René Jacobs revient au sérail

Après huit intégrales d’opéras de Mozart pour Harmonia Mundi, René Jacobs investit L’Enlèvement au sérail. Entre deux séances d’enregistrement, il entame une tournée européenne qui passera par Bruxelles. Rencontre avec le chef gantois.

Le Vif/L’Express : Vous nous concoctez une version de concert de L’enlèvement au sérail. Cela n’aura donc rien à voir avec un vrai spectacle d’opéra ?

René Jacobs : Ce ne sera pas le grand dispositif d’un opéra monté, mais détrompez-vous : ce ne sera pas non plus un concert où les chanteurs restent figés face au public, cachés derrière leur partition… Chez moi, c’est toujours davantage qu’une simple version de concert. Les chanteurs doivent chanter tout par coeur et il y a toujours du mouvement. Parfois, ils chantent devant l’orchestre, parfois derrière. Parfois, ils viennent de la salle, ou ils se glissent dans l’orchestre lui-même. D’ailleurs, l’orchestre étant sur scène, il devient un personnage à part entière. Il faut travailler la mise en espace !

Cette forme concert permet aussi de mieux se concentrer sur la musique elle-même, non ?

Certainement et, selon moi, elle permet de mettre en valeur le livret. Car le livret est souvent le grand oublié ! Je connais des metteurs en scène qui ne prennent même pas la peine de lire le livret d’origine. Pour L’Enlèvement au sérail, j’ai opéré selon mon habitude : commencer par me plonger dans le livret. On se trouve ici dans le  » singspiel  » : le chant est émaillé de dialogues parlés. Avec ce genre mi-parlé, mi-chanté, c’est devenu une habitude de raccourcir ou de couper des dialogues. Ce n’est pas mon cas.

Vous avez remplacé tous vos chanteurs habituels, vous qui étiez pourtant d’une fidélité remarquée sur ce plan ?

Oui et je suis très heureux de ce choix ! Cet opéra est très difficile à distribuer à cause des exigences de Mozart. Des sopranos super aigus, une basse – celle de Osmin, le gardien du sérail – qui doit déployer un vrai grave. Imaginez-vous ! Il faut tenir pendant huit mesures un ré grave en articulant une voyelle impossible soit le son  » ou  » du mot  » ruhe  » (calme)… Du coup, la plupart des Osmin chantent carrément une autre voyelle. Or Dimitry Ivashchenko, mon chanteur russe, est extraordinaire dans cet exercice. Autre surprise agréable, le fils de Christoph Prégardien : Julian. Je savais que vocalement il convenait dans le rôle du valet Pedrillo, mais j’ignorais qu’il allait se révéler si bon acteur. Il brûle vraiment les planches. Rien à voir avec son père qui n’excelle pas du tout de ce côté-là.

L’Enlèvement au sérail reste-t-il un opéra populaire ?

Aujourd’hui, parmi les deux  » singspiel  » qu’il a composés, La flûte enchantée est devenue plus populaire. Mais à l’époque de Mozart, c’était sa pièce la plus jouée. Ce succès s’explique par un trait permanent de Mozart : son amour des mélanges. Il aimait les mélanges osés et bizarres, notamment entre le sérieux et le comique. Par exemple, certaines scènes entre Blonde et Osmin sont archi-comiques. Alors que tout ce que Konstanz et Belmonte chantent reste très sérieux : on se croirait presque dans une autre pièce. Mais au XIXe siècle, on n’a pas du tout apprécié cette hybridité. A l’époque, la tendance lourde était d’imposer une unité dramatique. Mais l’idéal de Mozart n’était pas du tout cette unité mais bien plutôt la pluralité dramatique. Mozart aimait ce genre de contrastes qui nous redisent sans cesse :  » Je ne me prends pas trop au sérieux.  »

René Jacobs proposera L’enlèvement au sérail en concert au palais des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar), ce 22 septembre à 19 heures. www.bozar.be

Entretien : Philippe Marion

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