Secrets de famille – Faut-il tout dire ?

Il y a le suicide du grand-père que l’on maquille en accident pour préserver la légende familiale. La double vie que l’on découvre au bord de la tombe, la cousine qui se révèle être la demi-sour. Beaucoup de familles ont un secret, tissé au fil des ans, pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Mais les mensonges entassés sont parfois plus toxiques que le choc d’une révélation scandaleuse. C’est en tout cas ce qu’ont toujours défendu les psychanalystes. Aujourd’hui, pourtant, alors que plus grand-chose ne fait vraiment scandale et que l’on se dit tout jusqu’à l’exhibitionnisme, certains praticiens s’insurgent contre le dogme de la transparence. Il y a, préviennent-ils, des réalités assénées qui font parfois plus de mal qu’un joli secret bien emballé. Garder un secret de famille est une tâche épuisante. Le dévoiler, une entreprise périlleuse.

Elle prévient tout de suite : son mari ne sait vraiment rien, son fils non plus.  » Je n’en ai parlé qu’à une amie et à mon médecin.  » Elle souffle :  » Avec vous, cela fait trois.  » Trois confidents en trente ans, ce n’est rien. Et c’est déjà trop. Trop de fuites, trop de défaillances. Elise * abrite une si  » grande honte « , dit-elle, un secret si indigeste qu’en le brisant elle risque de pulvériser une enfilade de destins : le sien, celui de ses frères et de ses neveux. Mieux vaut les épargner. Alors Elise musèle ses journées, puis bâillonne ses nuits. Une vie à mentir, c’est épuisant et ça rend méfiant. On lui garantit l’anonymat, elle double ses exigences :  » Laissez-moi le temps de réfléchir. Et ne m’appelez jamais à mon domicile !  » Deux jours plus tard, elle réapparaît. Prête à lâcher sa vérité.

Sa confession, cadenassée au fil des années, étouffée au nom de la loyauté filiale, rugit avec toute la violence du ressort trop longtemps comprimé :  » Mon père était un pédophile, un pervers sexuel, un voleur, et j’en passe.  » A 14 ans, Elise l’apprend de la bouche de sa mère. Elle jure, à l’époque, de ne rien répéter à ses frères et s£urs. Ni à la police. Dans les années 1970, on ne parle pas encore de pédophilie. Dans ces années-là, on ne parle de rien quand on est un enfant. Jusqu’à la mort du patriarche, cet ex de la marine aux m£urs insoupçonnables, qui aimait attirer les petits garçons dans les parcs, Elise joue les filles modèles : elle s’occupe de son enterrement de A à Z, allant jusqu’à fermer le cercueil elle-même. Le trahir de son vivant, elle n’a pas osé. Echarper son souvenir, c’est pire. Elise veut aujourd’hui protéger son fils de 16 ans, qui adorait son grand-père.  » Je lui ai appris tout jeune qu’aucun homme ne devait le toucher, pour quelque raison que ce soit, raconte-t-elle. Il ne garde que des bons souvenirs de son papy, et je refuse de les lui gâcher. Donc, il ne saura rien, ni aujourd’hui ni jamais.  » Dire ou ne pas dire ? Voilà un débat vertigineux que l’on croyait réglé depuis longtemps, tranché une fois pour toutes par les psys, Françoise Dolto en tête, défenseurs de la levée du secret de famille, exterminateurs des cachotteries radioactives en tout genre û les filiations honteuses, les drames conjugaux, les revers de fortune, bref, toutes ces tares qui éclaboussent l’image idéale qu’un clan cherche à se forger. Cet hymne à la vérité à tout prix a galopé durant les années 1990, appuyé par le violent et magistral Festen, le film culte du danois Thomas Vinterberg, qui montre la révélation d’un inceste en plein repas de famille, et relayé par le best-seller du psychanalyste Serge Tisseron Les secrets de famille, mode d’emploi (Ramsay), qui explique à quel point le calfeutrage maladroit des cicatrices familiales s’avère pathogène. Il provoque des angoisses, des échecs à répétition, des troubles de l’apprentissage, à la fois chez son instigateur et chez sa victime. Donc, oui, la vérité était de toute façon moins nocive que le secret, répétait-on. Oui, les enfants avaient le droit de tout savoir.

