T’es rock coco ?
Dans un marché saturé de genres et de concepts, certains nouveaux venus comme Kings of Leon ou The Thrills perpétuent une » certaine innocence rock’n’roll « . Pureté ou puritanisme ?
Kings of Leon, CD Youth & Young Manhood, chez BMG, The Thrills, CD So Much for the City, chez Virgin. Egalement paru, le second CD à haute énergie rock’n’roll, mais sans surprises, de Black Rebel Motorcycle Club, Take Them On, On Your Own, chez Virgin.
La curiosité du moment s’appelle Kings of Leon et ressemble à un mélange de quatre Dalton et d’autant de Ramones habillés dans un surplus du Tennessee : tee-shirts trois tailles en dessous, jeans de la guerre de Sécession et cheveux taillés dans la coupe Grand Funk 1973 avec, pour l’un ou l’autre, une pilosité à la Charles Manson sur des visages postadolescents. Carte rétro pathétique ou simple image de quatre jeunes gens élevés dans les restrictions de la religion pentecôtiste au sein de l’Amérique très profonde ? Leur premier album justement titré Youth & Young Manhood donne quelques éléments de réponse. D’abord, sur la spiritualité des trois frères Followill (Nathan, Caleb et Jared) et de leur cousin Matthew : ce n’est pas une métaphore que d’écrire qu’ils mettent autant de passion dans leurs chansons express que papa Followill – fan de Neil Young – calait d’impétuosité dans ses sermons conservateurs. Les quatre quasi-gamins – entre 17 ans et 23 ans – déboulent avec des chansons parfois si fortement scandées ( Joe’s Head, Trani) qu’elles sont de toute évidence la preuve de l’existence du rock sur terre. Les thèmes rappellent aussi que Kings of Leon explorent souvent la réalité via le prisme d’une congrégation religieuse qui, comme tout corps social, est nourrie de vices autant que de vertus : Joe’s Head raconte l’histoire d’un type qui tue sa femme adultère et l’amant de celle-ci, et Holly Rover Novocaine décrit les man£uvres d’un pasteur corrompu par les tentations de la chair.
The Thrills, transfert dans le temps ?
A l’opposé d’un éclairage sombre sur l’Amérique rurale où elle vit toujours – précisément à Nashville – cette marmaille donne à son rock un tonus réjouissant. Il y a dans ces morceaux emportés, et qui ne traînent rien en longueur, une vraie charge émotionnelle et une fraîche grâce mélodique. Le petit miracle est là : malgré un CV et une allure qui pourraient d’emblée les statufier en caricatures, Kings of Leon poussent à l’enthousiasme. Leur » garage-rock « , aménagé de quelques moments bluesy, pourrait dater de 1966 ou de 1977, mais il parvient à séduire les oreilles de 2003. Preuve, s’il en est, de l’intemporalité de Dieu ou du bon rock.
Avant l’été, la presse d’outre-Manche a déchargé sur The Thrills, quintette de Dublin, son habituel container de superlatifs, suffisamment pour que l’on ait d’emblée envie de passer à autre chose. Dithyrambe fiévreuse probablement dans l’espoir d’aligner un concurrent capable de contrer l’invasion US du renouveau rock dans la foulée des Strokes ou des White Stripes. Mais, avec The Thrills, on a plutôt Mercury Rev mâtiné de rêveries Beach Boys et de folk dylanien. So Much for the City, premier CD des Irlandais, regorge d’ailleurs de références nord-américaines, que ce soit dans la géographie des lieux incriminés (Santa Cruz, Big Sur, Las Vegas…) ou dans l’utilisation d’harmonies vocales et d’une douceur amniotique ( Deckchairs & Cigarettes) parfaites réminiscences de la grande pop US des années 1960. Comme Kings of Leon, The Thrills sauvent leur peau et échappent au pur syndrome de copieurs sans saveur, par un savoir-composer artisanal, presque champêtre, décalé de notre époque. Loin, donc, des maniaqueries digitales, tout autant que des » rébellions » à la Hives ou Vines, The Thrills utilisent la joliesse rassurante de mélodies imparables ( Old Friends, New Lovers), l’orgue et l’harmonica » Dylan 66 » ( Till the Tide Creeps), voire le décalage country-pop ( Hollywood Kids, Just Travelling Through) pour devenir les nouveaux Byrds ou Flying Burrito Brothers. Ce qui ne dira pas grand-chose à grand monde : alors autant simplifier en positionnant ces cinq jeunes Européens comme des rêveurs éternels d’Amérique. l
Philippe Cornet
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