Trahi, il quitte la politique

A près de 37 ans, le très prometteur secrétaire d’Etat CDH s’apprête à jeter le gant. Le dossier du survol de Bruxelles a eu raison de lui. Moins, toutefois, que les coups de couteau venus de son camp.

Partira ? Partira pas ? A lire les propos de Melchior Wathelet (lire son interview ci-dessous), il y a peu de chances qu’il s’attarde dans ce milieu politique qui a assisté sans mot dire à sa chute, dans le vacarme assourdissant des avions. Pour ne pas dire qu’il l’a provoquée.

En huit mois, sa carrière politique, lancée en 2003, a bel et bien implosé. Jusque-là, tout lui avait réussi. Député à 25 ans, puis chef de groupe à la Chambre, il met cinq ans à peine pour entrer au gouvernement fédéral. Il rempile dans le gouvernement Di Rupo, où il décroche un secrétariat d’Etat aux Réformes institutionnelles, à l’Energie et à la Mobilité, avant de reprendre à Joëlle Milquet le cabinet de l’Intérieur (en affaires courantes) et le prestigieux titre de vice-Premier ministre. Jusqu’au début de cette année 2014, qu’il jugera à jamais maudite sans doute, il brille.

Chargé en 2011 de mettre en oeuvre le plan Schouppe, qui prévoit de nouvelles routes aériennes au-dessus de Bruxelles, Melchior Wathelet s’exécute et donne ses premières instructions à Belgocontrol en mars 2012. Très vite, certains s’impatientent : le FDF, le MR et même les élus CDH le pressent de concrétiser ce plan.

Le 6 février 2014, une partie des Bruxellois, incrédules, se réveillent sous les vrombissements, de 6 h à 23 h. Questionné, le secrétaire d’Etat Melchior Wathelet rappelle que ce plan de survol, qui s’est entretemps rebaptisé  » plan Wathelet « , n’est pas le sien et qu’il ne fait qu’exécuter un accord conclu précédemment.

En février 2014, le mouvement citoyen  » Pas question « , qui s’oppose au survol de Bruxelles de cette manière, est constitué. A sa tête, le juriste Antoine Wilhelmi lance une campagne sur les réseaux sociaux qui prend de suite de l’ampleur. Très vite, des affichettes jaunes, barrées du slogan  » Plan Wathelet, pas question « , commencent à fleurir aux fenêtres des communes bruxelloises les plus survolées. Puis des bâches. Les dons affluent : les Bruxellois sont furieux, ou inquiets, ou les deux.

Le 28 février, Charles Michel, président du MR, réclame que l’on  » revoie d’urgence ces routes « . C’est le premier qui le lâche, au sein du gouvernement. A leur tour, Didier Reynders (MR), Didier Gosuin (FDF) puis le PS réclament l’annulation des nouvelles routes aériennes.

Mais ce sont les flèches lancées par les mandataires CDH qui blessent le plus Melchior Wathelet. Les candidats bruxellois lui en veulent d’empoisonner leur campagne. A partir du mois de mars, Joëlle Milquet le laisse tomber à son tour, tout en continuant à le défendre publiquement. Elle soupçonne le secrétaire d’Etat de convoiter le poste de vice-Premier qui pourrait revenir au Verviétois si le CDH faisait partie du nouveau gouvernement fédéral.

Le 5 mai, la ministre bruxelloise de l’Environnement Evelyne Huytebroeck et le ministre-président bruxellois Rudi Vervoort (PS) introduisent devant le tribunal de première instance de Bruxelles une action en cessation environnementale du plan de répartition des vols.

Le lendemain, Joëlle Milquet et Melchior Wathelet présentent un plan-bis, censé apaiser les électeurs. Il prévoit la création d’un organe de contrôle indépendant, une extension des nuits de 22 h à 7 h, et une réduction du nombre de vols sur les routes problématiques. Aussitôt, ce plan se fait attaquer. Les Flamands, qui ne veulent pas d’un retour en arrière, lancent la procédure de conflit d’intérêt, qui gèle le dossier pendant soixante jours.

Le 10 mai, un rapport de l’ULB publié dans Le Soir affirme qu’il était bien tenu de réaliser une étude d’incidence environnementale et de consulter les pouvoirs régionaux et les habitants avant de procéder aux premières modifications de routes aériennes.