On ne cache plus désormais aux petits leur adoption, pas plus que leur naissance par fécondation in vitro (Fiv) û c’est l’une des révélations d’une passionnante enquête lancée par le Pr François Olivennes, responsable de l’unité de médecine de la reproduction à l’hôpital Cochin, à Paris. On n’hésite plus à rendre publics les antécédents psychiatriques de la grand-mère ni les frasques de l’oncle Jean qui a engrossé la fille du notaire. Une overdose de franchise qui affole, ces temps-ci, bon nombre de psys.  » La quête des origines et de la vérité est devenue si forte qu’il faut à présent défendre le droit de chacun à l’intimité, plaide la psychanalyste Sophie Marinopoulos, qui a publié Moïse, îdipe, Superman, de l’abandon à l’adoption [Fayard]. J’ai assisté à des passages à l’acte aberrants, j’ai vu des médecins, et des instituteurs, divulguer eux-mêmes des naissances par Fiv, ou des adoptions, parce que les parents ne se sentaient pas capables d’en parler à leurs enfants. Ces révélations forcées, volées, peuvent avoir un effet traumatique !  »

A l’heure où la téléréalité et le culte de la transparence déballent la vie privée des gens sur la place publique, les psys sont de plus en plus nombreux à tenter de rétablir les bienfaits du silence. Et si le secret avait du bon ? Et si toute vérité n’était pas bonne à dire ?  » Je ne vois pas l’intérêt de raconter à un gamin que sa mère était une prostituée ou que son père se droguait, renchérit le Pr Daniel Marcelli, chef du service de pédopsychiatrie à l’hôpital de Poitiers. Le secret n’est pas toxique en soi, il le devient si c’est un secret de Polichinelle, exhibé par le voisin, la crémière, les amis. Mais s’il est bien gardé, seulement par une ou deux personnes, il peut protéger. Il est tout aussi pathogène de tout dire que de se taire.  »

Mieux vaut parfois édulcorer la réalité, trafiquer des chronologies, poétiser le roman familial, afin de rendre plus douce la vie de ses proches, tel est le propos de deux jolis films, qui collent à l’époque û Good Bye Lenin, du réalisateur allemand Wolgang Becker, et Depuis qu’Otar est parti, de Julie Bertucelli û deux succès de l’année 2003. Une indulgence pour le mensonge qui a de quoi faire bondir, dans la réalité, les nés-sous-X, les enfants adultérins, les adoptés, bref, tous les otages d’un passé confisqué. C’est pour eux une souffrance permanente, une mutilation destructrice, d’être privés de leur propre histoire. Prisonniers d’une affabulation orchestrée par d’autres û leur père, leur mère, parfois tout un clan û ils se sentent manipulés, rongés de l’intérieur, et surtout trahis. Tout le monde sait, sauf eux : une omerta familiale qui fait des ravages.

L’histoire de Sylvie, 36 ans, repose au fond d’une malle, remplie de vieux papiers et de photos d’un inconnu : son père. Un trésor à sa portée, mais intouchable. Elle n’est censée entrer en sa possession qu’à la mort de sa mère, qui conserve jalousement l’identité de son ancien mari. Pourquoi ne s’est-il jamais manifesté ? L’a-t-il seulement désirée ?  » Si je savais, soupire Sylvie, je pourrais enfin finir de me construire.  » Mais la date de péremption d’un secret est rarement fixée. Il éclate par hasard, à l’occasion d’un deuil, d’une gaffe ou d’un mariage.  » Il plane comme une menace implicite qui complique les relations et empêche de s’épanouir, explique Barbara Couvert, psychothérapeute, qui s’est plongée Au c£ur du secret de famille [Desclée de Brouwer]. Le secret est, au départ, un moyen de se protéger, soi ou sa famille, de la honte, de l’opprobre, de la souffrance et de l’exclusion sociale.  »

Ce n’est jamais par plaisir ou par volonté de nuire que l’on se mure dans la loi du silence, mais parce qu’on est persuadé qu’on ne peut pas faire autrement. Il y a des faits dont on se sent coupable, il y a ceux que l’on tronque en croyant bien faire, dans le souci de ne pas blesser ceux qu’on aime. Le secret devient destructeur quand le gardien en devient le prisonnier. Ce qui n’était au départ qu’une lâcheté passagère tourne à l’imposture à perpétuité. On guette le bon moment pour s’en délivrer, il ne vient jamais. On se fabrique de la perfection et on s’y enlise.  » Le secret touche tous les milieux, les ruraux, les bourgeois, ceux pour qui le regard des autres et le jugement de la société sont terrifiants, relève l’écrivain François Vigouroux, ancien psychanalyste, qui traque depuis vingt ans les secrets de famille. Dans les petits villages, jusqu’à une époque récente, afficher un fils illégitime, un grand-père en prison, un père déserteur, c’était une chose épouvantable !  »

