Très fort, Vauban

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Un ban pour Vauban ! Trois cents ans après sa mort, les 14 sites français les plus remarquables de son ouvre postulent pour l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité. Côté belge, plusieurs villes, Namur en tête, s’associent aux festivités du tricentenaire. Balade sur les traces du génial ingénieur de Louis XIV.

Pourquoi fallut-il que Vauban / Construisit tant et tant de villes, / Et qu’il les construisit si bien / Qu’il en reste encore plus de mille ?… « , chantait, il y a une vingtaine d’années, le Belge Julos Beaucarne. Plus de mille ? C’est compter large, même si, de Ypres aux Pyrénées et de l’île de Ré au Rhin, l’ingénieur militaire préféré de Louis XIV a laissé, tout le long des côtes et aux endroits stratégiques, son empreinte dans le paysage urbain : tours bastionnées, redoutes, courtines, casemates, escarpes…

Trois cents ans après sa mort, Sébastien Le Prestre (1633-1707), marquis de Vauban, maréchal de France, remonte au créneau. Non seulement outre-Quiévrain, mais aussi en terres wallonnes : à Namur, la citadelle accueille une exposition, une pièce de théâtre et une reconstitution historique à l’occasion du tricentenaire ( lire en fin d’article) ; à Dinant, l’historien d’art Nicolas Faucherre,  » le  » spécialiste français de l’£uvre de Vauban, donnera une conférence, le 13 septembre, sur  » Les sites Vauban dans le patrimoine mondial  » ; à Bouillon, la brasserie locale a créé une bière  » Vauban  » ; à Philippeville, un buste de Vauban en granit bleu doit être inauguré cette année encore…

L' » année Vauban  » fait bien sûr étape aux quatre coins de la France, où se multiplient hommages, rencontres, spectacles équestres… Et, surtout, 14 sites majeurs du maître de la fortification en étoile postulent, ensemble, pour l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité, le précieux label de l’Unesco. Parmi eux, les incontournables chefs-d’£uvre : la cité de Neuf-Brisach (Alsace), la forteresse de Saint-Martin-de-Ré (Poitou-Charentes) ou encore la citadelle de Besançon (Franche-Comté), elle-même à l’origine du projet de candidature collective. Verdict en juillet 2008. Pas de sites belges dans la sélection, établie par Faucherre.  » La liste n’associe que les lieux les plus emblématiques et les plus  » purs « , ceux qui ont été conçus par Vauban et n’ont pas été trop modifiés depuis le xviie siècle « , explique Philippe Bragard, professeur d’histoire de l’architecture à l’UCL et, sans doute, le plus grand admirateur belge de Vauban (il a appelé son fils aîné Sébastien, en hommage à l’infatigable bâtisseur).

Sites exclus de la liste pour l’Unesco

Voilà pourquoi une citadelle comme celle de Belfort, largement transformée, se retrouve sur la touche. Plus près de chez nous, celle de Charlemont, à Givet, n’a pas été retenue non plus. Elle est impressionnante, offre une vue imprenable sur la vallée de la Meuse, mais a été édifiée dès 1555. Vauban n’a fait que l’agrandir et la renforcer. De même, la fortification de Lille, qualifiée de  » reine des citadelles  » par Vauban, son architecte, est absente de la liste, sur ordre de l’armée française. Motif : la présence, au sein du fort, d’un centre de commandement de l’OTAN, jugé incompatible avec les contraintes de l’Unesco. Cette exclusion suscite la colère des associations locales. La mise à l’écart n’est peut-être pas définitive. De même, l’ajout d’un site belge donnerait à la sélection une dimension internationale.

