Saltimbanques Inc.
Le Cirque du Soleil plante son chapiteau à Bruxelles. L’occasion de découvrir l’envers d’un décor clinquant, impressionnant. Des coulisses où l’on brasse des millions.
De notre envoyée spéciale à Alicante
A l’extérieur, la chaleur est assommante. Dans le réfectoire, le ronron de l’airco côtoie le tintement des couverts. Il est 20 heures. Il reste deux heures avant le début du spectacle Quidam, à Alicante. Artistes aux muscles saillants et employés mangent en regardant la télé, qui retransmet les exploits olympiques du jour. L’écran présente peut-être de futurs collègues aux téléspectateurs. » A Montréal, confie Marie-Josée Gagnon, l’attachée de presse du show, les directeurs sont aussi devant leur écran. Ils recrutent. »
Parce qu’au Cirque du Soleil, on veut les meilleurs. Et on en a les moyens. Un acrobate peut gagner l’équivalent de 5 400 euros brut par mois. Alors, à ce prix-là, on débauche sans trop de problème. Surtout qu’il n’y a pas que le salaire qui compte. Il y a aussi tout le reste, et ça, le cirque – colossale entreprise québécoise aux 4000 employés, dont un quart d’artistes – l’a bien compris. » On fait tout ce qui est en notre pouvoir pour garantir le bien-être des gens « , assure Jamie Reilly, directrice des tournées de Quidam. L’entreprise ne ménage pas sa peine pour choyer sa main-d’£uvre, puisque c’est d’elle dont dépend sa forme.
Exemples parmi d’autres : sur la tournée, quatre chefs se relaient aux fourneaux six jours sur sept pour offrir une alimentation équilibrée et goûteuse aux circassiens : un grand buffet coloré de plats et de desserts, des frigos qui regorgent de jus et de pâtisseries… Il ne faut pas croire qu’on mange light, ici. » Tout le monde ne brûle pas le même nombre de calories « , poursuit Jamie Reilly. Chacun a son propre programme, établi par un nutritionniste qui travaille depuis le siège montréalais et reçoit chacun une fois par an pour assurer le suivi. Un plan nutritionnel auquel tous ont droit, de l’acrobate-vedette à la secrétaire.
Le logement des troupes – 145 personnes, si l’on compte enfants et conjoints qui suivent la caravane – est également soigné. Les familles dorment dans des appartements, les autres vont à l’hôtel. Ici, on les a casés au Melia, un quatre étoiles les pieds dans le sable.
Les plus jeunes, enfants artistes et enfants d’employés, ont droit à l’école itinérante gratuite, dans une petite classe démontable. Les cours suivent le programme d’éducation du Québec, jusqu’à la cinquième secondaire. En français ou en anglais, au choix. Vladimir, 14 ans, a opté pour l’anglais, mais il étudie aussi le français comme deuxième langue. » Troisième ! corrigent ses parents, avec une fierté toute slave. Puisque la première, c’est le russe. » Natalia et Alexander Pestov sont tous deux acrobates sur le spectacle. Elle, aux cordes lisses, lui, au numéro qui mélange pyramide humaine et voltige. Leur fils s’entraîne après la classe. Il a envie d’intégrer la troupe, et démontre un certain talent pour jongler. Le couple est ravi que leur fils marche sur leurs traces : » Peur pour lui ? Et de quoi ? Il peut se casser une jambe en traversant la rue ! » lance la mère. » De toute façon, il est né dans une famille d’acrobates, c’est génétique « , appuie le père.