Depuis le milieu du xixe siècle, le secret s’est toujours cantonné dans les domaines classiques de la respectabilité : les aventures extraconjugales, les enfants hors mariage, les avortements, les années en prison, etc. L’une des pires hontes, dans les années 1950, était d’être une fille-mère. A 17 ans, Michèle a cru que son bébé était mort. Le médecin de la maternité le lui a annoncé à son réveil.  » De retour à la maison, les mains vides, ma mère m’a déclaré : oublions ce qui s’est passé et n’en parlons plus.  » Michèle n’a jamais pu. Et n’a jamais su, par la suite, câliner ses cinq autres enfants. Jusqu’au jour où, quarante-trois ans plus tard, elle a découvert que son fils était vivant, grâce à une assistante sociale de la mairie de la ville où elle avait accouché. Né sous X, son enfant, l’encombrant fruit du péché, avait été adopté.  » Le ciel m’est tombé sur la tête ! se lamente Michèle. Ma mère m’a privée de mon fils par peur du qu’en-dira-t-on, afin d’effacer ce qui devait être, pour elle, une erreur d’éducation. Elle a emporté son secret dans sa tombe. J’ai retrouvé mon fils, mais rien ne peut remplacer ces années perdues. Un complot de famille brise des existences et laisse des cicatrices qui font mal toute une vie.  »

Si l’évolution des m£urs et l’explosion des familles recomposées ont rendu caducs ce genre d’ostracismes, de nouveaux petits arrangements avec les maux sont venus remplacer les anciens : le sida, la prison ou l’homosexualité. Quatre ans à inventer des week-ends qui n’existaient pas, à simuler une vie de couple, Alice, par exemple, s’est entêtée, avant de révéler que le père de sa fille l’avait quittée pour vivre avec un autre homme.  » Je voulais protéger mes parents, confie-t-elle. Mais c’est à moi que je faisais du mal !  » Avec les aléas de la vie professionnelle, le chômage fait aussi partie de ces nouveaux secrets de famille. On préfère tricher sur son emploi du temps que d’avouer son licenciement.  » Chez les hommes surtout, la perte d’un emploi est vécue comme une trahison, un coup de canif dans le contrat conjugal : on ne peut plus tenir son rôle « , raconte Ginette Lespine, psychologue, qui décrypte très bien cette honte dans l’ouvrage Surmonter le chômage en famille (Albin Michel). Elle suit en consultation ces pères qui s’inventent une carrière à la hauteur de l’image qu’ils souhaitent projeter à leurs enfants : comme ce brillant biologiste qui fit croire durant trois mois à ses deux adolescents qu’il multipliait les voyages professionnels, alors qu’en fait il cherchait du travail dans toute l’Europe.

Mais les victimes d’un complot de famille ne sont pas dupes. Même tu, le secret parle, il  » suinte « , pour reprendre l’expression du psychanalyste Serge Tisseron. Les gestes, les lapsus, les phrases interrompues trahissent ce qu’on veut camoufler.  » Plus le verrouillage se veut solide et définitif, précise Corinne Daubigny, philosophe et psychanalyste, plus le secret se diffuse par transmissions inconscientes.  » Plus l’enfant, qui imagine le pire, se sent responsable de ce malaise latent. A l’âge de 8 ans, Marie Binet a tout imaginé en surprenant sa mère en train de cacher une pochette derrière un meuble. Prise sur le fait, la conspiratrice s’est défendue :  » N’y touche pas, c’est ma vie privée.  » Bien plus tard, l’année de sa mort, la pochette était toujours en place :  » Comme si elle m’attendait.  » Bercée par des contes de fées, Marie avait toujours cru que sa mère était l’héritière d’une princesse hongroise et que cette femme si séduisante avait vécu aux Etats-Unis.  » C’est ce qu’elle nous racontait lorsque nous étions enfants, confie Marie. Elle riait. Elle virevoltait. On ouvrait grand nos oreilles, on était comme au théâtre.  » La pièce s’est arrêtée le jour où Marie a ouvert la pochette. Sa mère avait bien des ancêtres, mais ils étaientà noirs et venaient de Martinique. Peau claire, cheveux bouclés, elle avait  » franchi la ligne « , et s’était faite passer pour blanche.  » Je me sens aujourd’hui colorée avec deux grands-parents métis, et j’ai enfin trouvé des visages, ceux de mes cousins, qui me ressemblent « , raconte Marie, qui a enfin compris pourquoi sa mère se cachait du soleil et avait si peur que sa peau ne brunisse.  » Je me suis surtout réconciliée avec cette femme qui avait fui les préjugés et la ségrégation.  » De ce voyage identitaire qui l’a menée jusqu’en Martinique, elle a réalisé un poignant documentaire, primé et joliment nommé : Noir comment ?

