Miniséisme dans la mode. Le 22 octobre dernier, à la surprise générale, Raf Simons et Dior se séparent après trois ans et demi seulement d’entente cordiale. Le mercato fashion peut commencer.
Raf Simons a toujours pesé ses mots, préférant l’ombre à la lumière, le silence et le travail au tapage mondain et médiatique, il ne dérogea donc pas à sa règle le 22 octobre. Quelques phrases courtes, dans un communiqué officiel, évoquent des » raisons personnelles » qui le poussent à ne pas renouveler son contrat de directeur artistique des collections Femme de Christian Dior. » Après mûre réflexion « , le créateur belge, 47 ans, né à Neerpelt (Limbourg), jette donc le gant : » C’est une décision fondée à la fois sur mon désir de me concentrer sur d’autres centres d’intérêt de ma vie, notamment ma propre marque et les passions qui m’habitent, au-delà de mon métier. » Ce divorce à l’amiable clôt trois ans et demi d’amour affiché entre Raf Simons et la maison bâtie par Christian Dior en 1947. Accessoirement, il met aussi fin à un contrat qui lui aurait permis de gagner 30 millions d’euros durant ces 42 mois passés avenue Montaigne, à Paris.
Si l’annonce fait sensation, c’est parce qu’elle n’a été précédée d’aucune rumeur – ce qui est plutôt rare dans ce milieu grand fervent de la chose, la langue de vipère étant sa langue du coeur. C’est aussi parce que le joyau de LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy), l’empire de Bernard Arnault, avait enfin trouvé son rythme de croisière. La carrière d’un créateur se construit en effet sur le moyen terme, on y était, et le lifting opéré par Raf Simons avait boosté les ventes : le chiffre d’affaires de la société Christian Dior sur son exercice de juillet 2014 à juin 2015 s’élevait à 1,765 milliard d’euros, une croissance de 18 % par rapport à l’exercice précédent.
Pourquoi ?
Pourquoi, se demandait donc le monde de la mode, mettre fin à une si belle aventure ? Car elle était belle, les chiffres n’étaient pas les seuls à le clamer, il fallait voir la foule des grands jours se presser dans la Cour Carrée du Louvre en ce 2 octobre ensoleillé pour assister au défilé de la griffe – le dernier, mais elle l’ignorait encore. Raf Simons, sixième créateur à oeuvrer pour l’univers féminin de la maison, arrivé après le scandale John Galliano (viré pour propos antisémites avinés) avait fait recouvrir le lieu de milliers de pieds d’alouette, pareil à l’intérieur. Il avait titré sa collection » L’horizon « …
La raison de ce départ, il faut aller la chercher en partie dans le rythme de plus en plus effréné imposé par la mode – deux défilés haute couture, deux de prêt-à-porter Femme, un show croisière par an à ajouter aux pré-collections et aux collections d’accessoires, ce n’est pas rien. Même s’il était terriblement bien secondé et entouré, même si les ateliers font des miracles, avoir exactement huit semaines, jour pour jour, pour concevoir ex nihilo une collection haute couture relève de la voltige. Or, Raf Simons est de ceux qui ont besoin de temps pour créer, il a souvent répété qu’il était » un vieux monsieur qui privilégie plus que jamais la réflexion et le processus intellectuel « . De surcroît, il se dit qu’il aurait reçu des propositions mirifiques de l’autre côté de l’Atlantique, notamment.
Mais la planète fashion n’en avait pas fini avec les tempêtes dans un verre d’eau. Six jours plus tard, le 28 octobre, c’était au tour d’Alber Elbaz de claquer la porte de la vénérable maison Lanvin, 126 ans au compteur, ce qui fait d’elle la plus ancienne du marché. Avec une lettre qui officialisait la rupture : » Au moment où je quitte Lanvin sur décision de l’actionnaire majoritaire, je veux exprimer mes remerciements et mes chaleureuses pensées à tous ceux qui ont travaillé avec acharnement au réveil de Lanvin au cours des quatorze dernières années… » Il donnait ainsi malgré lui un coup d’accélérateur au mercato qui fait grimper les paris (de même les enchères sur les salaires) et enfler la rumeur, la preuve flagrante que les créateurs sont, in fine, des hommes comme tout le monde.
Anne-Françoise Moyson