Ternay ou Guitry côté jardin

En octobre 1937, le célèbre dramaturge a le coup de foudre pour ce château des Yvelines et pour son parc, peu de temps avant d’en vivre un pour Geneviève de Séréville. Et si son fantôme hantait encore le couloir où il chercha l’inspiration ?

Ternay, c’est Guitry côté jardin ; c’est sa résidence secondaire, sa campagne. Ce charmant château, sis à Fontenay-le-Fleury (Yvelines) tient son nom du latin terni ( » par trois « ), car ses premiers propriétaires, détenteurs au XIe siècle du fief de Bicherel, possédaient deux autres domaines dans la région et appelaient donc cette terre la  » terna « , la troisième. Jusqu’au XVIIe siècle, Ternay appartient aux familles aristocratiques de Montlhéry-Chevreuse, Le Vicomte et de Vendôme. A partir du XVIIIe, de grands conseillers issus de la cour de France y habitent, tel Didier Fontaine, secrétaire du roi, de la maison de France et des Finances, ou François Grassot, secrétaire général des galères du roi. Puis, le 20 novembre 1770, Louis XV, cherchant à étendre son domaine, entre en possession du fief de Ternay par un contrat d’échange avec le duc de la Vrillière. Louis XVI en hérite à la mort de son grand-père et autorise des particuliers qu’il souhaite honorer à y séjourner. A la Révolution, Ternay devient un bien national et la municipalité, venue perquisitionner, n’y trouve qu’une grande horloge de fer, qui devient la première horloge publique de Fontenay-le-Fleury. Puis Ternay est vendu aux enchères, pour 52 000 francs, à un Parisien nommé Desplasses.

Enfin, en octobre 1937, alors que le château appartient depuis six ans au fleuriste Dessus, enrichi par sa boutique de la place Vendôme, Ternay reçoit un prestigieux visiteur : Sacha Guitry, qui cherche un havre de paix pour travailler loin, mais pas trop, du chaos parisien. D’emblée, il tombe sous le charme du domaine et, le lendemain, signe l’acte d’achat.

S’il appartient, depuis peu, à la congrégation des soeurs augustines, qui y ouvrira une école en septembre prochain, loin de l’ambiance des pièces de Guitry, le château n’a guère changé depuis 1937. A son entrée dans les lieux, l’auteur de Faisons un rêve fait exécuter de nombreux travaux, afin de bâtir un petit nid douillet – où le personnel, néanmoins, l’appelle  » Maître « , comme à Paris… Ternay est une bâtisse de 650 mètres carrés sur trois étages, plus un grand grenier, où Guitry entreposait décors et costumes, et une imposante cave. Au rez-de-chaussée se trouvent l’entrée, un large salon suivi d’une vaste salle à manger, ainsi qu’un deuxième salon, plus modeste, d’où s’échappe un étroit passage menant aux cuisines. Une quinzaine de chambres occupent les étages – celles du troisième sont dévolues au personnel…

Mais le vrai charme des lieux est dans le parc : jadis 7 hectares de jardin, dont il ne reste aujourd’hui que 1 hectare et demi. La nature, sauvage, à l’anglaise, s’étend à perte de vue, dominée par un massif et majestueux pin noir d’Autriche vieux de 250 ans, sans doute planté par le colonel de Clérambault, du régiment du duc de Bavière.

En toute liberté, poules, lapins, moutons, caniches… et même une petite guenon

En octobre 1937, lorsque Guitry achète la maison, il est marié à Jacqueline Delubac, avec qui les relations se détériorent déjà : Jacqueline ne mettra pas les pieds à Ternay. Mais Sacha a rencontré, un mois plus tôt, sa future quatrième épouse, Geneviève de Séréville, qui séjournera ici, à son côté, pendant plusieurs années. La belle Geneviève n’a alors que 23 ans – elle prétend même en avoir 19 – et vient d’être élue Miss Cinémonde. Invitée à la générale de Quadrille, elle se dirige ensuite vers la loge de Guitry, sans grand enthousiasme. Mais, lorsque celui-ci paraît, le coup de foudre est réciproque :  » Nous nous regardons avec surprise, avec émotion… et c’est seulement à cette minute que je le vois vraiment pour la première fois. […] Je suis subjuguée. J’ai perdu pied… C’est à cet instant précis que je suis entrée dans sa vie. Nous le percevons déjà tous les deux confusément « , raconte- t-elle dans Sacha Guitry, mon mari.

Guitry se sépare de Jacqueline Delubac et emmène pour la première fois Geneviève à Ternay. Il voit une véritable analogie entre le château et sa jeune fiancée, deux beautés à l’image l’une de l’autre qui constituent son trésor personnel, son bonheur secret. Afin d’égayer l’immense parc, Guitry y lâche un grand nombre d’animaux, en toute liberté : l’ânesse Follette, âgée de 35 ans, fidèle amie des Guitry et autorisée à pénétrer jusque dans la salle à manger, mais aussi des dizaines de poules, des lapins, des moutons, des caniches… et même une petite guenon nommée Lakmé, ainsi que d’autres espèces exotiques peu farouches. Mais cet engouement pour les animaux naît chez Guitry pour une raison particulière : de Geneviève il aime vanter le regard de biche ; or, par hasard, celle-ci rencontre lors d’une promenade une jeune biche, que Guitry installe immédiatement à Ternay, comme un symbole de leur amour…

C’est à Ternay que Sacha et Geneviève célèbrent leur mariage, le 4 juillet 1939. Mais en 1945, Guitry entame une cinquième et dernière liaison, avec Lana Marconi :  » Madame, vous serez ma veuve « , lui lance-t-il. Mariée à Sacha en 1950, à Paris, elle ne vient pas à Ternay aussi souvent que Geneviève. Cependant, elle y fête une fois son anniversaire, et incite le dramaturge à y écrire en plein air, dans le parc : peine perdue, car Guitry se plaint constamment des insectes, du vent, du soleil…

Lana Marconi hérite de Ternay en 1957, à la mort du  » Maître « . Liée à Clément Duhour, qu’elle appelle  » (son) homme d’affaires personnel « , elle le charge de vendre Ternay le plus rapidement possible, et ne vient même pas y récupérer les affaires de son mari, qui seront vite dispersées, hormis de nombreux miroirs – il en avait fait installer dans toute la maison. Ainsi, Ternay ne garde de Guitry que ce qui refléta son image…

A lire : Sacha Guitry, Un Fontenaysien célèbre, par l’association Fontenay-le-Fleury d’hier à aujourd’hui, présidée par Micheline Couillet-Tourtebatte

Dans notre numéro du 17 juillet : la Côte d’Azur.

Par Joséphine Manière. – Photos : Jean-Luc Bertini pour Le Vif/L’Express

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