Des amisdans chaque port
Natalia et Alexander se sont rencontrés gamins, au gymnase. Alexander a intégré le cirque de Moscou et a été démarché par des » gars de Montréal « , comme quelques-uns de ses collègues. Sa femme a suivi quand leur enfant avait 1 an. Elle a commencé à travailler pour le cirque trois ans plus tard. Le couple a encore une fillette de 3 ans, restée en Russie pour y recevoir des soins, puisqu’elle est née prématurée et est restée fragile. Natalia brandit sa photo. » Elle nous manque. Elle nous rejoindra peut-être l’an prochain. »
Les Pestov ajoutent que, non, la vie de famille n’est pas plus difficile ici qu’ailleurs. Mais que, oui, c’est difficile de se coucher si tard tous les soirs. Qu’ils ont des amis dans chaque port, qu’ils voient rarement plus d’une fois dans l’année. » Mais c’est le meilleur cirque du monde « , souligne Natalia, qui pense qu’il est impossible d’être mieux loti qu’ici pour un saltimbanque. Quand le corps ne suivra plus la cadence, ils pourront réorienter leur carrière, puisque l’entreprise propose des programmes pour préparer l’après.
Aucun détail n’est laissé au hasard avant le spectacle
La compagnie bichonne ses employés, mais soigne aussi son public aux petits oignons. Ce soir, à 21 h 30, le chapiteau se remplit peu à peu. Une brise moite charrie une odeur de pop-corn. Ici, il est salé. » Comme en Amérique, précise Jaime Ferrer, directeur des services au public. Mais en Asie, par exemple, ils sont fanatiques de pop-corn sucré, alors on ne fait que celui-là. » Rien n’est laissé au hasard, des équipes de préproduction enquêtent dans chaque pays sur ce genre de détails. » En Corée, le service doit être plus formel qu’ailleurs. On ne doit pas sourire sans arrêt, ni suggérer des achats du genre » Vous voulez quelque chose à boire avec ça ? « . A Dubaï, on ne peut pas mettre de femme derrière le bar… Il faut s’adapter à la culture, que l’on soit d’accord ou pas. » Un faux pas, et c’est l’assurance d’étouffer la frénésie acheteuse du client. Ce serait dommage, avec un merchandising aussi développé.
Les marchands du temple vendent avant, pendant et après le spectacle. De tout, même de l’incongru. Et du cher. Des tee-shirts à 50 euros, des chapeaux à 25, des CD, DVD, des sacs, des masques, des totems… Sous une tonnelle, on peut même se faire photographier pour une poignée d’euros avec un personnage de Quidam… en plastique.
A la fin du spectacle, le public est une dernière fois dirigé vers les souvenirs. Les spectateurs partis, les employés du cirque rentrent aussi chez eux. Il y a quelques minutes, ils flirtaient avec le danger, se contorsionnaient autour de cordes ou de rubans… L’émouvante femme-chrysa-lide du show a troqué son justaucorps contre une robe bain de soleil. Elle fume une dernière cigarette sur le chemin de l’autocar qui la ramènera à l’hôtel. Il est 1 heure du matin.
» Ce style de vie doit nous plaire, dit Jaime Ferrer, qui a rencontré sa femme en tournée. Parce qu’on a notre existence dans deux valises. C’est le standard de la plupart des gens, ici. Dans une valise et demie il y a des vêtements, etc. Mais pour le reste, on emporte des petites choses pour se sentir chez soi. «
» Des bougies et des photos suffisent à humaniser une chambre « , assure Sean McKeown, coordinateur artistique du show. Sean l’Australien est sur la route depuis 6 ans et demi. Il s’arrange comme il peut avec le temps libre que son job lui laisse (il s’occupe de la qualité du show et du soin des artistes). A Noël, l’an dernier, il a fait l’aller-retour Mexico/New York en vitesse pour voir des amis. » Ça a l’air glamour comme ça, mais j’étais très fatigué « , confesse-t-il. Glamour aussi : il peut se permettre le luxe de garder une maison dans son pays, comme beaucoup de monde ici. En trois ans, il y a séjourné cinq jours… l
Quidam, du 31 octobre au 30 novembre, à Bruxelles (Grand-Bigard). Billets : de 39 à 74 euros. www.cirquedusoleil.com
Myriam Leroy
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