Toutes les fois que Keith Richards n’est pas mort

Philippe Cornet Journaliste musique

Récemment opéré au cerveau pour dégager un caillot de sang, le miraculé Keith Richards symbolise quarante années de Stones sur la tangente

Tombé d’un arbre (?) alors qu’il était en vacances aux îles Fidji, le guitariste des Stones ne s’en est pas laissé remontrer par un vulgaire caillot, fût-il vilainement logé dans le cerveau. Pour un type qui a absorbé des quantités aussi industrielles d’alcool et de drogues en tout genre, ce départ accidentel aurait sonné bien trop  » vulgaire « . Candidat exponentiel à la cirrhose et à l’overdose, Richards a toujours été le pivot créatif et le sac à problèmes des Stones : tout au moins depuis la fin des années 1960 et le départ forcé de Brian Jones.

C’est à cette époque-là que Richards se met  » sérieusement  » à l’héroïne comme on se met à faire un boulot qui ne souffre d’aucun amateurisme. Pendant une petite décennie, jusqu’au moment où il se fait arrêter par la police canadienne en possession de poudre, à Toronto le 27 février 1977, Richards va symboliser à lui seul la  » face satanique  » des Stones, produit d’appel qui dépasse le marketing. C’est lui qui attire tout le cirque des dealers qui, de Paris à New York, cimente un entourage entre party jet-set et bar à putes. Le genre de convoi boiteux que Robert Frank, grand photographe américain, filme dans Cocksucker Blues lors de la tournée US 1972. Le documentaire de 95 minutes comporte tellement de scènes de drogues et de sexe, de coke reniflée et d’héroïne injectée, de people décalés (Truman Capote, Bianca Jagger) et de groupies déshabillées, que Mick Jagger interdira la diffusion du film, à l’exception d’une projection par an !

Recordman mondial des nuits blanches – la légende veut qu’il en ait passé six consécutives – Richards va vivre les années grises avec sa compagne Anita Pallenberg (1967-1978) au bord de l’autodestruction constante.  » J’ai pris de l’héroïne pour échapper à tout cela, à la pression, à ma timidité « , déclarera-t-il après être sorti d’une désintoxication exigée par les autorités canadiennes. Il en écrira Beast of Burden (sorti sur Some Girls, en juin 1978), dédié à son  » double positif « , Mick Jagger, resté seul aux commandes de la machine stonienne, alors que Richards cultive un cycle de défonce qui rejaillit inévitablement sur sa créativité. Il faut entendre comment il joue de la guitare en 1969 sur le live Get Yer Ya-Ya’s Out : son style de blues urbain, fait de riffs à la Chuck Berry et à la Bo Diddley, affiche encore une forme exceptionnelle. L’électricité viscérale contraste avec le foutoir d’ Exile on Main Street paru en 1972. Ce double album, souvent considéré comme le paroxysme musical des Stones, a été enregistré dans la maison acquise par Richards et Pallenberg sur la Côte d’Azur. Même si le disque regorge d’une grande malignité blues, annoncé par les formidables photos de Robert Frank (encore lui), il traduit également la déperdition physique de Keith : il suffit de l’entendre chanter Happy pour savoir que le ciel musical des Stones est juste à côté de son purgatoire à lui. Il y aura encore l’épisode navrant de l’interdiction de Keith de séjour en France (pour détention de chanvre indien), ce qui amènera à l’organisation d’un concert  » pour les Français  » à Forest-National, en octobre 1973, et puis la remontée de la fin des seventies vers une certaine  » normalité sociale « .

Aujourd’hui  » clean « , Keith se contente désormais de biberonner quotidiennement son Jack Daniels avec une résistance que seule une chute de cocotier semble pouvoir contrarier. Les vrais morts, ce sont les autres, les naïfs qui ont voulu  » faire leur Keith Richards  » et qui n’ont, évidemment, pas tenu le coup. Ils sont morts d’une gloriole rock’n’roll que Keith n’a pas intégralement inventée mais qu’il aura largement contribué à industrialiser. C’est peu dire que la prestation bruxelloise des Stones, dans un stade affublé d’un royal patronyme, semble très loin de ce mythe.

Au moment du bouclage de cette édtition, le concert belge des Rolling Stones est maintenu au 1er juin, au stade Roi Baudouin, à Bruxelles. Infos : www.cclive.be

Philippe Cornet

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