Le Grand Soir est l’album-révélation de l’année du groupe liégeois, où le chanteur Jean-Charles Santini, immigré corse, met brillamment le feu aux chansons.
Il y a trois semaines, on a reçu le premier album de Saint-André comme on se prend un coup de foudre. On s’en trouve désarçonné, bluffé, secoué. Dès Un autre que moi, titre qui ouvre le bal, le rythme coquin de la chanson s’impose de façon inévitable : on dirait du Raphaël qui aurait remisé son spleen au frigo des auteurs pour assouvir un pressant besoin de vie.
La voix du Corse Jean-Charles Santini ne ressemble à rien de commun, elle étale ses bizarres tonalités vinaigres au gré de mots saisis dans l’étreinte. Ce désir de s’emparer d’une chanson jusqu’à l’absolu qualifie assez bien la musique de Saint-André, baptisé ainsi en souvenir d’un village corse perdu dans la montagne. Saint-André, c’est une mise en sons mélodramatique où le texte suit la courbe d’un relationnel naturellement troublé : plusieurs moments confinent au sentiment d’une gloire potentielle, d’une réussite possible, d’un mirage à concrétiser. Il y a de l’équilibre funambule dans ce disque élégamment calibré par le producteur Ian Capple (Tindersticks, Bashung). Il y a, surtout, le talent polymorphe de Santini – chanteur-auteur et compositeur – apte à transformer ses ambitions en chansons fortes. Là où tant de groupes rêvent de grandeur, Saint-André l’exécute, la discipline, l’assimile. C’est vrai dans le Mauvaise Nuit pour George Best, hommage au footballeur et beautiful loser irlandais mort d’overdose de vie (et d’alcool) en 2005. Cela l’est autant dans Mille Amants amènes ou Est-ce que les hommes pleurent parfois ?. Le moment emblématique du disque reste la reprise de l’aznavourien Comme ils disent. La façon dont le tempo accélère l’original tout en respectant profondément sa dramatisation est impressionnante. » Le narrateur, noble de c£ur, montre au fur et à mesure de la chanson comment on juge sans cesse l’autre, explique Jean-Charles. Ce titre prouve que la musique n’a de sens que si elle est partagée. Donc, en concert, on va chercher les gens. »
Lorsqu’on évoque le buzz actuel entourant Saint-André, Santini garde la tête à bonne température, tiède : » La médiatisation est une notion qui m’échappe un peu : je sais que certains se magnifient au contact du succès et que d’autres basculent du côté obscur. » Le protagoniste principal de Saint-André, 28 ans, s’était installé à Liège pour des études de kiné. Le diplôme décroché, il est parti pour vivre une histoire d’amour à Paris. Entre-temps, il a fondé Saint-André avec trois musiciens Ardents et inspirés : Sam Voccla (guitares), Jeffo Sculfort (basse) et Thomas Jungblut (batterie). » A Liège, l’affectif et l’humain priment. Je suis un peu de l’avis de Rousseau même si ce que dit Voltaire est vrai ( rires) : la nature est bonne et cela se voit dans cette ville, qui est aussi un extraordinaire melting-pot musical. » Jean-Charles reconnaît l’identité locale légèrement surréaliste en reprenant dans Mille Amants amènes un texte du poète turco-liégeois, Selcuk Mutlu, écrivain de la tradition d’Izoard : » Dans ses mots quasiment porno, il y a de l’élégance et du libertinage. » Un sacré programme, que Saint-André assume tout en prenant à rebours ce qu’on pourrait attendre des quatre musiciens. La preuve, dans Papa est près de moi, où Santini et compagnie conjuguent la vision de l’enfant à sa hauteur, soit un mètre trente-sept. A ce moment précis, et à d’autres, Saint-André possède la grâce tactile de Serge Reggiani et un peu du panache musical de Radiohead : c’est dire que son arrivée sur la scène rock n’est pas anecdotique !
CD chez Bang !. En concert en première partie d’Aaron, le 26 novembre, au Cirque royal, à Bruxelles. www.botanique.be
Philippe Cornet