s’orienta résolument plein nord. Au bout de 43 minutes, il se dit que, quand même, la sudiste avait une voix-souffle… irrésistible. Il repartit donc illico dans l’autre sens.

Durant les heures qui suivirent, ses déplacements de balancier le menèrent hors et dans Bruxelles, dans un incompréhensible va-et-vient qui effraya tout l’Horeca local. On le prit pour un inspecteur sanitaire particulièrement zélé. Après six heures d’oscillations passionnées, le commissaire se dit que ça devait finir.

Quelques mois plus tard, Jan Jambon lut dans le journal qu’on avait retrouvé, au fin fond de l’Alaska, au point le plus à l’ouest du monde, un policier flamand, hagard, avec trois roses fanées et une bouteille de cognac vide.  » Quel branquignol, ce flic hésitant !  » se moqua le ministre de l’Intérieur, en montant dans sa voiture. Il avait dans les yeux un brasier fluo, à moitié jaune, à moitié orange.

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne. Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film qui va démarrer à 20 h 15 sur la Une.

(1) Malgré un accord sur la veste orange fluo des policiers, le ministre Jan Jambon a, il y a plusieurs mois, rouvert le débat, disant préférer le jaune. Par ailleurs, au printemps dernier, certains policiers flamands se sont retrouvés avec des uniformes peu adéquats, en raison d’une rupture de stock, au niveau fédéral.

rosanne mathot

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