De Rio de Janeiro, Phnom Penh, Séoul, Eindhoven et Détroit, on pourrait pointer le côté sombre. A Lille, à travers un festival aussi festif qu’interpellant, on vise les résiliences.
Parades, spectacles, concerts, conférences et surtout expositions sont, jusqu’au 17 janvier prochain, au menu du festival Lille3000. Le thème : la vitalité urbaine. On aurait pu s’attendre à découvrir la manière dont les cités réagissent à la surpopulation, examiner comment elles affrontent les changements climatiques ou encore innovent sur le plan urbanistique, par exemple. L’angle choisi est différent. Cinq villes situées en Europe, en Asie et en Amérique y révèlent les diverses façons dont, depuis quelques années, elles tournent le dos à la morosité. La population de certaines d’entre elles dépasse à peine les 200 000 habitants, d’autres en comptent des millions. Il en est qui renaissent après un génocide, d’autres après un marasme économique. Chacune apporte ses recettes. Elles sont le fruit de projets politiques ou d’initiatives citoyennes. Si cette vision est partisane et ne couvre qu’en partie la réalité sur le terrain, elle a au moins le mérite de nous entraîner, avec les artistes locaux, dans le sens de la vie. Les cinq expositions principales proposent d’immerger le visiteur dans des scénographies et environnements spectaculaires et l’invitent à la participation active.
Rio de Janeiro à la Maison Folie Wazemmes
L’air de Si tu vas à Rio chanté par Dario Moreno dans les années 1950 a construit une image festive des habitants de l’ancienne capitale du Brésil, les Cariocas. Ses plages, son Pain de sucre, son carnaval, ses filles et la samba ont gommé le passé de la dictature de Vargas et la misère des favelas (un millier et 20 % de la population) encerclant cette mégapole de six millions d’habitants. Pour tous cependant, tous quartiers confondus, la rue demeure le lieu où tout se passe, se dégage, s’extériorise et s’expérimente l’énergie de la ville. Il y a bien sûr les traditions, les thèmes récurrents mis en évidence par l’exposition. Mais les artistes se nichent aussi dans les friches industrielles reconverties en espaces de création. Esthétiquement, on plonge dans l’excès, les couleurs plumes et paillettes et l’imagerie attendue. Cela respire le soleil et on en redemande. Le 7 décembre, Lille vivra au rythme d’un marché de Noël brésilien et le 13, tout le monde en piste pour un bal Carioca !
Phnom Penh à l’Hospice Comtesse
Comment renaître après un génocide ? Voilà le défi de la capitale du Cambodge véritablement réduite à l’état de ruine et de désert humain après le passage des Khmers rouges en 1975. Il faudra plus de vingt ans pour se remettre de ce traumatisme. Dans les années 1990, la ville se reconstruit à l’horizontale (aucun bâtiment ne dépasse les deux niveaux) et on restaure le patrimoine ancien. Mais depuis quelques années, sur fond de corruption, les tours se multiplient autant que les démolitions. Le quotidien entremêle de manière explosive trois générations que rien ne réunit. La première est formée de ceux qui sont revenus de l’exil. La deuxième, les trentenaires, a vécu les années post-Pol Pot alors que les jeunes affichent une attitude décomplexée et rebelle à toute forme de censure. Problème : aucune politique culturelle ne les défend. Aucune école digne de ce nom ne les aide à dépasser l’académisme. Alors, les Cambodgiens bricolent leur contemporanéité à partir des traditions propres : formes, matériaux, images… Peut-être l’une des expositions les plus attachantes et pour les amateurs pointus. L’occasion, en tout cas, de réelles découvertes.
Séoul au Tripostal
A l’opposé, voici la Corée du Sud triomphante, audacieuse, conquérante. Elle incarne le miracle économique de l’Asie. Pourtant, la guerre de Corée, en 1950, avait détruit près de 200 000 bâtiments, 55 000 maisons et un millier d’usines. Elle est aujourd’hui la 3e mégapole mondiale après Tokyo et Mexico. Elle est aussi, par la présence d’une centaine de musées, d’innombrables fondations et galeries d’art contemporain, une ville qui compte sur l’échiquier culturel. L’ensemble, audacieux dans ses réalisations (trop parfois) et très coloré, interpelle. En témoignent les opus de Chai Jeong Hwa, figure de proue d’un » pop art » coréen. Son esthétique » kitsch » et multicolore se retrouve aussi dans ses nénuphars géants, cochons ailés et autres arbres gonflables disséminés aux quatre coins de Lille.
Eindhoven à la Maison Folie Moulins
La petite ville néerlandaise vécut un temps des industries du tabac, du textile et de la tannerie. On y fabriquait les ampoules Philips et les célèbres voitures Daf. Avec la disparition de tous ces acteurs, la ville aurait pu tomber dans un scénario misérabiliste. La reconversion est singulière. Aujourd’hui, on y vient de loin pour son festival de lumière Glow, pour sa biennale des arts numériques, ses studios d’enregistrement et ses ateliers de design mondialement reconnus. La créativité paraît bien avoir été et demeure plus que jamais le mot-clé de cette renaisssance. L’exposition l’illustre et explique pourquoi elle a aussi misé sur le perpétuel changement. On y croise des imprimantes 3D, des machines à découper au laser, des fraiseuses numériques mais aussi du design et grâce aux vidéos, installations et autres techniques de pointe, diverses propositions interactives. Un moment magique : l’immersion du visiteur dans un univers de lumière signé Takami Nakamoto et Noemi Schipfer.
Détroit dans la gare Saint-Sauveur
Lorsque la cité américaine, orgueil de la construction automobile, s’effondra avec la mise en faillite de ses usines de montage, le quartier de l’ancienne Packard Motor Car Company devint, au fil des ans, un vaste champ de ruines. La renaissance viendrait, non pas du monde politique mais des gens eux-mêmes, de leur sens de la débrouille et de leurs audaces. Les espaces abandonnés furent convertis en ateliers d’artistes, habitats communautaires, commerces les plus divers, crèches et fermes urbaines. Le mot d’ordre : » Do it yourself. » Alors, sur le mode XXL, celui-ci donne le ton à l’exposition sans pour autant passer sous silence que Détroit fut aussi le berceau de bien des musiques. D’où la présence d’un studio de mixage, d’une discothèque techno et d’une ferme active déjà depuis quelques mois avec la complicité des habitants de Lille.
www.lille3000.com
Par Guy Gilsoul