Des 39 carnets de cuir bleu, rouge, ou vert laissés par sa mère dans une boîte à chaussures, Laurence de Cambronne, journaliste à Elle, a aussi rendu un bel hommage filial, publié ces jours-ci : Les petits agendas rouges (Plon). Depuis ses 18 ans, sa mère, une jeune fille de bonne famille, notait ses pensées intimes. Sa fille a découvert que cette épouse modèle avait été autrefois amoureuse d’un homme marié, bref, qu’elle fut une femme, moderne et passionnée.

Explorer les pistes, interroger ses proches, s’offrir les clefs d’une saga familiale : jamais on ne s’est tant accroché à ses racines. A l’heure où l’on est éjectable, au travail, en couple, c’est rassurant de s’accrocher à une lignée. De plus en plus nombreux sont ceux qui pratiquent maintenant la généalogie, longtemps cataloguée comme une science poussiéreuse û au point que les éditions Autrement lui consacrent une collection depuis le 16 avril, destinée à apprendre à classer les papiers de famille, dépouiller les archives des notaires et débusquer des aïeux morts en prison ou aux galères.

Quand Claire, 23 ans, réclamait des détails à sa grand-mère, celle-ci fuyait :  » Je suis fille unique et ma mère était alcoolique.  » Dans cette famille, justement férue de généalogie, on doutait, on fouinait, on enquêtait, jusqu’à entendre cet homme au téléphone :  » Oui, c’est ma s£ur, et ça fait des années que je la cherche !  » Aînée d’une famille pauvre, leur  » mamie  » avait déguerpi, à l’âge de 20 ans, pour se marier avec leur grand-père, officier, et mener la grande vie. Les retrouvailles ont été organisées septante ans plus tard. Son frère pleurait de joie. Elle ? Pas une larme, pas une question.  » Cette révélation a cassé le mythe ; nous nous sommes aperçus que notre grand-mère, qu’on connaissait généreuse et très pieuse, pouvait avoir un c£ur de pierre avec ses propres parents « , raconte Claire, qui pourtant ne regrette rien.  » J’ai rencontré des cousins, des tantes, des oncles, c’était du bonheur, dit-elle. Même si elle ne l’a jamais avoué, mamie voulait savoir ce que sa famille était devenue. Cette découverte a engendré beaucoup de tensions et de disputes.  »

A la révélation d’un secret, c’est une famille qui se scinde, un clan qui se disloque : d’un côté, ceux qui veulent savoir ; de l’autre, ceux qui refusent de remuer le passé. Les empêcheurs de tromper en rond se heurtent souvent à un concert de résistances. Pour eux, qu’importe si la vérité est infamante, si l’honneur du clan est en péril, ils préfèrent savoir. C’est un soulagement, une délivrance.  » Le secret agit comme un fantôme : tant qu’on ne lui donne pas une place, il ne cesse de nous hanter « , raconte la psychologue Gene Ricaud-François, auteur de Libérez-vous de votre passé (Presses du Châtelet). C’est la fameuse loyauté invisible envers ses ancêtres, avec le  » syndrome d’anniversaire  » dont parle Anne Ancelin Schützenberger, psychanalyste, qui a publié le best-seller Aïe, mes aïeux ! (Desclée de Brouwer). En clair, on  » choisit  » inconsciemment de répéter les histoires tragiques de ses ancêtres, celles dont on n’a pu parler ou faire le deuil :  » D’une génération à l’autre, les mêmes événements se reproduisent : avortement, enfant mort-né, adultère, abus sexuels, etc, explique-t-elle. Ces liens complexes peuvent être sentis, mais, généralement, on n’en parle pas. En nous en libérant, nous pouvons enfin vivre notre vie, et non celle de nos parents, de nos grands-parents ou d’un frère décédé, par exemple, que nous ôremplaçons » à notre insu.  »

