Etincelles, conquérants, guides… A l’heure des technologies nouvelles, 100 000 jeunes abandonnent TV et chats sur Internet pour des journées de marche et des nuits sous la tente. Scouts et patro retrouveraient-ils une seconde jeunesse ?
Aline (11 ans) est sur un petit nuage. Le sourire doré par le soleil, des échardes aux pieds et aux mains, elle est revenue, la veille, de son camp, pas peu fière d’avoir été le » lutin à l’honneur » lors du hike : elle, qui n’aime pas la randonnée, a marché 28 kilomètres sans rouspéter. C’est sûr, l’an prochain, elle fera sa promesse : elle pense s’engager à » semer de la joie autour d’elle « . Elle rêve déjà à son » totem » quand elle sera guide : on lui donnera sans doute un nom d’oiseau, peut-être celui de pinson. En attendant, c’est tout le chansonnier scout qu’elle impose à la famille.
Veillées, rassemblements… Il n’y a pas grand-chose de changé sous le soleil du patro, des guides (à l’origine, la branche féminine du scoutisme), des scouts catholiques ou pluralistes. Selon le mémoire de Dominique Dubruille, Une géographie des mouvements de jeunesse en Belgique francophone (ULB, 2001-2002), ces mouvements comptent près de 100 000 membres, soit 8,6 % des 5-24 ans, avec des pointes de 13,5 % dans les communes aux revenus élevés et presque 30 % dans des quartiers aisés de Bruxelles. » C’est un des taux de pénétration les plus élevés d’Europe « , assure Benoît Hennaut, président de l’équipe pédagogique des scouts et guides pluralistes (SGP). Après avoir longtemps souffert d’une mauvaise image de marque, les mouvements de jeunesse semblent susciter un regain d’intérêt, surtout aux yeux des psys et des pédagogues.
A première vue, ils rament pourtant à contre-courant. Alors que la mixité a été imposée aux écoles, elle n’a gagné que 60 % des sections des scouts catholiques, la moitié des unités de patro et 1 groupe sur 5 chez les guides. Autre exemple : tous les mouvements sont attachés à l’uniforme û même s’il se limite parfois au foulard û que seuls quelques établissements scolaires, souvent élitistes, ont conservé. Enfin, dans une société où les rites de baptême, de communion et de mariage sont en chute libre, patro, guides et scouts formalisent, au cours de cérémonies plus ou moins ludiques, le passage d’un groupe à l’autre, l’engagement ou la » totémisation « .
Mai 68 n’aurait-il pas eu de prise sur eux ? Voire. » Après, on a encore eu l’air plus rétro « , se lamente Hennaut. Les mouvements de jeunesse ont connu une véritable explosion après la Seconde Guerre mondiale (merci le baby-boom) et jusque dans les années 1960, la décennie la plus faste pour la plupart d’entre eux. La progression a été suivie, d’une stagnation, voire d’une érosion, sauf chez les scouts catholiques, le mouvement le plus important avec ses 45 000 membres, en augmentation constante depuis leur création, en 1912.
Quel intérêt ?
Des accidents, exceptionnels mais dramatiques, n’ont pas servi leur cause. Comme celui qui a dernièrement coûté la vie à une fillette flamande sur une route de Clavier (Liège). Ou comme la noyade en mer de scouts français sous la responsabilité d’un prêtre intégriste, appartenant à une unité non reconnue par l’organisation internationale. » On ne se retrouve pas dans le cliché du boy-scout, catho, voire un peu facho, qui aide une vieille dame à traverser la rue « , résume le pédagogue des SGP. Françoise de Bournonville, cheftaine des guides catholiques, parle, quant à elle, de » société du zapping » : » A un certain âge, les parents préfèrent inscrire leur enfant à un loisir ô utile « , à l’académie ou à un club de sport, précise-t-elle. Or nous, nous ne délivrons ni certificat ni diplôme. Et l’intérêt d’apprendre à faire un feu ne saute pas aux yeux… »
Quoique. En septembre 2001, le décret de la Communauté française sur les centres de vacances a permis d’attribuer, pour la première fois, des subsides aux camps des mouvements de jeunesse (un peu plus de 1 euro par enfant et par jour) et d’encourager la formation de leurs animateurs. Il s’agit d’une reconnaissance officielle. » On fait chez nous des choses qu’on ne fait pas ailleurs « , affirme Hennaut. L’endroit de camp des guides ou des scouts se résume souvent à une prairie isolée. Tout est à construire avec du bois et de la corde : les pilotis sur lesquels jucher les tentes, les tables, les bancs, la feuillée (les toilettes de campagne)… Cela paraît nettement moins ringard depuis le développement du sport aventure !
Par ailleurs, les mouvements n’ont plus peur d’affirmer leurs codes et leur symbolique, de plus en plus dépouillés de toute référence religieuse. Les rites permettent aux enfants d’ » être reconnus et intégrés dans le groupe « , explique le patro sur son site. » Alors que les pédagogues et les psychologues se plaignent d’une société sans repères, comme l’écrit Philippe Merieu dans son dernier livre, cela ne dérange pas l’enfant de s’entendre opposer un ô non » argumenté « , croit Pierre Scieur, président des scouts catholiques. Une partie de ces mêmes spécialistes redécouvrent l’intérêt de la non-mixité. » Quand son identité sexuelle est en pleine construction, le jeune, pris dans un jeu de séduction, ne serait vraiment naturel qu’avec des gens du même sexe, explique Hennaut. Sans parler de la répartition des charges et des corvées entre les filles et les garçons, vite déséquilibrée dans une troupe mixte. »
Enfin, » les parents apprécient des groupes structurés, surtout dans les familles éclatées « , ajoute Françoise de Bournonville. Chefs de patrouille (CP) et sizeniers (aînés à la tête d’un groupe de six) distribuent ordres et tâches avec une autorité à faire pâlir bien des adultes. Par ailleurs, les longs moments passés entre jeunes du même âge permettent à ceux-ci de partager leurs expériences, leurs problèmes, leur vécu… » Il est important de conserver des espaces de parole et de liberté, où l’on continue à refaire le monde, résume Scieur, pour ne pas abandonner les enfants à la télévision. »
Dorothée Klein