Logiciels espions dans les portables, gps dans les sacs à dos… Des parents ultraprotecteurs surveillent leur progéniture à l’aide de gadgets high-tech. Flicage ou protection ?
Plus fort que Big Brother, Big Mother ! En duo avec son compagnon, cette mère appartient à cette nouvelle espèce de géniteurs surnommés les » parents hélicoptères « . Des hyperparents qui tournoient sans cesse autour de leurs enfants, se transformant le week-end en assistants personnels pour les conduire à la danse ou au hockey… Des parents particulièrement intrusifs, notamment en surveillant leurs ados sur Facebook (lire Le Vif/L’Express du 25 janvier 2012).
Dans cet exercice, ils ne manquent pas d’imagination, ni de moyens. Aidé par la technologie, l’espionnage familial semble en pleine expansion. Ainsi, ces parents équipent leurs enfants de balises gps portatives, vendues, par exemple, par la société Ma p’tite Balise. De la taille d’une clé de voiture, il s’agit d’un boîtier qu’il suffit de glisser dans le cartable ou la poche du blouson. Doté d’un bouton SOS, il permet, depuis un ordinateur ou un smartphone, de les localiser en permanence, avec une précision garantie de trois mètres. Les parents angoissés peuvent aussi équiper leurs enfants d’une balise gps Trax, dont la marge d’erreur est également de trois mètres, qui permet de délimiter des zones qui leur sont défendues sur une carte interactive. Ils sont alertés dès que l’enfant y pénètre.
Les ados n’échappent pas, eux non plus, aux applis de contrôle à distance, bien moins coûteuses. Telle Alert Us. Son principe est simple : les parents sont avertis de l’arrivée de leur progéniture à l’école ou à la maison, sans avoir besoin d’envoyer des messages. En cas d’accident, l’enfant peut prévenir ses parents ou tout autre » protecteur » dont le contact est enregistré. Une alerte est également envoyée aux différents services de secours. » Depuis septembre, ma fille aînée se rend seule à l’école. Dès qu’elle franchit les grilles, je suis prévenu avant même que le prof n’ait eu le temps de faire l’appel, raconte Stéphane. C’est automatique. Plus d’inquiétude si elle oublie de m’envoyer un sms pour me dire qu’elle est bien arrivée. » C’est ainsi que Emma, 12 ans, ne se déplace plus jamais sans son gps au fond de sa poche, pour se rendre en classe ou au poney-club.
Ces nouveaux espions pullulent sur l’App Store et sur l’Android Market. Ainsi iChaper. Le diminutif de » chaperon « , dans une version modernisée et terriblement efficace. Une fois iChaper téléchargé sur le smartphone de l’enfant, les parents peuvent gérer le nombre d’appels et les sms en fonction de tranches horaires (éviter les heures de cours, par exemple), choisir les applications mobiles appropriées… L’appli géolocalise également le mobile et envoie une alerte lorsque l’écolier pénètre dans l’enceinte scolaire. Elle peut aussi délimiter un périmètre autorisé et déclencher un signal si l’enfant en sort. Les parents peuvent aussi installer Family ou Où est ma fille ?, des applis qui, à tout moment, localisent la » cible « .
Anti-stress ou violation des droits de l’enfant ?
Est-ce du flicage ? Selon la société iChaper, il s’agit d’accompagner l’ado dans l’apprentissage de l’utilisation d’un smartphone. D’ailleurs, le contenu des messages et des photos n’est pas consultable par les parents, afin de respecter l’intimité de l’utilisateur. ZoeMob, quant à lui, permet d’être alerté quand l’ado reçoit sur son mobile d’éventuels » sextos » ou des sms d’intimidation.
Mais d’autres applis, carrément invisibles, vont plus loin encore. Elles permettent de violer incognito tout le contenu d’un portable. » En cinq minutes, commencez à espionner le téléphone portable de votre enfant. Recevez secrètement la copie de ses messages, appels, contacts, position gps, historique Internet, conversations Facebook, WhatsApp, Viber et plus encore, à distance, sans être vu « , propose MobiPast. Tout comme TeenSafe. A partir de son portable, le parent peut vérifier tout ce qu’un ado fait sur son propre mobile. Ou bien l’appli mSpy, par exemple, un » keylogger « . Le géniteur peut lire et enregistrer en temps réel ce que l’ado frappe sur son clavier… et récupérer ainsi tous les mots de passe.
» C’est comme si vous aviez son téléphone en main. A une autre époque, on se serait contenté de fouiller ses poches « , déclare Christelle, 43 ans. Les parents ont-ils la conscience tranquille après une telle intrusion dans la vie privée de leurs ados ? Les applis et logiciels espions laissent en tout cas les psys pantois. » Ces outils vont dans le sens de l’évolution de notre société : les pédiatres le constatent, la parentalité devient plus fragile, les parents ont besoin d’être rassurés, souligne Michaël Stora, psychologue et fondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH). Mais ils produisent en réalité l’effet inverse : destinés à rassurer les parents, ils deviennent rapidement anxiogènes. » Il suffit que le réseau ne passe plus pour que les parents s’inquiètent… Ces nouvelles » laisses » numériques empêchent par ailleurs l’ado de prendre son autonomie, prévient le psychologue. L’équiper de tels outils lui donne l’impression d’évoluer dans un monde peu sûr, où il ne peut grandir en sécurité qu’en restant dépendant de ses parents.
Une question demeure : faut-il dire à l’espionné qu’il est surveillé ? En Belgique, ce genre de pratique est illégale. La Commission sur la vie privée a ainsi fixé une série de balises : notamment, l’utilisateur d’un gsm qui est géolocalisé devrait être informé le moment venu ; les mineurs de 12 ans et plus devraient également donner leur consentement. Un juge pourrait donc considérer qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’une violation des droits de l’enfant.
Par Soraya Ghali – Illustrations : Sonia Klajnberg et Alexandre Dujardin
» A une autre époque, on se serait contenté de fouiller ses poches… »