Rencontre au sommet

Comment regarder l’oeuvre de James Ensor aujourd’hui ? Invité à la Royal Academy of Arts de Londres, le peintre belge Luc Tuymans propose sa vision contemporaine du peintre ostendais.

Né en Belgique en 1860 d’un père anglais et d’une mère belge, James Ensor retrouve ses racines britanniques le temps d’une importante exposition que lui consacre la Royal Academy of Arts de Londres. Conçue par Luc Tuymans, un autre peintre belge (né quasi tout juste à un siècle d’intervalle) qui bénéficie d’une reconnaissance internationale, elle se concentre sur quelques oeuvres picturales majeures. Tuymans s’est concentré sur trois grands axes : Ostende, la bourgeoisie et la mascarade, trois motifs inextricablement liés dans l’oeuvre du peintre ostendais, sans oublier quelques autoportraits. On s’en rend compte au travers de la trentaine de toiles et autant de dessins sélectionnés qui se renvoient l’un l’autre dans une scénographie volontairement dépouillée. Ce dispositif permet à l’inhabituel curateur d’y glisser, comme si de rien n’était, des interférences extérieures qui viennent nourrir le propos, tels deux tableaux de Spilliaert, Ostendais comme lui, alors que les Gilles de Binche sont évoqués par une toile éponyme de Tuymans lui-même et des masques dus à Jean-Luc Pourbaix.

Les plages d’Ostende

L’exposition s’ouvre sur le film d’un autre artiste flamand, Guillaume Bijl, qui évoque à l’aide d’images tremblotantes à quoi ressemblait Ostende à l’époque. La station était non seulement la  » reine des plages  » mais aussi l’étape obligée des voyages ferroviaires et maritimes entre Londres et le continent. C’est également la ville du célèbre bal masqué du Rat mort, la mère d’Ensor y tenant une boutique de souvenirs mais aussi de masques de carnaval et de  » chinoiseries « , très en vogue à l’époque… Retourner vivre à Ostende (après un séjour à Bruxelles, où il contribua notamment à la fondation du mouvement d’avant-garde Les Vingt), comme le fit Ensor dès 1893, ne signifiait donc pas s’isoler du monde, la ville étant devenue une destination de villégiature renommée pour la grande bourgeoise. Les ciels tourmentés de la mer du Nord nous valent ainsi quelques magnifiques tableaux, quasi abstraits, au même titre que ceux de Turner ont pu l’être plus tôt en Angleterre. L’exposition montre Les Toits d’Ostende (1884) ou cet Adam et Eve chassés du Paradis (1887), prétexte à un fabuleux feu d’artifice de couleurs ensoleillées.

Intrigue. James Ensor by Luc Tuymans : le titre de l’exposition fait explicitement référence à un tableau majeur d’Ensor, L’Intrigue (1890), toile dans laquelle tous les personnages sont affublés de masques grimaçants. Si la scène représente un mariage, celui-ci ne s’annonce guère sous les meilleurs auspices… Elle nous dit surtout beaucoup de la façon dont le peintre aborde la question du portrait. James Ensor a très vite compris que la fiction est une des meilleures façons de décrire la réalité, celle d’une bonne société bourgeoise, et le masque un accessoire idéal pour ce faire. Celui-ci peut aussi se transformer en tête de mort ou en squelette, deux autres façons pour le peintre d’évoquer le monde qui l’entoure avec sa férocité coutumière. Que son célèbre tableau La Raie (1892) fasse métonymiquement penser à un masque n’est évidemment pas un hasard, et conforte le regard sardonique du peintre sur ses contemporains.

Intrigue. James Ensor by Luc Tuymans, à la Royal Academy of Arts, à Londres jusqu’au 29 janvier 2017. www.royalacademy.org.uk

PAR BERNARD MARCELIS

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