RÉVEILLEZ-VOUS !

Chacun peut voir, à tout un ensemble de signes, que le monde va très mal. De plus en plus mal. Et chacun, face à cela, semble pris d’un vertige, comme hypnotisé par le vide qui s’avance. Au mieux, paralysé, au pire, attiré vers lui. Comme si la catastrophe qui s’esquisse était perçue comme la seule façon de créer les conditions pour agir. Comme si elle était l’unique substitut possible à l’action. Comme si la réforme était à ce point difficile qu’il faille en passer par la table rase. Comme si, devant l’imminence du désastre, sa concrétisation seule pouvait signifier la délivrance. Car le désastre est à nos portes. Qui ne le voit ?

1. La situation économique mondiale s’aggrave : partout, la récession s’installe et la déflation s’en mêle. Les raisons en sont multiples : la rupture technologique, la concurrence, la surproduction, la faiblesse des syndicats, la concentration des pouvoirs, l’absence de régulation, l’attentisme, la défiance. Un tsunami s’annonce, qui pourrait emporter bientôt les marchés financiers, et que les Etats endettés ne sauront enrayer.

2. La situation militaire se détériore : en Syrie, en Irak, en Israël et en Palestine, dans tout le Moyen-Orient, en Afrique subsaharienne, entre la Chine et le Japon.

3. La situation écologique dérape : la température de la planète augmentera d’au moins 2 °C, et peut-être de 6, d’ici à la fin du siècle, et la COP 21 ne semble pas pouvoir l’empêcher.

4. La situation humanitaire se dégrade : plus de 5 millions de réfugiés politiques potentiels se trouvent aux portes de l’Europe.

5. Pis, la situation idéologique devient désastreuse : au lieu de  » penser positif « , de chercher, dans un esprit constructif, des solutions à ces problèmes encore solubles, on s’enferme, on exclut, on refuse l’autre. Partout. De mille façons. L’élection législative suisse du 18 octobre en est un nouveau signe.

La cristallisation de ces cinq dimensions de la crise conduira au pire. Un enchaînement épouvantable est devant nous : la crise économique et sociale facilitera la victoire politique des partis extrêmes, dont l’égoïsme conduira à la fermeture des frontières et à l’exclusion, lesquelles mèneront à l’affrontement. Si, dans deux ans, des drapeaux noirs se lèvent sur les principaux bâtiments publics du monde, il ne faudra pas s’en étonner.

Qu’on ne me dise pas que je force le trait. A travers la planète, pas un dirigeant sérieux des milieux économique, politique, industriel, financier, social et environnemental qui ne partage en privé ce diagnostic. Pourtant, rien n’est fait, alors qu’il est encore possible d’enrayer ce processus. A condition d’agir vite. Massivement. Mondialement.

Une occasion se présente : le prochain sommet du G 20 à Antalya, en Turquie, les 15 et 16 novembre prochains. Si les dirigeants politiques de la planète veulent bien prendre conscience de la situation et reconnaître publiquement sa gravité, ils peuvent immédiatement mettre en oeuvre les cinq décisions suivantes :

1. Lancer, en le finançant par les énormes capitaux dormants, un programme massif d’investissements publics, afin de réduire la pauvreté, de généraliser l’accès aux réseaux numériques, de maîtriser les gaspillages d’énergie et de créer des emplois durables.

2. Décider de dépenser avant 2025 les 100 milliards de dollars nécessaires à la satisfaction des besoins en économies d’énergie des pays du Sud.

3. Mettre en place des procédures de police et de stabilité militaire par l’alliance des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies.

4. Prendre l’initiative d’un vaste dialogue des civilisations et des religions en affirmant que chacune a beaucoup à apprendre des autres.

5. Coordonner les principales banques centrales, pour que leurs actions massives donnent aux initiatives gouvernementales le temps d’avoir de l’effet.

Afin que tout cela advienne, il faudrait que chacun d’entre nous  » pense positif « , se réveille, agisse par lui-même, soit tolérant avec les autres et frappe à toutes les portes possibles pour que les dirigeants se mettent à l’oeuvre. Ou pour remplacer au plus vite ceux qui n’en auraient pas le courage.

par Jacques Attali

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