Un grand talent vocal, une énorme personnalité camp, de brillantes chansons : Rufus Wainwright est la star la plus flamboyante depuis Judy Garland. Ou Freddie Mercury.
En commun avec le chanteur de Queen, Wainwright possède le goût du décorum kitsch. Sur les photos de son dernier album – Release the Stars -, il s’affuble d’une superbe culotte de cuir bavaroise. Avec Judy Garland, star déchue de la grande saga hollywoodienne, Rufus partage davantage qu’une peau de bête : dans un CD et DVD à paraître fin novembre, on le voit interpréter l’intégrale d’ Over the Rainbow, le spectacle que Garland donna sur la scène du Carnegie Hall new-yorkais en 1961. Rufus est donc l’héritier d’une chanson mélodramatique qu’il déploie en cabaret théâtral, se permettant des tragédies habituellement réservées à l’opéra. Mais avec des mélodies volontiers pop et irrésistibles. Depuis son premier album paru en 1998, Wainwright Jr réanime un esprit camp, soit une esthétique faite d’ironie et de mauvais goût, de provocation et de flamboyance, moquant les normes sociales généralement admises. On croyait le camp mort avec les derniers sursauts sixties de Judy Garland ou Liberace, mais Rufus en impose une version à la fois radiophonique et ouvertement gay. Ce dernier élément, fondamental dans l’attitude du chanteur, mérite un développement propre.
Mais il faut d’abord resituer les fondements familiaux : né en juillet 1973 dans l’Etat de New York, Rufus est le rejeton de Loudon Wainwright III et de Kate McGarrigle, deux artistes célébrés dans le folk et au-delà. Les Wainwright sont un pur produit de l’Amérique historique : l’ancêtre, Peter Stuyvesant, fut le dernier directeur général de la Nouvelle Hollande, colonie installée sur la côte Est des Etats-Unis au xviie siècle. Le grand-père de Rufus travailla pour le prestigieux magazine Life et son propre père, Loudon, s’est réfugié dans la contre- culture des années 1960 pour en extirper toutes les contradictions ( lire l’encadré). Une lignée d’Américains, en quelque sorte, infaillible.
Du côté maternel, des Canadiens bilingues, la musique est également omniprésente : le grand-père chante en amateur les comptines québécoises et la mère de Rufus, Kate McGarrigle, en duo avec sa s£ur Anna, devient, dès les seventies, une icône du folk international. Loudon et Kate se séparent quand Rufus est enfant : celui-ci part vivre à Montréal avec sa mère, puis fréquente en interne un lycée privé de l’Etat de New York qui lui inspirera la chanson Millbrook. Rufus a tout de l’enfant prodige : il joue du piano dès 6 ans, décroche diverses distinctions et est embarqué, tout môme, dans des tournées familiales. Son homosexualité – précoce – constitue le premier obstacle générationnel avec ses parents qui, éducation rigoureuse oblige, n’en diront rien pendant des années. A l’âge de 14 ans, il accepte une balade nocturne dans Hyde Park à Londres et se fait violer par sa rencontre d’un soir. Rufus cessera toute relation sentimentale pendant les cinq années qui suivent. Ce n’est pas tout : alors qu’il est apprenti pop-star au début des années 2000, il devient accro au crystal meth (méthamphétamine), drogue terrifiante, davantage prisée par les » white trash » que par les célébrités en devenir. Désintoxiqué dans un centre du Minnesota sur les conseils de son » ami » Elton John, il entame le nouveau millénaire avec une paire d’albums plutôt brillants, sans pourtant atteindre le statut qu’on lui prédit depuis toujours : celui de superstar. Avec Poses (2001), Want One (2003) et Want Two (2004), il poursuit son travail d’ethnologue-chanteur, revisitant ses thèmes chéris que sont l’homosexualité ( Harvester of Hearts), la politique ( Gay Messiah), la géographie ( April Fools) et, bien évidemment, les tumultueuses relations familiales (celles, en particulier, avec son père, dans Dinner at Eight).
La parution de Release the Stars, en mai 2007, conforte son succès en Grande-Bretagne, où son statut dépasse désormais le simple culte : à Londres, il remplit deux soirs de suite les cinq mille places de l’Hammersmith Apollo. Pour la première fois, les Etats-Unis réagissent à son art de manière significative. Autant pour les dorures du nouvel album cossu, enregistré avec plus de cinquante musiciens, que pour sa chasse au mythe Judy Garland. Rufus rend hommage à la star dans deux concerts complets au prestigieux Carnegie Hall new-yorkais, en juin 2006, puis offre la même performance en septembre 2007, devant les 18 000 spectateurs du Hollywood Bowl de Los Angeles. C’est chargé de ce CV doré et de chansons imparables que le tumultueux Américano-canadien s’apprête à conquérir le Cirque royal, à Bruxelles. Détail d’importance, le Gay Messiah est désormais en couple avec son boy-friend allemand, Jörn Weisbrodt, administrateur à l’Opéra de Berlin. Voilà qui pourrait expliquer le » mystère de la culotte de cuir bavaroise « …
CD Release The Stars, chez Universal, qui sort les CD et DVD en hommage à Judy Garland le 31 novembre. Rufus est en concert le 16 novembre au Cirque royal, à Bruxelles ; www.cirque-royal.org
Philippe Cornet