Mais ce n’est pas toujours facile d’endosser, du jour au lendemain, sa nouvelle identité. A 14 ans, Patricia a découvert que son père n’était pas ce père divorcé qu’elle voyait un week-end sur deux et qu’en fait son géniteur était son beau-père, le mari actuel de sa mère. Une révolution complète : son demi-frère devenait son vrai frère, son demi-frère et sa demi-s£ur du côté paternel, plus rien du tout.  » Je n’étais plus un enfant du divorce, raconte-t-elle. J’étais un enfant de l’amour. Ça m’a fait du bien de savoir que mes deux parents étaient encore ensemble. J’avais enfin ma place.  »

C’est en apportant son acte  » intégral  » de naissance chez le notaire, avant de s’acheter une maison, que Michel Delouche, Patrice de son vrai prénom, a lui découvert, à 50 ans, qu’il était adopté.  » Je suis devenu livide « , se souvient-il. Doit-il ses yeux bleus à son père ? Ses cheveux blonds à sa mère ? Depuis cinq ans, il cherche désespérément sa génitrice, qui a accouché sous X en 1947.  » On l’appelait Léone « , insiste-t-il. Il ne veut pas la juger, dit-il, mais recomposer le puzzle de son passé :  » J’ai déjà compris pourquoi mes parents adoptifs me tenaient à l’écart des repas de famille. Tout le monde savait, sauf moi. J’étais le dindon de la farce.  »

Entre le grand déballage public et les secrets irréversibles, entre tout dire ou ne rien dire, il y a un juste milieu, un tempo de la vérité. Bon nombre de psys s’accordent finalement sur ce point : la vérité doit moins se révéler que se dévoiler au fur et à mesure qu’elle est demandée, d’abord par l’enfant, puis l’ado, et enfin l’adulte. En clair, on a intérêt à expliquer les choses de façon progressive, avec un langage approprié.  » Trop de transparence est déjà néfaste entre adultes, précise la psychanalyste Corinne Daubigny. L’enfant ne peut tolérer les mêmes charges émotionnelles que les adultes : trop de douleurs, d’excitations, de jouissance lui volent son enfance ou la brisent.  » Mieux vaut lui expliquer, par exemple, que son grand-père, retrouvé pendu, est sans doute  » plus heureux maintenant « à Plus tard, on lui parlera de suicide. Bref, on ne doit rien révéler de but en blanc.  » C’est mieux que les choses soient sues, mais pas n’importe comment et par n’importe qui, prévient la thérapeute Martine Quesnoy- Moreau, auteur de Secrets intimes, secrets de famille ? [Chronique sociale]. Sinon, la vérité peut faire l’effet d’une bombe.  »

Le père de Christine, 44 ans, avait deux femmes dans sa vie : son épouse, et la s£ur de celle-ci. Et des enfants avec chacune. Une tache sur le blason de cette famille de la bonne bourgeoisie : il y eut un conseil de guerre, on décida de ne rien dire. Christine l’a appris il y a neuf ans : sa cousine est donc sa demi-s£ur. Tout s’est éclairé. A 8 ans, elle avait vécu le pire Noël de sa vie, sans savoir pourquoi. Elle revoit sa mère en larmes, plantée devant le sapin. Elle venait de recevoir un sac à main. Les années suivantes, chaque Noël fut une torture pour la gamine, qui cherchait le cadeau qui ne ferait pas sangloter sa mère. Elle sait à présent que son père a offert, ce jour-là, le même sac en cuir à ses deux femmes.  » C’était un jeu pervers et j’en étais la spectatrice « , soupire Christine. Il lui a fallu sept ans de psychothérapie pour digérer le choc :  » On s’organise autour de lui, on fait en sorte qu’il ne vous aliène plus, assure- t-elle, mais on n’oublie jamais un secret de famille.  »

* Les prénoms ont été modifiés.

Marie Huret

ôLe secret agit tel un fantôme. Tant qu’on ne lui donne pas une place, il ne cesse de nous hanter »

ôLa quête de la vérité est si forte qu’il faut à présent défendre le droit à l’intimité »

ôEn nous libérant, nous pouvons enfin vivre notre vie, et non celle de nos parents »

ôL’enfant ne peut tolérer les mêmes charges émotionnelles que les adultes »

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