Si l’opéra n’est plus un lieu de pouvoir pour quelques tractations politiques, il reste encore un cercle privilégié pour le monde économique.
Pour les maisons d’opéra, l’enjeu est de taille, surtout en cette période de disette budgétaire. Depuis 2007, la politique de mécénat à La Monnaie s’est développée et n’a fait que croître avec l’arrivée de Peter de Caluwe. » Ce sont plutôt des amoureux de l’opéra qui deviennent mécènes. On a pas mal de Français qui l’étaient déjà à Paris. Environ deux tiers. C’est culturel : il y a une volonté chez eux d’investir dans la culture, volonté qui n’existe pas encore assez en Belgique « , détaille Thomas Lauriot, dit Prévost, gestionnaire financier de l’institution.
La Monnaie chouchoute particulièrement ce public en lui proposant des soirées privées, des rendez-vous privilégiés avec les artistes. » Le cadre reste important, et c’est l’occasion de croiser d’autres personnes politiques ou économiques, d’y inviter ses clients… On a de nombreuses formules : de l’achat de places à la rencontre d’artistes, en passant par un accompagnement plus profond dans des missions éducatives et sociales « , continue le gestionnaire financier. » Le must, c’est le dîner sur la scène. C’est un rendez-vous très couru parce qu’il réunit des personnes très occupées qui ont du mal à se voir. Et de tels rendez-vous, il n’y en a pas dix mille sur une saison « , admet un des mécènes de La Monnaie que nous avons pu interroger. » Mais il n’y a pas encore suffisamment d’hommes d’affaires, surtout parmi les Flamands, qui fuient tout simplement La Monnaie. D’autres soutiennent sur fonds propres parce qu’en termes d’outil marketing, sponsoriser l’opéra en période de crise, ça paraît difficilement justifiable pour une entreprise car jugé trop élitiste aux yeux du grand public « , poursuit-il.
De son côté, Evelyne Gessler, elle aussi mécène, a décidé d’introduire Peter de Caluwe dans différents cercles économiques » pour prêcher la bonne parole » après l’annonce des coupes budgétaires frappant l’institution fédérale. Mécène et ambassadrice, son rôle est de jouer la porte-parole pour attirer des investisseurs, de nouveaux publics plus ou moins fortunés. » Le monde culturel a besoin du monde économique « , affirme cette administratrice-déléguée d’une boîte de conseil aux dirigeants. » Lors des premières, je vois pas mal de mes clients. Je les pousse même à devenir mécènes. Ce ne peut être que bon pour leur image « , ajoute-t-elle. Car selon Evelyne Gessler, l’opéra continue bel et bien de jouer le rôle de cercle d’affaires. » Comme mécène, on est invité à un petit drink, très, très sympa, mais ce n’est jamais show-off… On reçoit une petite coupe de champagne, des zakouski et tout le monde bavarde avec tout le monde. Cela fait tomber les masques et apporte au milieu des affaires une certaine sérénité. »
Pour Philippe Delusinne, patron de RTL et président du conseil d’administration de La Monnaie, l’opéra est incontestablement un lieu de qualité pour rencontrer des hommes d’affaires. » Même s’il y aura toujours plus de monde à un match de football qu’à un opéra. Si on vient à La Monnaie, c’est d’abord pour la passion de la musique, ce qui n’est forcément le cas dans un cercle d’affaires ou même dans une tribune de football. » Parmi les habitués, citons Dominique Leroy, de Proximus, Jean-Pierre Clamadieu, de Solvay, et tout ce qui compte dans les vieilles familles du capitalisme belge… » On vient très peu pour le business et on parle très peu d’affaires, c’est même mal vu « , nous explique l’un de ces habitués.
» De toute façon, cela reste un public marginal, même si on a une démarche dynamique pour faire venir le monde de l’entreprise à La Monnaie, conclut Thomas Lauriot. Selon nous, on n’affiche pas le même engagement dans la société si on réserve à ses clients des places au stade ou à l’opéra. On plaide fortement pour un engagement social et économique plus fort qui passe par la culture. »
Pierre Jassogne
