Rouge sang sur noir polar
Frank Miller et Robert Rodriguez adaptent ensemble la bande dessinée du premier, pour un Sin City sombre, violent, grinçant, aux images parfois stupéfiantes
(1) La ville s’appelle en fait Basin City, mais son atmosphère (et le mitraillage de la plaque l’annonçant sur la route) l’a privée de ses deux premières lettres pour en faire Sin City, » la ville du péché « …
De toutes les adaptations récentes de » comic books » réalisées à Hollywood, Sin City est clairement la plus ambitieuse et, peut-être, la plus significative. Le film s’inspire de la série culte de Frank Miller, entamée au début des années 1990 et enrichie durant toute la décennie par son prolifique auteur. Connu aussi pour la création d’Elektra, la tueuse ninja dont un autre film (avec Jennifer Garner) vient de porter les aventures au grand écran, Miller s’est également distingué, en 1986, en signant avec The Dark Knight Returns un album magnifique où il dessinait un Batman vieillissant et vulnérable. Géant reconnu de la BD américaine, Miller n’ignorait pas que l’univers de polar noirissime, violent, romantique et sexy de Sin City devait tôt ou tard se voir transposer au cinéma, un médium où ses qualités d’atmosphère et d’action ne pouvaient manquer de briller sombrement.
Produit par Miramax, coréalisé par Miller en personne et le bouillant Robert Rodriguez (réalisateur de Desperado et de la série Spy Kids), le film qui déboule dans nos salles après sa première au Festival de Cannes a de quoi retenir l’attention. Le monde très particulier des albums, fait de contes urbains hallucinés, peuplé de baroudeurs implacables, de femmes fatales et de criminels monstrueux, le tout sur fond d’idéaux bafoués et d’omniprésente corruption, y est transposé dans l’évident souci de donner aux dessins de Miller une troisième dimension. La technologie digitale a été mise à l’épreuve de ce pari appelant d’évidence l’usage du noir et blanc, griffé çà et là de » taches » colorées soulignant un regard, un objet, une blessure.
L’effet visuel est assurément saisissant, la dimension de l’écran soulignant l’art du cadrage, des angles de vision et du jeu sur avant et arrière-plan qui caractérisent, entre autres, le trait de Frank Miller. Les personnages des récits croisés retenus pour le film û dont un flic au bout du rouleau joué par Bruce Willis et une brute au grand c£ur incarnée par un Mickey Rourke presque méconnaissable sous un maquillage étonnant û évoluent littéralement dans les dessins du créateur de Sin City (1). Leurs mésaventures volontiers cruelles, exacerbant les éléments sadomasochistes présents dans le film noir hollywoodien depuis son émergence dans les années 1940, sont riches en rebondissements. Dommage seulement que l’action finisse par prendre le pas sur des qualités d’atmosphère auxquelles les albums originaux rendent sans aucun doute nettement mieux justice.
Louis Danvers
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici