SANS LA RUSSIE, PAS DE SOLUTION EN SYRIE

Sur l’intensification du combat qu’il faut livrer contre Daech, il ne faut pas s’attendre à une avancée significative. Car une confusion déplorable persiste ; la partie diplomatique, qui dépasse largement le théâtre moyen-oriental, reste le parent pauvre de toutes les approches. Que l’on soit favorable ou défavorable à une intervention militaire de grande ampleur (terrestre) contre l’Etat islamique (EI), en Irak et en Syrie, il existe un élément central qui demeure occulté : il n’y aura pas de solution en Syrie sans l’implication, d’une manière ou d’une autre, de la Russie.

Pour achever de nous en convaincre, Moscou multiplie les signes d’un engagement militaire accéléré au côté de son allié, Bachar al-Assad. Depuis plusieurs semaines, les renseignements américains font état de l’arrivée sur place de troupes et d’équipements dans des proportions inédites. Une base aérienne serait en cours d’édification non loin de Lattaquié, fief alaouite dont la famille Assad est issue. Officiellement, la Russie ne dispose que de quelques navires et d’installations logistiques dans le port de Tartous ; et Vladimir Poutine assure que l’armée russe ne participera pas à des opérations en Syrie. Mais, dans l’état de tension qui persiste entre l’Otan et la Russie, ces mouvements militaires subreptices ne sont pas sans rappeler les manoeuvres préalables à l’annexion de la Crimée, en mars 2014. Il n’en faut pas davantage pour imaginer que les Russes élaborent une stratégie de repli, susceptible de permettre à Assad de se réfugier en dernier ressort dans le pays alaouite de l’ouest de la Syrie.

Faute d’entente entre Russes et Occidentaux sur une stratégie commune face à Daech, on risque donc d’assister à la prolongation du conflit sans limite prévisible. La principale victime de cette situation est bien sûr la population syrienne, qui n’a d’autre possibilité de survie que de fuir vers l’Europe ; l’autre partie sacrifiée est l’opposition syrienne, complètement écrasée entre l’ultraviolence de Daech et la guerre totale menée par les forces de Damas. Autant dire l’échec absolu de la ligne privilégiée par la France au tout début de la guerre ; les rebelles syriens, dont quelques escouades ont été entraînées par les Américains avant d’être purement et simplement abandonnées à leurs ennemis, sont les grands perdants du choc Assad-Daech. Ce qui doit, au plus vite, les inciter à transiger avec le régime de Damas – malgré les horreurs continues commises par ce dernier… C’est l’inflexion encouragée par Paris, comme l’a précisé récemment François Hollande, peu après avoir reconnu qu’il fallait  » neutraliser  » Assad – en clair, ne plus rêver de le voir tomber comme préalable. Cette issue correspond, à l’évidence, aux réalités amères du terrain, mais elle ouvre aussi la voie à un dialogue inévitable avec Moscou.

Pour que les lignes bougent et pour que Daech soit efficacement combattu, il en faut toutefois davantage. Le défi diplomatique est ardu ; car les Russes sauront à coup sûr mettre la Crimée dans l’autre plateau de la balance. Pour obtenir d’eux une attitude concertée contre l’EI, il faudra non seulement renoncer à cibler en priorité Assad, mais aussi donner des gages au Kremlin au sujet de l’Ukraine. C’est dans cette direction que François Hollande a esquissé une possible levée des sanctions prises par l’UE contre la Russie (si les engagements de Minsk II étaient respectés d’ici à la fin de l’année).

Il n’y aura pas, non plus, de solution en Syrie sans une stratégie occidentale qui tienne compte de l’engagement majeur de l’Iran dans le soutien au régime de Damas. Sur ce point, c’est auprès de Barack Obama que se joue la suite. Très déterminé à faire adopter l’accord sur le nucléaire iranien, qui constitue la grande affaire de la fin de son ère, le président américain est aux prises avec le Congrès (à majorité républicaine). Dans ce contexte, relâcher la pression exercée sur la Russie lui vaudra une hostilité supplémentaire de la part des républicains ; Obama n’est donc pas pressé d’aller dans ce sens.

En résumé, il n’y a toujours pas de clarté stratégique au sujet de la Syrie. Sauf, hélas, du côté russe.

par Christian Makarian

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