L’accord sur le nucléaire iranien, l’engagement russe et les attentats de Paris changent la nature de la coalition anti-Daech. Mais on n’en mesurera l’impact qu’en 2016.
Si on analyse sa dimension strictement militaire, le conflit syrien et sa déclinaison irakienne n’ont pas connu d’évolution majeure en 2015. Les frappes de la coalition internationale, lancées en août 2014, ont servi surtout à endiguer les avancées de l’Etat islamique. La » reconquête » territoriale s’est limitée à la chute de la syrienne Kobane et de l’irakienne Sinjar, grâce aux forces kurdes locales, et de Tikrit reprise par l’armée de Bagdad et les milices chiites. Et pourtant, 2015 pourrait bien marquer un tournant décisif dans l’histoire du conflit.
Trois événements extérieurs ont en effet bouleversé la nature de la guerre, l’accord international sur le nucléaire iranien, l’engagement russe et les attentats du 13 novembre à Paris. Le 14 juillet, Téhéran et le groupe 5 + 1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Russie, Chine et l’Allemagne) s’entendent sur un processus censé mettre fin à la crise qui a pourri les relations internationales depuis plus d’une décennie. L’Iran s’engage à limiter ses capacités d’enrichissement d’uranium, suspectées de servir un projet militaire, en échange, moyennant des inspections renforcées, d’une levée progressive des sanctions internationales. Même encore précaire, l’arrangement change le regard sur l’Iran. Sur le terrain syrien, la nouvelle donne autorise si pas une alliance durable, au moins une cohabitation constructive contre un ennemi commun, l’Etat islamique.
En septembre, autre développement d’envergure, la Russie décide un engagement militaire conséquent, en chasseurs bombardiers et en hommes, pour secourir une armée syrienne mise en difficulté. La répression contre Daech n’en est pas la conséquence la plus visible, les bombardements russes ciblant les autres groupes rebelles, jusqu’aux attentats du 13 novembre à Paris. Car, dernière inflexion du conflit syrien, la deuxième attaque terroriste sur son territoire en dix mois impose alors à la France une intensification des moyens et des bombardements contre l’Etat islamique qui en a revendiqué la paternité. Paris avait déjà opté pour une extension à la Syrie de sa contribution à la coalition internationale, limitée jusqu’alors à l’Irak, en raison de l’enlisement occidental, de la pression russe et de la crise des migrants. Elle va prendre encore une autre dimension.
La force de frappe de la communauté internationale contre Daech en Syrie s’est donc étoffée des contributions de la France, puis du Royaume-Uni solidaire de Paris après les attentats, de l’entrée en scène de la Russie et, théoriquement, d’une meilleure coordination entre ces partenaires de circonstance. Une intention provisoirement démentie par l’attaque d’un chasseur russe SU-24 par l’aviation turque le 29 novembre. La Turquie, une des clés précisément de l’isolement de Daech, a été mise sous pression par ses partenaires, dans un premier temps pour coopérer au plan militaire, ce qui a abouti à la mise à disposition de la base aérienne d’Incirlik, dans un second temps pour couper les sources de financement du groupe terroriste par la contrebande transfrontalière. Malgré les actes et les promesses, Ankara, obnubilé d’abord par l’autonomisme kurde dont il craint la contagion, reste le maillon faible du dispositif anti-Daech. L’autre puissance régionale sunnite source de suspicions, l’Arabie saoudite, a tenté, elle, de se racheter une virginité diplomatique en oeuvrant à un rapprochement des multiples factions rebelles, hors les ultra-islamistes Daech et Front al-Nosra (Al-Qaeda). Une rencontre à Riyad en décembre a permis un consensus en faveur de l’ouverture d’un dialogue avec Damas… une fois Bachar al-Assad démis. Le rôle du dictateur syrien lors de la transition politique est la pierre d’achoppement centrale d’une solution politique négociée. D’une réunion à Vienne rassemblant toutes les parties prenantes, hors les Syriens, a émergé une » feuille de route » aussi limpide qu’irréaliste : ouverture du dialogue rebelles-pouvoir, gouvernement d’union nationale dans les six mois, élections endéans un an et demi. Vladimir Poutine concédera-t-il de lâcher Bachar al-Assad pour sauver son influence sur le futur régime à la tête de la Syrie ?
Gérald Papy