Sécession, mode d’emploi

Ossétie du Sud, Catalogne, Flandre : quels critères justifieraient une sécession légitime ? Le respect des conditions de la  » guerre juste  » est une piste à suivre.

Dans les relations entre les Etats, la guerre doit rester une exception. Mais, à défaut d’autre solution, elle doit obéir à des principes. Au ve siècle, saint Augustin édictait déjà les trois règles de la  » guerre juste « . Un, la cause doit être juste : il s’agit de réparer une injustice. Deux, elle doit être déclarée par une autorité légitime. Trois, elle doit être animée par de bonnes intentions et non, par exemple, par la haine. Au fil du temps, d’autres principes s’y sont ajoutés : la guerre doit être déclarée en dernier ressort, rester proportionnelle au résultat escompté et comporter des chances raisonnables de succès.

Et si l’on appliquait ces critères aux sécessions, comme celle du Kosovo ? C’est le travail entrepris par le politologue Bruno Coppieters de la Vrije Universiteit Brussel (VUB). De l’Ossétie du Sud à la Catalogne, de l’Abkhazie à la  » République turque de Chypre du Nord, en passant par la Flandre, la question mérite, de fait, d’être posée. Pourrait-on déterminer si les exigences d’indépendance sont  » justes  » ? Selon Bruno Coppieters,  » la sécession est, dans certains cas, un droit constitutionnel. En revanche, aucun texte n’a régi les proclamations d’indépendance du Kosovo et de la Tchétchénie « . C’est dans ce genre de cas que ladite liste des principes peut s’avérer très utile.

Principe 1 : la cause juste

Si une entité se sépare unilatéralement du pouvoir central, c’est pour réparer de profondes injustices. Quelles injustices ?  » Du crime de génocide jusqu’à des formes injustes de redistribution des richesses « , indique le professeur. Dans le cas du Kosovo, des pays membres de l’Union européenne ont reconnu que la cause était juste. Quelle serait la cause juste des indépendantistes flamands ? Les transferts d’argent vers la Wallonie ?  » Cela peut être perçu comme une injustice, surtout si ces transferts sont considérés comme perpétuant une relation inique, tout en empêchant des réformes structurelles. « 

Principe 2 : l’autorité légitime

Qui a le pouvoir de proclamer l’indépendance ? Et qui, sur le plan international, est habilité à la reconnaître ? Dans le cas d’une  » dissolution à l’amiable « , le problème ne se pose pas. Le nouvel Etat du Monténégro a été immédiatement reconnu en 2006. Mais si l’indépendance est déclarée unilatéralement, la communauté internationale peut se diviser et, du coup, mettre en danger la stabilité géopolitique. Ainsi, le Kosovo a été reconnu par la plupart des Etats européens, mais le Conseil de sécurité de l’ONU ne s’y est pas résolu à cause du veto mis par la Russie.

Si la Flandre se déclarait indépendante unilatéralement, le parlement flamand pourrait en être l’autorité légitime.  » Mais alors s’ouvre la voie à d’autres déclarations unilatérales, enchaîne Coppieters. Les communes à facilités pourraient organiser leur propre sécession, autrement dit créer une sécession dans la sécession. Au Québec, des communes à majorité anglophone ont affirmé leur intention de se séparer de la Belle Province si la souveraineté québécoise était votée. Au Kosovo, la minorité serbe a déclaré vouloir rester dans l’Etat serbe.  » Organiser un référendum ?  » Mais qui s’arroge alors le droit de l’organiser ? C’est un outil démocratique qui envenime souvent les conflits au lieu de les résoudre. « 

Principe 3 : l’ultime recours

La sécession est-elle l’unique solution pour corriger les injustices et exprimer la volonté de la population ? Au Kosovo, la réponse fut affirmative, mais tout dépend du temps que l’on donne aux négociations. La Russie estime, par exemple, que les parties en conflit au Kosovo n’ont pas eu suffisamment de temps pour négocier une solution à l’amiable.  » En Flandre, la majorité politique ne considère pas la sécession comme l’ultime recours : elle suggère d’approfondir le fédéralisme, voire de fonder une confédération.  » Ce modèle-ci implique la souveraineté, mais pas l’indépendance.  » Dès lors, poursuit Bruno Coppieters, quelles seraient les entités souveraines ? Les Régions ou les Communautés ? Une telle transition suppose une rupture fondamentale avec l’ordre constitutionnel existant, mais moins problématique que l’indépendance pure et simple. « 

les intentions droites

Les  » justes motifs  » pour déclarer l’indépendance ne doivent pas en cacher d’autres, moins honorables. Ainsi, les adversaires d’une sécession reprochent souvent aux indépendantistes de poursuivre des intérêts suspects. Le gouvernement chinois accuse les moines du Tibet de vouloir y rétablir leurs privilèges théocratiques.  » En Belgique, beaucoup de francophones lient la cause de la sécession flamande à l’extrême droite et même au fascisme, de façon à démontrer que la « cause juste » d’un Bart De Wever est animée, en fait, d’autres intentions « , souligne le politologue. Ce faisant, ces francophones courent le risque d’exposer leur méconnaissance des enjeux dans le nord du pays… et, donc, de renforcer la volonté sécessionniste.

Principe 5 : la proportionnalité

Les bénéfices de la sécession, sur le plan tant intérieur qu’international, sont-ils supérieurs au prix à payer ? Bénéfices possibles : un bien-être accru de la population, un régime plus démocratique…  » Dans le cas de l’indépendance du Monténégro par rapport à la Serbie, l’UE a conseillé en vain aux deux parties en présence de s’entendre, car un Etat commun faciliterait son intégration dans l’Europe.  » Et en Belgique ?  » La question de la proportionnalité est au c£ur des débats entre les uns qui veulent réformer l’Etat et les autres qui ont cessé d’y croire. L’indépendance de la Flandre pourrait, par exemple, nuire aux intérêts des Flamands de Bruxelles. « 

Principe 6 : les chances de succès

Les partisans d’une scission doivent prouver que ces modèles répondent à leurs objectifs éthiques, notamment la mise en £uvre d’une meilleure gouvernance au profit de tous. Dans le cas belge,  » les confédéralistes devront expliquer pourquoi aucune confédération ne fonctionne aujourd’hui dans le monde « . La reconnaissance est indispensable : déclarer son indépendance pour n’échanger des ambassadeurs qu’avec la  » Syldavie  » risque de mener à l’ impasse. Ainsi, l’indépendance de la Tchétchénie n’a été reconnue que par les talibans… Celle du Kosovo, par moins du quart des Etats membres de l’ONU.

Bruno Coppieters conclut :  » Dans le cas du Kosovo, seuls les principes de cause juste et d’intentions droites étaient pleinement réunis. Les autres, beaucoup moins. Par conséquent, la reconnaissance par la Belgique de l’indépendance de cet Etat ne peut être considérée comme juste.  » Et si la Flandre… ? Le politologue coupe court :  » Chacun applique ces critères différemment et arrive à des conclusions différentes. Ils facilitent un meilleur jugement, mais ne fournissent pas pour autant une vérité acceptable pour tout le monde.  » C’eût été trop beau.

François Janne d’Othée

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