 » Hélas, la Belgique n’a rien à montrer d’exceptionnel, reconnaît le Pr Bragard. Il ne reste pas grand-chose de Vauban à Liège, Huy, Charleroi, Mons, Tournai et Ath. A Dinant et Mariembourg, les Français ont tout rasé. A Philippeville, on peut voir un magasin à poudre et quelques souterrains. A Ypres, trois bastions sont très bien conservés. A Bouillon, où Vauban a élevé une enceinte et expérimenté pour la première fois son système de tours bastionnées, les vestiges sont encore nombreux. En revanche, à Namur, seuls quelques éléments ont survécu : l’arsenal de la ville, les soubassements du fort Balart et une partie des souterrains de la citadelle.  »

Louis XIV, Racine et Vauban à Namur

Namur est néanmoins un site phare de la guerre de siège et de l’antagonisme entre Vauban et son alter ego hollandais, Coehoorn. L’ingénieur français s’y rend à trois reprises. D’abord, pour y faire de l’espionnage, mesurant les lieux incognito. Puis, peu après, pour prendre la ville. Ce siège de 1692 est le dernier auquel Louis XIV participe. Toute la cour l’accompagne, notamment son confesseur, le père Lachaise, et son historiographe, Jean Racine. Coehoorn perd la partie et le roi charge aussitôt Vauban et sa  » bande d’Archimède « , comme il appelle son équipe d’ingénieurs, d’améliorer les fortifications. Peine perdue. En 1695, les rôles sont inversés : Coehoorn bombarde les Français et les chasse de Namur, puis mène une nouvelle campagne de travaux de défense. Mais la ville repasse sous autorité française en 1701. Vauban y séjourne deux ans plus tard et c’est à Namur qu’il apprend son élévation au grade de maréchal.

Les festivités du tricentenaire mettent surtout à l’honneur le génie militaire de Vauban. Le mot est resté célèbre :  » Une ville construite par Vauban est une ville sauvée, une ville attaquée par Vauban est une ville perdue.  » Les chiffres donnent le tournis : une cinquantaine de sièges victorieux, 150 places fortifiées en Europe, 9 villes édifiées… Objectif du stratège : mettre en place, sur les frontières, une barrière composée de places fortes et de citadelles. En particulier entre la mer et la Meuse, pour  » boucler « , au Nord, le  » Pré carré  » du roi. Vauban y dresse une double ligne de villes fortifiées, barrant l’accès de Paris depuis nos Pays-Bas alors espagnols.

 » Vauban n’est pas un grand inventeur, admet Bragard. Les fortifications bastionnées associées à son nom sont en fait apparues avant lui. Mais il s’illustre par son souci de rationaliser les techniques existantes, pour épargner du temps, de la poudre et des hommes. Adversaire farouche des actes de bravoure gratuits, il a critiqué d’Artagnan, tué en 1673 au siège de Maastricht lors d’un assaut à découvert.  » Mais Vauban était plus qu’un technicien et un officier : penseur de premier plan et incroyable voyageur – il parcourt plus de 4 000 kilomètres par an à cheval, en carrosse ou en chaise à porteurs -, il s’est intéressé à la politique religieuse, à la prévision économique, à la démographie, à la sylviculture, toujours soucieux du bien de l’Etat et du roi.

Hobereau du Morvan passé maître ès fortifications, Vauban est décrit par le duc de Saint-Simon comme un homme d' » un extérieur rustre et grossier, pour ne pas dire brutal et féroce « . Un portrait révélateur des préjugés de la cour à l’encontre de ce provincial de petite noblesse, qui avait gagné la confiance du roi sans perdre son franc-parler.  » Dernier des humanistes ou précurseur des encyclopédistes, sa personnalité fascine, s’enthousiasme le professeur de l’UCL. Il refuse de participer aux campagnes de terreur contre les huguenots, prône l’avancement par le mérite, imagine une monnaie unique pour les Etats de la chrétienté et suggère la création d’une  » dîme royale « , sorte d’impôt sur le revenu qui supprimerait les privilèges fiscaux. Un grand homme dans le Grand Siècle !  »

Olivier Rogeau

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