La protonthérapie a propulsé l’entreprise néo-louvaniste au rang de leader dans le traitement des cancers. Son nouveau défi : fabriquer le premier test qui diagnostiquera la maladie d’Alzheimer. Il pourrait arriver sur le marché dans deux ans.
85 000 Belges souffriraient de la maladie d’Alzheimer. Si le conditionnel est de mise, c’est parce que le diagnostic reste difficile à établir : il est basé pour partie sur l’interprétation de comportements et le résultat de tests évaluant la mémoire. Formellement, cette maladie du cerveau ne peut être confirmée qu’à l’issue d’un examen post mortem. D’où l’importance d’un test diagnostique pharmaceutique qui, réalisé de manière précoce, permettrait d’orienter le patient vers la meilleure stratégie de traitement possible.
C’est le défi que s’est fixé IBA (Ion Beam Applications). Créée il y a vingt-cinq ans dans le parc scientifique de Louvain-la-Neuve, cette ex-spin off de l’UCL s’est imposée comme un des fleurons technologiques belges en matière de soins de santé.
Pour traquer l’Alzheimer, elle s’est associée au géant pharmaceutique Bayer qui a piloté la mise au point d’un test révolutionnaire. » C’est un produit qui détecte la présence (anormale) de plaques amyloïdes dans le cerveau, explique le fondateur et directeur de la recherche d’IBA, Yves Jongen. Les études cliniques ont confirmé son efficacité et il est en attente du feu vert des autorités sanitaires. » Si les délais sont respectés et qu’aucune remarque n’est émise, l’Agence fédérale américaine des aliments et médicaments (FDA) pourrait autoriser sa mise sur le marché dès 2013. En raison de l’enjeu stratégique que représentent les Etats-Unis, ce sésame est généralement le premier sollicité par les entreprises pharmaceutiques. A charge pour elles d’effectuer ensuite la même démarche auprès des homologues de la FDA dans les autres régions du monde.
Si le dépistage annoncé de la maladie d’Alzheimer constitue un premier progrès, il pourrait précéder de peu l’arrivée des premiers traitements pharmaceutiques. Conçus par d’autres sociétés, ils sont espérés à l’horizon 2014 et devraient permettre de contrer un mal dont on ne peut aujourd’hui que retarder l’évolution.
Fidèle à son activité première de lutte contre les cancers, IBA lancera aussi bientôt un test destiné à identifier les tumeurs rénales. » Beaucoup de patients subissent l’ablation d’un rein sans que ce soit nécessaire, poursuit Yves Jongen. La raison ? Faute de pouvoir y pratiquer une biopsie, on différencie difficilement une tumeur maligne d’une bénigne. Résultat : dès qu’il y a suspicion, on enlève le rein. Or, les analyses ultérieures montrent que la tumeur était inoffensive dans près d’un cas sur trois. » Grâce à son futur traceur radio-pharmaceutique (produit qui émet des ondes radioactives), IBA pourra déterminer avec 98 % de certitude si l’ablation s’impose ou non.
Les produits diagnostiques de cancers mobilisent une importante partie des ressources de la société. Ce sont d’ailleurs eux qui ont nécessité l’installation d’une cinquantaine de sites de production répartis dans tout l’hémisphère nord. » Certaines de nos molécules n’ont qu’une durée de vie de deux heures, précise le directeur général, Pierre Mottet. Cela nous oblige à faire du commerce de proximité à l’échelle mondiale. «
Des protons plutôt que des rayons X
Les équipements médicaux, qui sont à l’origine de la création d’IBA, représentent près de la moitié de ses activités. L’entreprise s’est spécialisée très tôt dans la protonthérapie, la forme de radiothérapie la plus évoluée pour traiter les cancers. Avantage des protons sur les rayons X ? Ils sont beaucoup plus précis et ne libèrent leur énergie qu’à un endroit déterminé : ils ne provoquent pas de dégâts sur leur passage et s’arrêtent à la tumeur, évitant d’aller endommager les tissus sains situés derrière. Ce savoir-faire a permis à IBA de se hisser au sommet mondial en fabriquant plus de la moitié des centres de protonthérapie de la planète : elle en a déjà installé onze et dix autres sont en cours de construction. » Nos centres ont été ouverts récemment, souligne Pierre Mottet. Ils ont traité 7 000 patients sur les 60 000 qui le sont dans le monde et cette proportion devrait croître rapidement. » A terme, on estime qu’un quart des cancers gagneraient à être soignés par protonthérapie, technique qui ne se substituera donc pas complètement à la radiothérapie classique qui demeure même préférable dans certains cas.
L’inconvénient principal de cette technologie, c’est un coût cinq fois plus élevé que la traditionnelle. » C’est la raison pour laquelle nous sommes en train de mettre au point des installations plus compactes et moins chères, indique encore Pierre Mottet. Elles seront autant destinées aux marchés émergents qu’aux hôpitaux de seconde importance. «
En un quart de siècle, IBA a pulvérisé ses objectifs initiaux qui tablaient sur une quinzaine d’employés et un chiffre d’affaires de 4 millions d’euros. Avec 2 000 employés dans le monde et des ventes avoisinant les 400 millions, l’entreprise a plus que jamais les yeux braqués sur l’avenir. » Nous voulons aller vers une médecine personnalisée en proposant des traitements sur mesure, conclut le duo qui la dirige. Aujourd’hui, quand une solution médicale s’avère efficace pour 40 % des patients, on parle de réussite. Le vrai succès, ce sera de s’adapter à chaque situation, pathologie comme patient, pour viser les 100 %. «
LAURENT HOVINE