» Sortir des griffes de la droitisation « 

Chercheur en sciences politiques, Gaël Brustier (1) analyse la panne idéologique de la droite. Comment peut-elle se réinventer, alors que les barrières entre son électorat et celui de l’extrême droite sont poreuses ?

Le Vif/L’Express : Dans quel état idéologique la droite française se trouve-t-elle ?

Gaël Brustier : Après la Seconde Guerre mondiale, la droite française s’est organisée autour de trois grandes familles : les gaullistes, les démocrates-chrétiens et les libéraux. Progressivement, cette triple identité s’est dissoute, surtout pour les deux premières. Cette crise existentielle, permanente, est résolue, en 2006-2007, par un provisoire qui dure : Nicolas Sarkozy tente d’idéologiser son camp avec le concours de trois personnages clés, Emmanuelle Mignon, Henri Guaino et Patrick Buisson. Une opération plutôt réussie, avec une fusion des droites, et la conquête de ces électeurs sarko-frontistes. Des lepénistes, durs sur le plan des valeurs, mais stratèges : ils veulent que leur vote soit efficace. Cette fusion valide la thèse de Buisson. Le conseiller de Nicolas Sarkozy a compris que la frontière n’est plus étanche entre les électorats, même si elle l’est toujours entre les appareils. Dans ce contexte, il faut miser sur l’attractivité au sein du peuple de droite.

Puis vient le choc de la défaite de 2012. Il laisse tout un peuple de droite sans leader et, là, pour la première fois depuis très longtemps, émerge un mouvement authentiquement conservateur, né de la Manif pour tous, dont le relais à l’UMP-LR est Sens commun, ou Laurent Wauquiez (NDLR : député de la Haute-Loire, centre de la France) par exemple. On a affaire à un mai 1968 conservateur, dont les acteurs s’investissent dans la politique, les médias, les causes humanitaires, la réflexion, autour de revues comme La Boussole ou Limite. Les jeunes sarkozystes de 2007 – ils ont aujourd’hui 30 ans – sont ringardisés par des ringards devenus à la mode, une génération conservatrice et droitière qui donne des réponses à tout, de la naissance à la mort, voire de la conception à l’au-delà.

Quelles tendances traversent la droite actuelle ?

Depuis trente ans, systématiquement quand la droite n’est pas au pouvoir, elle adhère à un libéralisme échevelé : il faut un grand choc libéral, des réformes. Cela dit, les positions des uns et des autres sont assez déterminées par leur géographie électorale. Nathalie Kosciusko-Morizet, Alain Juppé et une partie de l’UDI sont représentatifs des idéopoles, ces métropoles connectées à la globalisation. Ils incarnent un centre-droit libéral, européen. C’est l’électorat des villes-centres, la bourgeoisie éclairée, les  » bobos  » de droite, plus laïques, ou les reliquats de la démocratie chrétienne la plus progressiste. Et puis, il y a la tentation de Bruno Retailleau (NDLR : sénateur de la Vendée, ouest de la France) ou de Laurent Wauquiez d’établir une droite aux accents souverainistes-conservateurs. La campagne de Wauquiez pour les régionales ressemble à s’y méprendre à celle de Philippe de Villiers (NDLR : leader à l’époque du Mouvement pour la France) pour les européennes de 1994. Enfin, il y a Sarkozy. C’est intéressant, car il reprend des mots devenus des signifiants vides et il les remplit. Tout le monde veut la République, la laïcité, la liberté, l’égalité, la fraternité. Mais il recharge ces mots d’un contenu idéologique correspondant aux peurs d’aujourd’hui, celle du déclin, celle de l’islam.

D’où la création des Républicains ?

Oui, en redéfinissant une République aux relents identitaires, Nicolas Sarkozy se fait plus attractif au sein du peuple de droite. Il répond à la montée du FN et, en cas de face-à-face avec le parti de Marine Le Pen, il s’assure du soutien de la gauche, qui ne peut pas refuser ses votes à une droite devenue le dernier rempart de la République.

L’avenir de la droite peut-il être au centre ?

Si on prend la ligne Juppé-NKM, cette droite qui regarde au centre est sociologiquement minoritaire. Elle est concurrencée par une social-démocratie de plus en plus au centre, avec laquelle elle partage des orientations économiques et sociales. Si la droite veut sortir des griffes de la droitisation, il lui faut jouer sur des leviers politiques. Elle ne va pas les trouver dans le libéralisme. Elle doit aller les chercher dans ses racines gaullistes, dans le rejet de cette conception identitaire qui ne fait qu’accélérer la fusion de l’électorat et complique ses premiers tours électoraux.

En fait, la droite doit redevenir gaulliste ?

C’est un peu ça ! Elle doit retrouver l’essence de la démocratie chrétienne et du gaullisme, notamment par la réaffirmation du rôle de l’Etat – une aspiration forte des électeurs, et réactiver le patriotisme d’ouverture du gaullisme. Au Royaume-Uni, David Cameron a adopté la  » Big Society « . Du moins à son origine, ce concept était une critique du  » populisme autoritaire  » de Margaret Thatcher, une prise de distance avec le néolibéralisme. Aussi Juppé, très libéral dans un pays qui ne l’est pas, face à un FN qui profite de l’antilibéralisme, ne peut-il pas gagner.

(1) Gaël Brustier est collaborateur scientifique du Cevipol (Université libre de Bruxelles) et auteur de A demain, Gramsci (éd. du Cerf).

Entretien : Corinne Lhaïk

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Expertise Partenaire