Redémarrage : Jan Bens a décidé… il y a dix ans

En 2005, alors qu’il dirigeait la centrale de Doel, Jan Bens, l’actuel patron de l’Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN), estimait ses réacteurs  » encore bons pour trente ans « . De quoi douter de l’indépendance de celui qui devra décider de la relance des réacteurs microfissurés.

On savait Jan Bens farouchement pronucléaire. Cela ne pose pas de problème particulier aux ministres de son secteur, Marie-Christine Marghem pour l’Energie, et surtout Jan Jambon pour la Sécurité. L’indépendance de l’institution chargée de veiller au sûr fonctionnement des sept réacteurs nucléaires que compte la Belgique leur semble si intrinsèquement indiscutable que c’est elle, et elle seule, et en dernier ressort lui, et lui seul, qui décidera du redémarrage de Doel 3 et Tihange 2, ces réacteurs dont la cuve est émaillée de microfissures, et qui sont à l’arrêt depuis le printemps 2014.

On savait Jan Bens lié à Electrabel, pour qui il a travaillé toute sa carrière. Il faut dire que l’opérateur historique est le seul en Belgique à produire de l’énergie atomique, et que le royaume présente peu d’autres débouchés professionnels pour le brillant diplômé en ingénierie nucléaire de l’Université de Gand – promotion 1979 – que fut Jan Bens.

On savait peut-être moins qu’il a plus précisément travaillé à Doel, huit ans (de 1979 à 1987) et trois ans (de 2004 à 2007) comme directeur général de la centrale scaldéenne, même s’il a occupé entre-temps diverses fonctions, à l’étranger notamment.

On ne savait pas du tout, en revanche, qu’alors qu’il dirigeait cette centrale, Jan Bens s’était publiquement montré favorable à une prolongation d’infrastructures dont il doit aujourd’hui décider de la prolongation ou du redémarrage. Interviewé dans la revue interne Doel Info de fin 2004, Jans Bens déclarait notamment que le réacteur de Doel 2 était  » prêt pour encore trente années de service  » alors que la loi de sortie du nucléaire n’avait pas encore été enterrée, ce qu’il appelait de ses voeux. Plus clair encore, il expliquait, en fin d’interview, qu’il  » devait convaincre les politiques et le grand public que nous visons les soixante ans d’exploitation  » de ces réacteurs nucléaires dont le plus ancien était alors trentenaire.

Dix ans plus tard donc, la personne chargée de contrôler la pertinence de ces propos est celle qui les a prononcés. Cela ne choque pas que l’opposition rouge, orange et verte : même le député bleu David Clarinval, membre de la sous-commission sécurité nucléaire de la Chambre comprend  » que l’on puisse se poser la question « , et admet un possible  » cas de conscience  » pour Jan Bens, mais  » ne doute pas qu’il faut avoir confiance en l’AFCN et en son directeur « . Le porte-parole de l’Agence, Sébastien Berg, est sur la même ligne défensive.  » Nous sommes d’avis qu’il convient d’interpréter les passages que vous surlignez dans le contexte global de 2005 et non pas de façon isolée en essayant d’en tirer des conclusions sur le travail actuel de l’AFCN « , dit-il.  » En 2005, lorsque Jan Bens a accordé l’interview dont il est ici question , il était directeur de la centrale nucléaire de Doel. Sa mission était de gérer au mieux ses installations et de les moderniser continuellement pour en assurer la fiabilité et la disponibilité. Aujourd’hui, Jan Bens est directeur général de l’Agence fédérale de contrôle nucléaire. Sa mission est de garantir la protection de la population, des travailleurs et de l’environnement contre les dangers liés à la radioactivité. Ce sont deux rôles différents, avec des réalités et des objectifs différents « , ajoute-t-il encore. L’ingénieur Jan Bens serait-il si bon acteur qu’il pourrait, à une décennie d’intervalle, s’échanger avec lui-même ses propres répliques sans qu’aucun spectateur ne s’en offusquât ?

Nicolas De Decker

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