Le ministre-président PS de la Fédération Wallonie-Bruxelles annonce une riposte si des coupes claires budgétaires sont imposées aux Régions et Communautés ou si les droits des francophones sont menacés.
Le Vif/L’Express : Le 23 juillet, lors de votre déclaration gouvernementale, vous avez été le premier à tenir des mots très durs à l’égard de la » prise de risque du MR » au fédéral…
Rudy Demotte : La situation confine pratiquement au non-droit des francophones. Nous sommes une minorité démographique, c’est un fait. Mais nous allons en outre devenir une minorité politique pour la première fois de notre histoire. 75 % des francophones ne seraient pas représentés dans la majorité fédérale ! On va me dire qu’il y a eu un précédent puisque les Flamands étaient minoritaires lors de la législature précédente, c’est vrai. Mais cela tenait à un siège au sein d’un groupe linguistique qui est lui-même majoritaire au Parlement…
Dans notre système fédéral, il y a des garde-fous : la parité au sein du conseil des ministres, des mécanismes de protection des minorités…
Il est évident que l’on doit préserver la parité, même si les partis flamands ont déjà essayé de la remettre en question la fois passée, en réclamant que le Premier ministre fasse partie du groupe linguistique francophone. Mais cette parité n’est pas une garantie pour les francophones. A en croire le MR, ce serait plutôt la capacité de mettre un veto pour bloquer une décision. Oui, d’accord, mais si on a le Premier ministre et que l’on bloque, on saborde son Premier ministre ! On a le sentiment que les intérêts partisans l’emportent sur ceux des francophones. Quant aux mécanismes de protection, ils n’ont de pertinence que s’ils sont utilisés en dernier recours, quand il n’y a plus moyen de faire autrement.
Le MR joue à l’apprenti sorcier ?
En effet. Il ouvre une boîte de Pandore, sans savoir ce qui va en sortir, au risque de ne plus pouvoir la refermer. Franchement, personne ne s’explique son geste.
Il y a une explication : la naissance rapide des majorités francophones PS-CDH (et FDF à Bruxelles) a convaincu le MR de prendre cette option au fédéral.
Je ne suis pas convaincu par cette explication. Notre cohérence institutionnelle veut que chaque gouvernement se constitue de façon autonome. Nous avons fait un choix que l’on doit assumer sans hypocrisie. Mais en quoi le fait de ne pas appartenir à un niveau de pouvoir oblige-t-il à se venger à un autre niveau de pouvoir ? On a le sentiment qu’il s’agit d’une revanche du MR, mais le prix à payer n’est pas partisan : ce coup de poker met en danger toute la francophonie.
Parce que la logique majoritaire flamande pourrait s’imposer de façon insidieuse ?
Oui. Et bloquer toute une série de mécanismes de protection des francophones. C’est pour cela que la Fédération Wallonie-Bruxelles va devoir jouer un rôle de vigile pour que nos droits soient respectés. Agir, ensuite, en portant la voix des francophones à l’étranger parce qu’un gouvernement dominé par un parti nationaliste flamand avec une formation francophone minoritaire ne nous garantit pas que l’on donnera l’image que l’on veut transmettre. Je suis convaincu qu’il y a une stratégie de la part de la N-VA pour arriver au délitement de l’Etat. Le professeur Bart Maddens, une des éminences grises des nationalistes, déclarait le 27 janvier dernier : » L’idée sous-jacente est : si on réussit à former un gouvernement fédéral de droite – soit dit en passant, cela prouve qu’on y pensait déjà à ce moment… -, c’est la meilleure façon de préparer le coup suivant, le confédéralisme. » Et d’expliquer : » Parce qu’alors, les francophones se poseront eux-mêmes en demandeurs d’une nouvelle grande réforme de l’Etat. C’est du reste une stratégie dans laquelle les deux camps de la N-VA – traduisez : les radicaux pur jus et les autonomistes – peuvent se retrouver. » Eric Defoort, cofondateur de la N-VA, a confirmé cela dans vos colonnes la semaine passée (Le Vif/L’Express du 12 septembre). Je suis désolé pour ceux qui ne veulent pas voir cette stratégie. Il y a un mariage alchimique entre la pensée nationaliste et le conservatisme de droite pour mettre en place de grandes réformes menant à moins d’Etat, à une sécurité sociale dont la portée serait réduite au profit des entreprises. Cet assèchement de l’Etat, c’est mon plus grand sujet de préoccupation !
Le MR est-il naïf au point de ne pas voir cette stratégie ?
Non, le MR a très bien mesuré le risque majeur qu’il prend. Il joue au poker, mais la mise, c’est l’intérêt des francophones. Or, cette partie est mal engagée parce que les atouts ne sont pas dans notre jeu.
La rupture entre les partis francophones est non seulement consommée, mais elle est amère.
Les chocs humains actuels du côté francophone sont un des éléments qui m’attriste le plus. C’est préjudiciable.
Je vais continuer à travailler dans une logique de loyauté fédérale ! Mais on ne peut pas vivre dans un ménage où nous serions les seuls à rechercher ça. On verra concrètement dans le domaine budgétaire et financier quels sont les éventuelles chausse-trappes que le gouvernement fédéral nous mettra sous les pieds. Nous n’avons pas des situations objectives identiques au nord et au sud du pays : un gouvernement à composition de droite et nationaliste aura-t-il la souplesse et l’intelligence d’adapter ses réponses ? C’est un des points sur lesquels on va juger la volonté fédérale réelle de cette coalition. S’ils donnent tout aux plus riches et qu’ils ne passent rien aux plus précaires, on aura compris. Si des coupes claires nous sont imposées et nous empêchent de redéployer notre enseignement ou de poursuivre le développement wallon, nous réagirons.
Que ferez-vous ?
Nous irons au rapport de force ! Cela signifie utiliser des mécanismes qui sont encore entre nos mains : saisir le comité de concertation fédéral- entités fédérées, aller jusqu’au bout dans la négociation, voire empêcher la conclusion de certains accords… On peut aussi voir si nous n’avons pas des intérêts communs avec les autres entités fédérées, y compris la Flandre. Je ne suis pas dans une position d’ennemi de la Flandre. Je ne suis pas un piranha francophone, ni un pitbull. J’ai toujours été favorable au dialogue communautaire. Mais la loyauté fédérale impose une compréhension mutuelle et là, j’ai des doutes…
Entre PS et MR, les liens sont-ils durablement rompus ?
Au sein même du MR, je sens qu’il y a un doute chez certains sur le prix à payer pour participer au pouvoir et c’est heureux. Les tensions sont vives, dans tous les sens, mais je suis convaincu que l’on peut reconstruire l’union francophone !
Comment ?
Par la démonstration de bonne foi. Si la famille libérale francophone n’intègre pas un besoin de dialogue avec les entités francophones pour défendre nos intérêts communs, on va tout droit dans le mur ! Si je puis leur donner un conseil, c’est de créer le plus de liens possibles. Malheureusement, je ne sens pas encore la volonté de le faire. Lors de la précédente négociation, qui avait duré 541 jours, les ministres-présidents avaient été reçus dans les tout premiers jours. Ici, nous n’avons pas été contactés, sauf une fois, subrepticement, juste au moment où les exécutifs régionaux et communautaires prenaient quelques rares jours de vacances. C’était un coup de com’, quoi…
Et depuis ?
Des déclarations dans les journaux pour dire qu’ils voudraient nous voir, c’est tout. Mais nous n’avons plus jamais été contactés. Or, je ne me cache pas et ils ont mon téléphone.
Propos recueillis par Olivier Mouton