Le collectif russe AES+F, reconnu mondialement pour ses vidéos associant l’image fixe et mobile, la photographie, l’animation, le cinéma et les techniques digitales, révèle – pour la première fois en Belgique – sa trilogie dans une galerie bruxelloise. On reste scotché.
Définition ? AES+F sont les initiales des quatre acteurs de ce collectif basé à Moscou. Tatiana Arzamasova et Lev Evzovich sont architectes de formation, Evgeny Svyatsky est plasticien et Vladimir Fridkes photographe. Au milieu des années 1990, leurs noms commencent à circuler. En 2007, ils représentent la Russie à la Biennale de Venise avec un premier film dont le sujet est une allégorie de l’enfer. Deux ans plus tard, sur neuf écrans géants qui entourent le spectateur, les revoilà à Venise avec une suite, consacrée cette fois au paradis. La réalisation de la troisième partie, le purgatoire, sortira des ateliers en 2011. Pour la première fois au Benelux, les trois films sont réunis aux côtés de photographies, parfois monumentales, dans la galerie Aeroplastics à Bruxelles.
A chaque fois, il s’agit, à travers la fiction, de renvoyer à notre monde. L’enfer se situe au sommet d’une montagne enneigée habitée par des combats entre enfants aux allures d’anges blancs. Le paradis évoque, sur fond de croisière, les illusions portées par les nouvelles richesses russes. Enfin, il y a le purgatoire, intitulé Allegoria Sacra en référence à un tableau énigmatique de Giovanni Bellini peint dans les dernières années du XVe siècle. L’histoire se déroule dans un aéroport, lieu de transit et d’attente, où se croisent des hommes, des femmes et des enfants de tous horizons.
Comme pour les deux oeuvres antérieures, les artistes d’AES+F ont opté pour des images glacées, la lenteur et une envoûtante beauté. Les femmes sont d’une pâleur énigmatique et leur regard toujours lointain. Aucune expression chez ces actrices aux allures de mannequins Calvin Klein, dont les gestes chorégraphiques sont soignés à l’extrême. De leur côté, les hommes possèdent cette même inaccessible perfection avec, en prime, la beauté trouble des androgynes. Ils sont chinois, africains, afghans, européens. Au fil des 40 minutes que dure la projection, on rencontre aussi un policier barbu, deux petites jumelles, un skinhead, un explorateur, un curé, des hommes armés d’épées, de couteaux et de clubs de golf. Puis, au milieu de cette société (la nôtre ?), apparaît un centaure et un saint Sébastien. Que font-ils ? N’est-ce qu’un rêve ? Ils attendent l’heure du départ et se croisent, se toisent, s’observent, boivent un peu d’eau dans un gobelet en plastique ou se couchent sur un banc et bientôt s’entre-tuent.
Mais dans ce lieu d’attente, les anciens démons ressurgissent. Tout se passe pourtant avec une douceur des gestes inlassablement répétés et une grâce maniériste à faire frémir le bon goût. Dans ce même rythme lancinant, le centaure est mis à mort, le corps du saint, transpercé par les flèches, annonce les scènes de décapitations. Les têtes roulent sur le sol comme de vulgaires balles de golf. Mais il n’y a pas de sang. Pas de cri. La musique couvre l’horreur. Propreté clinique.
The Trilogy Plus, à la galerie Aeroplastics Contemporary, 32, rue Blanche, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 7 novembre. www.aeroplastics.net
Guy Gilsoul