Trésors du savoir

Il existe entre l’artiste, le savant et l’ingénieur des liens de plus en plus forts. En confrontant des objets anciens venus du Musée des arts et métiers de Paris à des oeuvres actuelles, le Mudam de Luxembourg propose une exposition… spectaculaire.

Paris, mars 1851. La foule, invitée à  » venir voir tourner la terre  » accourt au Panthéon. De la voûte, suspendue à un câble de 67 mètres de hauteur, une sphère de laiton munie d’une pointe révèle sur le sable, par son tracé, la rotation de notre planète. Si le célèbre pendule de Léon Foucault est devenu aujourd’hui l’attraction principale du Musée des arts et métiers situé dans le IIIe arrondissement parisien, il ne faut pourtant pas attendre le XIXe siècle pour que dans les universités et les cabinets d’amateurs se multiplient d’étranges et précieuses machines. Leur point commun : révéler l’une ou l’autre question de physique et de mécanique sous forme de modèles pédagogiques. Les plus anciennes remontent au XVIIe siècle et se multiplient à l’ère des Lumières pour connaître, à l’époque industrielle, leur âge d’or.

De ces trésors, 70 ont fait le voyage jusqu’au Mudam de Luxembourg, réputé pour l’excellence de ses expositions d’art contemporain. Mais pourquoi les avoir mêlés à une centaine d’oeuvres de plasticiens actuels ? La réponse se trouve dans les motivations qui animent aujourd’hui la création. Si le musée d’art fut longtemps le livre dans lequel peintres et sculpteurs apprirent à interroger leur pratique autant que le monde, il ne suffit plus aujourd’hui. Depuis le XXe siècle de la modernité puis de la post-modernité, leurs curiosités visuelles autant qu’intellectuelles proviennent d’autres sources. Les énumérer serait long mais les musées des sciences et des techniques y occupent une belle place, et ce pour plusieurs raisons.

D’abord, les objets présentés peuvent avoir le pouvoir d’émerveiller au même titre qu’une toile de Fra Angelico ou un masque africain. Certains artistes s’arrêtent ainsi devant la beauté même de la machine et de sa fabrication. D’autres s’inclinent devant l’ingéniosité des inventeurs ou de la démonstration de tel ou tel phénomène. Enfin, parce qu’à leur tour, les plasticiens sont non seulement des  » bricoleurs  » mais aussi des chercheurs, leurs intérêts croisant souvent ceux des scientifiques.

Depuis les années 1960-1970, de grands noms de l’art travaillent en étroite collaboration avec des équipes de chercheurs de très haut vol sur des questions hyperpointues. Ainsi les nanotechnologies explorées par Edith Dekyndt ou encore Michel Paysant qui a, entre autres, réalisé ainsi un portrait du couple grand-ducal. De son côté, Ann Veronica Janssens travaille dans un laboratoire de Villeurbanne (appelé  » espace cerveau « ) avec des spécialistes de la neurobiologie, de la psychologie cognitive, de l’astrophysique et de l’anthropologie afin d’investir la question des perceptions colorées. Ce que, d’une autre manière, aborde aussi Olafur Eliasson sur un mode interactif assez semblable à celui si fréquent dans les musées des sciences.

Le pendule de Foucault pour point de départ

Tout commence donc avec le célèbre pendule qui convoque, aussitôt le moment de l’émerveillement passé, le temps de l’expérience. Voilà alors un ensemble d’appareils de démonstrations imaginés en 1887 par Charles-Louis Weyher afin de reproduire des phénomènes comme les trombes marines, ainsi qu’une oeuvre de Bertrand Lamarche (2008) simulant sur écran une tornade produite par un dispositif malin posé non loin. Dans cette première section, il s’agit de rappeler que la science, avant toute chose, désire mettre de l’ordre dans le chaos des apparences. Entendez, par la compréhension des phénomènes, en proposer une mesure. D’où ces collections anciennes de polyèdres (si utiles dans l’apprentissage de la géométrie descriptive) auxquelles répond l’établi d’Attila Csörgö qui, à la manière d’un marionnettiste habile, évoque l’univers platonicien et sa symbolique en métamorphosant le tétraèdre (le feu), le cube (la terre) et l’octaèdre (l’air) en un dodécaèdre (le cosmos).

Avec une même détermination, les savants tenteront de mesurer le temps et l’espace. Le parcours de l’exposition nous mène d’une étonnante horloge à plan incliné datée de 1780 à cette autre, digitale, par laquelle Gianni Motti visualise le temps décroissant qui nous rapproche de l’explosion du soleil. De même, il nous est rappelé l’invention du mètre-étalon imposé deux ans après la Révolution française, puis sa critique par les artistes du XXIe siècle. De là, on passe à l’infiniment grand du cosmos. En 1816, Charles Rouy imagine une machinerie révélant non seulement l’échelle des distances entre les planètes mais aussi leurs divers mouvements. Lui répondent une pièce angoissante de 1983 signée Chris Burden et une autre, plus poétique, créée en 2010 par Björn Dahlem.

De salle en salle (14 sections réparties sur les trois niveaux du musée), on approchera à travers des confrontations du même type les jeux d’optique et l’acoustique (le photophone de Bell, 1880) ou encore l’une ou l’autre manifestation du monde invisible (le courant électrique, l’électromagnétisme) qui s’inscrivent aussi dans les travaux, énigmatiques parfois, de Olafur Eliasson, Takis ou encore Nam June Paik. La dernière partie invite davantage les inventeurs. Ceux qui imaginèrent les outils et les nouvelles machines du monde industriel. Une fois encore, les confrontations font mouche. Exemple : une coupe d’un châssis d’automobile De Dion-Bouton de 1907 associée à la déconstruction de trois scooters Vespa : Miracolo italiano (2005), signé Damian Ortega. Ou encore, la bicyclette sans chaîne appelée  » la Métropole  » (1896), quelques inventions de Panamarenko et enfin, des automates allant du  » canard digérateur  » de Jacques de Vaucanson (1738) à une machine  » Cloaca  » portative de Wim Delvoye en passant par Job, le  » renard électronique « , inventé entre 1950 et 1953 par Albert Ducrocq.

Eppur si muove. Art et technique, un espace partagé,au Musée d’art moderne grand-duc Jean (Mudam), à Luxembourg. Jusqu’au 17 janvier. www.mudam.lu

Par Guy Gilsoul

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