Titres au porteur : une mort annoncée
Cette spécialité bien de chez nous vit ses derniers moments. Et cette réalité-là aura bien plus d’impact que la directive européenne sur l’épargne
Un fiscaliste déclarait récemment que la suppression des titres au porteur était un élément cent fois plus important que la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne. Si l’affirmation est un peu excessive, il faut admettre qu’on ne parle pas toujours le plus des évolutions les plus fondamentales.
Les titres au porteur sont le contre-pied des » titres nominatifs « . En d’autres termes, ceux qui les détiennent sont considérés comme leurs propriétaires. En Belgique, ce type de titres est extrêmement populaire û nettement plus d’ailleurs que dans d’autres pays européens û en raison précisément de l’anonymat qu’ils garantissent. Trop populaires même, aux yeux de l’Etat belge, car ces titres permettent d’éluder les droits de donation et de succession et, donc, de transmettre » gratuitement « , certains éléments du patrimoine aux générations suivantes. Le tour de passe-passe familial est bien connu : le » pater familias » d’une société familiale est le seul à participer à l’assemblée générale. Le solde des actions » disparaît » pour ainsi dire et ne réapparaîtra pas avant le décès du » pater familias « . Autrement dit, parfois après de nombreuses années. Après le décès, les actions disparues réapparaissent comme par enchantement. Et qui en sont les propriétaires ? Les enfants, bien sûr ! On découvre alors qu’ils en sont propriétaires depuis des années, suite… à une donation manuelle.
Cette façon d' » oublier » ces obligations fiscales, archiconnue, est désormais dépassée. En outre, ceux qui souhaiteraient vendre ce type de titres ou les proposer au guichet de leur banque pourraient être confrontés à un problème de taille : leur provenance. Quant à ceux qui en héritent, ils peuvent être contraints de répondre aux questions embarrassantes de l’administration fiscale. Celle-ci a en effet le droit de demander, après le décès, des informations détaillées sur toutes les transactions de la personne décédée ou de son époux(se) à la banque, auprès de l’assureur ou de toute autre institution. Ces transactions peuvent remonter à trois ans avant le décès. Cela signifie que l’administration fiscale peut retrouver toutes les transactions de vente et d’achat de titres, tout comme la perception de coupons qui n’auraient pas été déposés sur un compte ou versés sur un compte de transit (une pratique devenue impossible aujourd’hui) par la personne décédée ou son époux(se). Si une personne a acheté à sa banque des titres au cours des trois années précédant son décès, l’administration fiscale peut donc en être informée, après s’être simplement renseignée auprès de la banque. Autrement dit, l’anonymat dont de nombreux Belges pensaient bénéficier est très relatif…
A partir de 2008, plus aucun titre permettant à son détenteur de conserver l’anonymat ne pourra être émis. Les titres au porteur peuvent encore être émis mais ils ne pourront plus être matérialisés (livrés physiquement). Fin 2012, les titres au porteur imprimés n’existeront plus. Les titres au porteur aujourd’hui rangés dans un coffre devront donc, à l’horizon 2014, avoir été déposés sur un compte-titres. Reste à savoir quelles sanctions seront prises à l’encontre des contribuables qui détiendront encore des titres au porteur matérialisés, passé ce délai.
Panique à bord ? Pas encore. Pour l’heure, les titres au porteur peuvent déjà être déposés sur un compte ou inscrits au nom de leur propriétaire. Diverses possibilités existent : la donation notariée en Belgique ou à l’étranger (les exemples les plus connus étant ceux des Pays-Bas et de la Suisse), la donation indirecte (par virement) et la donation camouflée (qui se présente comme une opération contre paiement direct, par exemple sous la forme d’une vente ; dans ce cas, une partie demande un prix X en contrepartie de titres, mais l’argent ne change jamais de mains et les titres sont donc offerts). La sensible baisse du taux applicable aux donations en Flandre, à Bruxelles et bientôt (en septembre ?) en Wallonie û l’avant-projet de loi a été approuvé û devrait simplifier le transfert et diminuer son coût.
Danny Reweghs
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici