Thalys : l’Etat islamique projette sa guerre en Europe

Notre pays apparaît, une fois de plus, comme une base logistique et de repli pour un terrorisme mutant et opportuniste, guidé à distance par l’Etat islamique et son sinistre fanzine, Dar al-Islam.

Ayoub el-Khazzani, 25 ans, le Marocain surarmé, terrassé par six hommes dans le Thalys Amsterdam-Paris, n’a pas réussi son coup, le 21 août, peu avant 18 heures : semer l’horreur et la dévastation parmi les 500 passagers de ce train ultrafréquenté, symbole d’ouverture et d’échanges au sein de la zone la plus peuplée d’Europe, la plus saturée, aussi, d’idées, de création et de liens affectifs. Au contraire : des héros se sont levés et l’ont plaqué au sol, au risque de leur vie. L’un d’entre eux, Mark Moogalian, professeur d’anglais à la Sorbonne, a arraché la Kalachnikov du jeune homme, précédant l’action parfaite du trio d’amis américains et du sexagénaire britannique reçus le 24 août à l’Elysée et décorés de la Légion d’honneur par le président François Hollande, en présence des Premiers ministres belge et néerlandais. Blessé par l’arme de poing du terroriste, le franco-américain Mark Moogalian était dans un état préoccupant en ce début de semaine.

En dépit de son échec, malgré tout, retentissant, et du fait d’Américains, ce qui doit en remettre une couche dans l’humiliation, l’acte d’Ayoub el-Khazzani n’est, hélas, pas le dernier de la série.  » La France doit se préparer à d’autres assauts « , a déclaré François Hollande, dont le pays est particulièrement visé depuis le début de l’année et qui est, en chiffres absolus, celui qui, en Europe, a fourni le plus de combattants à l’Etat islamique. La Belgique, elle, est championne par le nombre relatif de djihadistes rapportés à sa population. D’autres attentats pourraient encore avoir lieu sauf si le vivier de soutien s’assèche, autrement dit, si personne, absolument personne, ne donne de coup de main aux  » fous de Dieu « , fût-ce pour les héberger ou a fortiori leur fournir de l’argent, des faux papiers, des armes ou des gsm.

Depuis l’apparition du terrorisme islamique dans les années 1980, la Belgique a souvent servi de base logistique et de repli. Ses services de sécurité n’ont pas chômé. Ils ont contribué à prévenir des attentats sur le territoire national comme dans les pays voisins. Mais ce n’est pas suffisant : les armes de guerre circulent trop facilement, l’anonymat des grandes villes et un réseau dense de communication, proche de toutes les frontières importantes, font que notre pays reste une plaque tournante. La volonté du ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V), de s’attaquer au trafic d’armes de guerre sera-t-elle suivie d’effet ?

L’attentat contre le Musée juif, le 24 mai 2014, a été le premier signe d’une intensification du risque terroriste, sans que le niveau d’alerte soit maintenu à un niveau particulièrement élevé, sauf pour les sites habituels : institutions juives, ambassade américaine, palais de justice et commissariats de police. Les menaces contre la Belgique transmises, le 20 août, par un djihadiste anversois de l’Etat islamique (EI) au chercheur Montasser Alde’emeh, ne semble pas avoir de lien avec l’attentat manqué contre le Thalys. Elles témoignent cependant d’un climat d’hostilité grandissante. Actuellement, seule l’Allemagne est épargnée par la logorrhée guerrière du califat, alors que la France, elle, est visée en paroles et en actes.

Ayoub el-Khazzani est entré légalement en Espagne en 2007 par le biais d’un regroupement familial avec son père, originaire de Tétouan, dont le séjour avait été régularisé. L’une de ses soeurs habite à Molenbeek. Lui-même y aurait vécu, ainsi qu’à Mortsel, dans la banlieue anversoise, sans lien apparent avec Sharia4Belgium. Le 23 août, les domiciles d’un de ses amis et de sa soeur,  » Oum Badr  » (surnom qui témoigne de son appartenance au milieu salafiste), ont été perquisitionnés par la police judiciaire fédérale. L’auteur de l’attentat manqué du Thalys avait-il un lien avec la cellule terroriste démantelée à Verviers et à Molenbeek, le 15 janvier dernier, et qui recevait ses ordres opérationnels d’un membre belge de l’Etat islamique, Abdelhamid Abaaoud ?

Les services de police et de renseignement reconstituent son réseau relationnel et ses multiples déplacements en Espagne, France, Andorre, Belgique, Allemagne, Autriche, Turquie… Ainsi que sa configuration familiale particulière : son frère aîné faisait des prêches extrémistes dans une petite mosquée salafiste fréquentée par la famille el-Khazzani, à Algésiras, motif de son expulsion vers le Maroc. Ayoub était fiché comme radical par les services de renseignement de quatre pays différents, dont la Belgique. Il était fiché, pas surveillé. Opération qui, lorsqu’elle est menée correctement, mobilise 24 personnes pour un seul homme. Les services secrets disposent de trop peu de moyens humains ou légaux pour filer ou arrêter tout ce beau monde.

Dans sa version 3.0, le terrorisme islamique n’est plus national (GIA algérien, GICM marocain, etc.) ni pyramidal (Al-Qaeda), mais horizontal, pratiqué par des pairs, membres d’une même famille ou d’un même voisinage, unis par des liens matrimoniaux. Ayoub el-Khazzani est le clone des Mehdi Nemmouche (Musée juif de Belgique), des frères Kouachi (Charlie Hebdo), d’Amedy Coulibaly (Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, à Paris), de Sid Ahmed Glham (attentat déjoué contre une église de Villejuif et assassinat d’une jeune femme), de Yassin Salhi (décapitation d’un chef d’entreprise près de Lyon), sans compter les autres, présentés comme des illuminés, qui ont lancé leur voiture sur la foule ou sorti leur couteau sans conséquence.  » Il y a beaucoup d’incompétence dans ces actions, décode Didier Leroy, chercheur à l’Ecole royale militaire et assistant à l’ULB. On frappe à l’aveuglette et en terrain de proximité, sans avoir l’aval des supérieurs. Pour pallier cette structure molle, il faut un liant. Et la glu, c’est l’idéologie, une bigoterie superficielle et incohérente qui est la marque du salafisme dans le champ islamique. Celui-ci n’a rien à voir avec le Moyen Age musulman mais beaucoup avec l’imagerie de Mad Max ou des mangas japonais comme Ken le Survivant.  »

Cette nouvelle levée d’apprentis terroristes, qui peut parfois apparaître comme des  » bras cassés « , à la lisière du désordre mental, obéit à une stratégie définie par l’idéologue de l’Etat islamique, aujourd’hui, disparu des écrans radar après sa libération par le régime syrien (à qui il avait été livré par la CIA) : Abou Moussad al-Souri. Les textes principaux de cet idéologue syrien de 57 ans, devenu espagnol par son mariage, ont été traduits par l’islamologue français Gilles Kepel dans Terreur et martyre (Flammarion, 2008). Pour cet ancien d’Al-Qaeda passé par la branche paramilitaire des Frères musulmans syriens, l’Europe est la première cible car elle est considérée comme le ventre mou de l’Occident. Dans son opus de plus de 1 000 pages, Appel à la résistance islamique mondiale,écrit après le 11-Septembre, Abou Moussad al-Souri prône la création de cellules clandestines sans liens avec un commandement central, pour éviter de se faire repérer.  » A un terrorisme hâtif de destruction massive devenu impraticable, décrit Gilles Kepel, il oppose la multiplication d’actions quasi « spontanéistes », mises en oeuvre au long cours par des djihadistes autoradicalisés grâce aux sites de partage de vidéos – prolongés par quelques stages de formation in situ – incités à choisir eux-mêmes, dans leur proximité, une cible opportune.  » Les cibles conseillées par al-Souri sont les musulmans qui s’écartent du groupe, les Juifs et les blasphémateurs, de façon à s’attirer la bienveillance de la communauté musulmane et d’attiser les tensions entre cette dernière et les populations autochtones. Cette agitation devrait conduire à des guerres civiles européennes et faciliter la victoire finale de l’islam.

La pensée d’al-Souri est illustrée par le magazine français de propagande de l’Etat islamique, Dar al-Islam, dont le PDF est disponible sur Internet depuis décembre 2014. Manifestement rédigé par des professionnels franco-belges d’origine maghrébine (la mystérieuse agence multimédia Al-Hayat fondée en mai dernier), il vise à recruter des combattants étrangers dans le domaine francophone. Son numéro 5, comptant 50 pages richement illustrées, est sorti à la mi-juillet (chawwal 1436). Des citations du Coran ou des hadith (faits et gestes du Prophète rapportés par la Tradition) émaillent tous les articles. Le premier démontre longuement pourquoi s’opposer à l’Etat islamique relève de la mécréance et est comparable à une apostasie, punie de mort dans l’islam. Il est destiné à agir sur le moral de tous les musulmans, qu’ils soient ou non combattants. Le deuxième présente la façon dont s’exerce la  » justice d’Allah  » à l’égard des Gens du Livre qui, s’ils font allégeance, auront la vie sauve dans les territoires régis par la charia. Pas de pitié, en revanche, pour les Yézidis (NDLR : religion monothéiste d’inspiration iranienne antéislamique), qui peuvent être asservis,  » vendus par les soldats de l’Etat islamique comme les mécréants étaient vendus par les Compagnons (qu’Allah les agrée) avant eux « . Les Compagnons du Prophète, s’entend. Vient ensuite un article sur la libération des prisonniers en islam. Puis,  » les règles de sécurité du musulman « … Le parfait manuel pour apprenti terroriste.

Sur quatre pages, Dar al-Islam détaille comment le musulman  » qui veut agir et élever la parole d’Allah en terre de mécréance et de guerre doit pratiquer la dissimulation et s’habituer au secret. Afin de ne pas se faire arrêter par les agents du Tâghoût (NDLR : tyran), il doit suivre tout un ensemble de règles. Le fait de ne pas suivre ces règles par négligence, prétendant vouloir élever la parole d’Allâh sur Internet, est une grave erreur car c’est se nuire à soi-même, à sa famille et aux frères avec qui on travaille pour faire triompher la religion d’Allâh « .

Après les références religieuses, tirées du Coran ou des hadiths, on entre dans le concret : les règles de sécurité dans le domaine informatique (VPN, Tor, TrueCrypt), les règles de sécurité au quotidien (si on veut se rendre en Syrie, faire sa hijrah, émigration en terre d’islam) ou si on veut faire  » une opération sur place « . Autrement dit, un attentat. D’abord, le candidat au martyre doit faire allégeance au calife de l’Etat islamique, filmer, si possible, cette allégeance et l’envoyer à quelqu’un, en terre d’islam, qui la fera suivre au responsable médiatique de l’Etat islamique. Ensuite, se méfier des filatures, des balises posées dans les voitures, des micros dans les appartements, ne communiquer que par écrit et détruire ensuite le papier. Se couper la barbe, adopter un look  » jeune de cité « , ne pas parler de son projet. Déposer les armes achetées dans un box loin de chez soi ou, si ce n’est pas possible autrement,  » être prêt à les utiliser contre la police si elle vient l’arrêter « . Le magazine recommande de  » toujours viser les endroits fréquentés, tels que les lieux touristiques, les grandes surfaces, les synagogues, les églises, les loges maçonniques, les permanences des partis politiques, les lieux de prêche des apostats, le but étant d’installer la peur dans leur coeur.  »

Par Marie-Cécile Royen

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