Séduction à la française

Guy Gilsoul Journaliste

Autour des peintres Antoine Watteau et François Boucher, la nouvelle exposition du Louvre-Lens révèle les origines, les métamorphoses et l’expansion européenne de deux thématiques liées au nouvel art de vivre au XVIIIe siècle : les fêtes galantes et les pastorales.

 » Entrez dans la danse « , entend-on chanter en choeur dans la première salle de l’exposition. Le visiteur, plongé dans un décor aux allures de bosquet où s’animent quelques silhouettes d’enfants, de musiciens et d’élégantes vêtues à la mode du XVIIIe siècle, est illico sous le charme.  » Chantez, dansez, embrassez qui vous voudrez… « . La comptine, créée par Madame de Pompadour en 1753 pour les enfants de son quartier (l’actuel Palais de l’Elysée) illustre parfaitement ce XVIIIe siècle français libertin. Comme dans la chanson où les mots, apparemment anodins, renvoient à des messages masqués, il nous faudra surprendre, dans les peintures, le sens des attitudes effarouchées ainsi que l’un ou l’autre détail dont le sens éclairera celui des scènes représentées. En réalité, dès la mort de Louis XIV, en 1715, l’aristocratie rêve d’un art qui soit le reflet de son nouvel art de vivre… galant. Il s’exprimera jusqu’à la fin du siècle à travers le dessin, la peinture, l’estampe mais aussi la décoration.

Une inspiration venue du Nord ?

Oui, répond la première salle. Si les danses et fêtes peintes par David Teniers ou Rubens ont pour acteurs des paysans et pour décor la cour de ferme, l’aristocratie du XVIIe siècle se plaît, à son tour, aux divers jeux et joutes de séduction, comme en témoigne Le jeu de la main chaude, un tableau de 1665 signé Hieronymus Janssens. La scène se passe alors dans un parc arboré avec, pour fond, une architecture à l’antique et quelques divinités de marbre. Non loin, dans une gravure, Rembrandt (qui aura tant influencé Watteau) use d’un procédé qui sera généralisé dans les scènes de galanterie à la française : le double langage. Dans l’oeuvre présentée, un jeune flûtiste indique, par l’instrument fixé à ses lèvres, le dessous des jupes de la belle convoitée… Mais l’inspiration, comme on l’apprendra plus tard dans une des deux salles réservées à l’univers de Watteau, s’alimente aussi aux sources littéraires bien françaises qui, au cours de ce même XVIIe siècle, s’infiltrent dans le théâtre et l’opéra.

Le temps fort : Watteau

Six superbes dessins aux trois crayons suffiraient à nous convaincre du sens de l’observation du peintre (1684-1721). Mais c’est Le pèlerinage à l’île de Cythère (1717) qui retient toute l’attention. D’abord pour la beauté de l’oeuvre. Travaillée avec légèreté et rapidité dans les feuillages et les lointains, elle scintille dès que le regard approche les personnages vêtus de soies et de velours rares. Elle intrigue aussi. Or, si on décrit la peinture à partir de la droite, on voit que, progressivement, le peintre construit un récit. La belle du premier plan, assise, un éventail à la main, hésite. La suivante, de dos, se lève alors que la troisième, en route, se retourne comme si une ultime hésitation venait de traverser son esprit. En contrebas, là où une barque s’apprête à emmener les couples vers Cythère, le peintre introduit des personnages de condition plus modeste, comme si l’amour réunissait l’humanité. Jusque-là, l’oeuvre relève de la peinture de genre, la moins valorisée à l’époque. Or, il s’agit du tableau de réception de Watteau à l’Académie royale. Et l’institution attend au contraire une peinture d’histoire, c’est-à-dire inventée autour de sujets mythologiques ou religieux. On est loin du compte. Sauf que Watteau mêle au réalisme des acteurs, des allégories qu’incarnent les nudités intemporelles de Cupidon, des zéphyrs ou encore des deux nautoniers… Double langage, une fois encore. Le succès est immédiat et se répand dans le beau monde après la mort précoce du peintre grâce aux gravures de reproductions. Mais Watteau c’est aussi la musique, l’opéra, le théâtre de Marivaux ou la commedia dell’arte. Une salle, riche encore en dessins, multiplie les témoignages. Parmi eux, quatre costumes d’époque (dont le célèbre Pierrot) et quelques portraits de galants (Louis XV, entre autres) déguisés en pèlerins d’amour alors que le long des cimaises, les suiveurs (Pater et Quillard) réduisent le thème à la peinture de genre. Entendez, à l’anecdote.

De François Boucher à Goya

Les années passent. Désormais, et à partir des années 1730, les scènes de séduction se situent à la campagne entre bergers et bergères très richement vêtus. Parmi les nombreuses pièces plus documentaires et quelques très beaux dessins, trois tableaux de François Boucher retiennent particulièrement l’attention pour l’élégance des poses, la subtilité des symboles et la délicatesse un peu sucrée des harmonies chromatiques. Balançoires et escarpolettes soulèvent les robes et enflamment le dessin de Fragonard. Mais peu à peu, autour des années 1750, les bergers abandonnent leurs beaux vêtements. Chez Louis Watteau de Lille (neveu d’Antoine Watteau), le thème d’amour sert d’abord à valoriser les vertus de la campagne et du travail des paysans. Jean-Baptiste Oudry peint pour le dauphin Louis de France une cour de ferme intitulée La France. La roue tourne. Il n’empêche. La mode des fêtes galantes et des pastorales se propagera à travers toute l’Europe jusqu’à la fin du siècle. Les arts décoratifs s’en emparent. Une salle entière multiplie les scènes de séduction champêtres, peintes ou modelées dans les manufactures de biscuits et de porcelaines blanches, ou polychromes réalisées d’abord à Meissen (en Saxe) puis à Vincennes ou encore à Chelsea. Parallèlement, au nord comme au sud, les peintres renchérissent, de l’Angleterre de Gainsborough à l’Italie de Tiepolo, en passant par l’Espagne de Goya. Douce insouciance des richesses dorées.

Dansez, embrassez qui vous voudrez, au Louvre-Lens, à Lens. Jusqu’au 29 février 2016. www.louvrelens.fr

Guy Gilsoul

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