Tax-shift

Pierre Havaux
Pierre Havaux Journaliste au Vif

Ou comment s’enorgueillir d’un basculement fiscal qui épargne la spéculation, les grosses fortunes et les voitures de société et ne peut garantir la création d’emplois qu’il ambitionne.

Le gouvernement Michel était attendu au tournant sur son virage fiscal. L’exécutif fédéral (N-VA – CD&V – Open VLD – MR) est parvenu à servir au contribuable une mixture à l’anglaise : le tax-shift. Du copieux au menu : réduire significativement l’impôt sur le travail et les charges patronales de manière inconditionnelle pour améliorer la compétitivité des entreprises, inciter les patrons à embaucher, stimuler la croissance et améliorer le pouvoir d’achat. Rien que ça.

Que peuvent vouloir de plus les masses laborieuses ? Elles ne seront pas oubliées dans ce cercle vertueux. Il est promis aux bas et moyens salaires une augmentation en net de 100 euros par mois. Un salarié sur deux se verra récompensé de son ardeur au travail d’ici à 2019.  » Cette mesure est sans précédent dans l’histoire politique récente de la Belgique « , s’enthousiasme la nouvelle ministre du Budget, Sophie Wilmès (MR).

Historique. Le gouvernement fédéral n’a pas jugé le terme trop fort dans sa com pour qualifier son vaste rééquilibrage de la charge fiscale, et saluer le joli coup de pouce donné au monde patronal et à sa soif d’entreprendre. Le patronat nordiste est proche de l’extase :  » C’est la plus grande réforme communautaire du pays « , s’est ainsi réjoui Michel Delbaere, l’ex-président du Voka, l’organisation patronale (très) flamande.

L’ampleur des moyens débloqués sera à la hauteur : près de huit milliards d’euros en réductions d’impôts prévus sur la législature, à compenser d’une manière ou d’une autre. Pas de malentendu, en effet : ceci est bien un glissement fiscal. Qui montre ses limites. Johan Van Overtveldt, ministre N-VA des Finances, en convient :  » Si nous avions également dû procéder à une simplification de la fiscalité, nous n’aurions pu mener à bien cette entreprise.  »

Pas touche à la myriade de niches fiscales qui sont autant d’insultes au principe de l’égalité de tous devant l’impôt. Le logiciel fiscal n’a pas été fondamentalement reconfiguré. Il n’est que partiellement reprogrammé.

La chasse s’est ouverte pour localiser les groupes cibles qui devraient être mis à contribution afin de supporter cet allègement fiscal qui fera le bonheur du travailleur comme de l’entrepreneur. Les accros à la spéculation financière ? Erreur. Les détenteurs de grosses fortunes ? Toujours faux. Les voitures de société fiscalement privilégiées ? Encore raté. Les fraudeurs, alors ? Ça devient un chouia plus chaud : ils seront admis à régulariser leur situation scabreuse par un mécanisme permanent.

Il faudra bien que quelqu’un passe à la caisse. Régions et communes, affectées par les remaniements en matière d’impôt sur les personnes physiques, se sont d’emblée signalées parmi les victimes non consentantes. Wallons et Bruxellois, déjà bien dans la dèche, ont été les plus forts à hurler au hold-up fédéral.

Ce sont surtout le consommateur et le travailleur qui vont trinquer. Grand classique : hausse des accises sur le diesel, le tabac, les alcools, les sodas, le tout agrémenté d’un relèvement de la TVA sur l’électricité de 6 à 21 %. Ce qui, tout bien pesé, fait dire à Johan Van Overtveldt que le cumul de ces frappes chirurgicales ne fera que peu de victimes :  » Celui qui fume comme un pompier, boit comme un templier, écume les routes dans un véhicule au diesel et pense avoir besoin de la chirurgie esthétique, sera fortement pénalisé par l’ensemble des mesures gouvernementales.  »

Quant au reste de la facture à éponger, on avisera en temps voulu. Il resterait encore plus de deux milliards à dénicher pour financer intégralement l’opération, a concédé Sophie Wilmès, dès son entrée en fonction au Budget. Le démenti de son collègue des Finances n’a pas suffi à évacuer le mauvais pressentiment : ce tax-shift pourrait bien se révéler impayable.

 » Jobs, jobs, jobs ! « , martèle le Premier Charles Michel. La petite musique doit chatouiller agréablement les oreilles des patrons. A eux de renvoyer l’ascenseur. Promis juré : ils feront tout leur possible. Mais s’engager fermement serait délirant. Johan Van Overtveldt compatit :  » Si le tax-shift nous permet de conserver un grand nombre d’emplois en dépit d’un repli de l’activité économique, il sera bien sûr très difficile de calculer le bénéfice de ce grand virage fiscal en termes de création d’emplois.  » Le mot d’excuse est déjà prêt.

Pierre Havaux

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