Le soir des élections, tandis que Melchior Wathelet est élu avec 34 780 voix, soit 4 000 de plus qu’au précédent scrutin, Joëlle Milquet le fusille sur les plateaux de télévision.  » Sans son erreur, nous partions gagnants « , fulmine- t-elle. Le coup de massue final pour Melchior Wathelet.

Le 6 juillet, à l’issue du gel provoqué par la procédure en conflit d’intérêt, il retire son plan. Et le 31, la justice donne raison à la Région bruxelloise, menaçant l’Etat fédéral d’astreintes si, au 1er novembre, il ne renonce pas aux routes mises en oeuvre en février.

Entretemps, Melchior Wathelet a remplacé Joëlle Milquet au cabinet de l’Intérieur, laissant à Catherine Fonck le soin de s’occuper des avions. Convaincu d’être une victime expiatoire, alors que d’autres lui reprochent son entêtement, son côté enfant gâté et son arrogance, le Verviétois, las de se faire insulter en rue, songe à tout plaquer pour se reconvertir dans le privé.

Le Vif/L’Express : L’Echo a annoncé il y a quelques jours votre intérêt pour un poste chez Fluxys. C’en est donc fini de votre carrière politique ?

Melchior Wathelet : J’y songe sérieusement, en tout cas.

Votre décision est irrévocable ?

Disons que j’élargis mes perspectives.

Avez-vous reçu des propositions d’autres partis ?

Oui, mais j’ai le sentiment d’être un vrai centriste.

Quelles leçons personnelles avez-vous tirées de l’épisode du plan de survol de Bruxelles ?

J’ai sans doute fait trop confiance à ceux qui avaient négocié l’accord et aux experts. Tous étaient convaincus d’avoir trouvé un moyen de soulager l’est de Bruxelles sans créer de nouvelles nuisances. Mon erreur a été d’exécuter cet accord. Manifestement, dans ce dossier, il valait mieux ne rien faire, renier sa parole et laisser l’est de Bruxelles à son sort.

Avec le recul, estimez-vous avoir commis une erreur ?

Mon erreur a été de croire que la solution de l’éclatement du virage à gauche, négociée par cinq vice-Premiers bruxellois, et soutenue par les Bruxellois de l’opposition, était bonne pour l’ensemble des Bruxellois. J’ai peut-être été naïf de croire, tout comme eux, qu’une montée des avions en droite ligne, pour arriver plus rapidement plus haut, leur permettrait d’être moins bruyants. C’est ce que tous les experts nous avaient dit. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que les partenaires du gouvernement précédent avaient donné leur accord à cette proposition. Mais je dois reconnaître que, même plus haut, un avion reste bruyant.

Il se fait que les habitants des communes nouvellement touchées n’ont jamais été survolés. Leur sensibilité au bruit est donc plus grande et c’est normal. Si l’on ajoute le climat de campagne électorale, où tous les coups sont permis… Dès le mois de mars, j’ai reconnu que la route sud était soumise à une utilisation plus intensive que prévu. Avec le recul, j’aurais peut-être dû, comme d’autres, faire croire aux gens qu’il existait une solution facile et que je pouvais la mettre en oeuvre. Mais je suis quelqu’un de loyal. Quand je sais que quelque chose est impossible, je ne peux pas prétendre le contraire. J’assume ma décision. On m’a demandé d’exécuter un accord et je l’ai fait. Peut-être ceux qui ont négocié l’accord de base ont-ils commis le péché originel ? J’ai accepté que ce  » plan Schouppe  » soit appelé  » plan Wathelet  » et je l’ai fait aussi pour défendre certains de ceux qui l’avaient négocié, et pour le bien du parti.

Alors qu’ils avaient marqué leur accord sur le plan, les autres partenaires du gouvernement vous ont lâché…

Quand j’ai vu que Didier Reynders se désolidarisait, j’ai compris que j’étais cuit. C’est ce qu’on appelle le non-respect de la parole donnée. Que le FDF ou Ecolo m’attaquent, ma foi, ils sont dans l’opposition et c’est de bonne guerre. Mais de la part de ceux qui ont signé l’accord, c’est inacceptable. Un accord conclu par cinq partis ne peut être modifié par un parti tout seul. Mais les gens avaient envie de le croire, l’ont cru et à partir de là, j’avais perdu.

Vos partenaires au gouvernement assurent qu’ils n’avaient pas été informés de la teneur du plan.

La décision de dédoubler le virage à gauche était connue de tous, depuis l’époque Schouppe. J’étais sous la pression de bourgmestres MR, FDF et même CDH, qui voulaient que je réalise cette dispersion au plus vite. La seule chose qui a changé ensuite, c’est la hauteur des vols, qui devait être de 2 200 pieds et qui n’a pu, pour des raisons de sécurité avancées par Belgocontrol, dépasser 1 700 pieds. Mais les communes de Watermael-Boitsfort, Auderghem et Etterbeek auraient dans tous les cas été survolées. Cette décision a été acceptée le 18 juin 2012 en réunion intercabinet. Si certains vice-Premiers n’étaient pas au courant, cela relève du fonctionnement interne de leurs équipes. Je peux vous assurer que s’ils n’avaient pas cautionné ce plan, ils l’auraient dénoncé tout de suite. Je suis passé devant le Parlement en octobre 2013 ; tous les partis étaient présents, tous m’ont posé des questions, aucun ne m’a reproché d’avoir agi seul dans mon coin.

Le PS a été très discret dans ce dossier.

Elio (Di Rupo) et Laurette (Onkelinx) ont été corrects. Peut-être n’avaient-ils pas intérêt, électoralement parlant, à s’impliquer dans ce dossier. Mais d’une manière générale, je n’ai jamais eu de problème de non-respect de la parole donnée avec le PS.

On a accusé votre expert aéronautique, Philippe Touwaide, d’avoir orienté les décisions pour soulager l’Oostrand, où il a longtemps habité.

Dans ce dossier, que l’on soit survolé ou non, on est immédiatement suspect. Tous les experts qui participent aux réunions intercabinets ont des raisons d’accepter ou non les nouvelles routes. Tous sont sur le même pied. Or curieusement, il n’y a que mon conseiller qui est attaqué pour conflit d’intérêts. Alors disons que cela arrangeait tout le monde de le désigner comme coupable et d’accentuer par ce biais ma  » responsabilité unique « .

Regrettez-vous de n’avoir pas fait monter le dossier en kern, ne fût-ce que pour vous couvrir ?

Je pense de toutes manières que si le dossier était passé en comité ministériel restreint, cela n’aurait rien changé. En campagne électorale, les partenaires du gouvernement m’auraient quand même lâché, s’ils le jugeaient nécessaire au vu de la tournure des événements.

Les Régions, les riverains, les communes vous reprochent de ne pas les avoir consultés avant la mise en oeuvre du plan.

Mais l’accord était déjà pris ! J’aurais rencontré tous ces gens et je leur aurais dit quoi ? Je n’avais aucune marge de manoeuvre. Relisez les PV des groupes de travail : il n’y avait aucune possibilité de revenir en arrière sans l’accord de tous. Mais ce message était inaudible. Je continue à penser que remettre tous les avions au-dessus de l’est de Bruxelles ne peut être la solution. L’avenir nous le montrera. En attendant, les militants de  » Pas question  » s’en sont pris à ma famille dont certains ont dû couper leur ligne de téléphone tant ils étaient harcelés. Même quand je m’occupais de l’Immigration – dossier hypersensible sur le plan humain – je n’ai jamais vu cela.

Le phasage de ce plan, avec son entrée en vigueur à quelques mois des élections, était particulièrement malheureux. Vous auriez pu suggérer à Belgocontrol de ralentir le rythme afin de refiler le dossier au gouvernement suivant…

Oui, j’aurais pu… Mais je subissais une pression terrible des politiques qui voulaient la mise en oeuvre immédiate du plan. N’oubliez pas que jusqu’à la mi-mars, le MR se félicitait de l’exécution des accords et tentait même, dans un de ses tracts, de se l’attribuer !

Quelle est l’ambiance au CDH aujourd’hui ?

Je ne vous cache pas que la phrase de Joëlle Milquet le soir des élections ne correspond pas à l’idée que je me fais d’un travail d’équipe. Je sais que la campagne des Bruxellois a été difficile et aujourd’hui, certains m’en veulent toujours. Mais dire, comme Joëlle Milquet, qu’on n’est en rien responsable des conséquences d’un accord qu’on a soi-même négocié, ça me va loin…

Depuis l’épisode du survol, vous avez le sentiment que plus rien du travail que vous avez réalisé n’est reconnu à sa juste valeur ?

Oui. En politique, c’est plus facile de personnaliser une défaite ou un dossier difficile en chargeant une personne. Ainsi, vous évitez toute remise en question.

Par Laurence van Ruymbeke

 » Quand j’ai vu que Didier Reynders se désolidarisait, j’ai compris que j’étais cuit  »

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