Pour renforcer le volet préventif de la lutte contre la radicalisation islamiste dans les quartiers, la Ville de Bruxelles, Schaerbeek et Molenbeek ont créé un nouveau poste : » responsable radicalisme « . Mais le flou subsiste sur cette fonction encore inédite.
On les estime entre 300 et 350. Peut-être plus. Tous ont en commun d’avoir quitté le territoire belge pour prendre part au djihad, en Irak, en Syrie ou ailleurs. Devant la Flandre, Bruxelles est la principale région touchée. Et quand le phénomène est apparu voici plus d’un an, elle s’est trouvée fort démunie. Le phénomène continue d’inquiéter. Mais avant de quitter ses fonctions, l’ex-ministre de l’Intérieur, Joëlle Milquet (CDH), a imaginé une série de mesures visant à » prévenir et réprimer » les comportements radicaux, susceptibles de conduire à des actes violents ou terroristes.
Résultat : depuis mars 2013, les services de sécurité belges se concertent dorénavant au sein d’une Task Force Syrie qui se réunit une fois par mois. Elle regroupe notamment des représentants de l’Ocam (Organe de coordination pour l’analyse de la menace), de la Sûreté de l’État, du SGRS (renseignements de l’armée), du parquet fédéral, du centre de crise et de la police. La Task Force n’évalue pas seulement le nombre de jeunes partis combattre, mais a aussi pour vocation d’identifier les réseaux infiltrés dans les quartiers, les mosquées, les écoles ou encore, les prisons. Et préconise, entre autres, aux communes de radier de leurs registres des combattants ayant quitté le territoire, de manière à ce qu’ils soient immédiatement identifiés à leur retour.
Dans la foulée, estimant que le niveau communal était le lieu idéal pour contrer les radicalismes, l’ex-ministre Milquet a permis à certaines communes de recruter un fonctionnaire chargé de coordonner la lutte et la prévention contre le radicalisme. Pour les inciter à créer le poste, un subside de 40 000 euros est désormais accordé aux entités locales souhaitant procéder à un tel recrutement. Mais avec une nuance : pour prétendre au subside en question, la commune doit avoir conclu un contrat de sécurité avec le SPF Intérieur.
Six mois après Anvers, Gand, Malines et Vilvorde, la Ville de Bruxelles et Schaerbeek, qui répondent à ce critère, ont désigné leur premier » Monsieur radicalisme « , en octobre. Molenbeek-Saint-Jean, aussi, vient d’engager son nouveau fonctionnaire. Ce sont les communes elles-mêmes qui déterminent le profil recherché, ainsi que ses missions. Cette fonction encore inédite demande d’être explicitée. Mais il nous a été refusé d’interviewer ces nouveaux fonctionnaires. » Pour des raisons de sécurité évidentes « , glisse l’attachée de presse d’un maïeur. » Par souci de discrétion et refus de stigmatisation « , avance un chef de cabinet. » Tout simplement parce qu’il est encore trop tôt : le fonctionnaire prend à peine ses marques « , s’excuse Françoise Schepmans, bourgmestre MR de Molenbeek.
Rôle de prévention
Si Schaerbeek a recruté un universitaire bilingue diplômé en sociologie, la Ville de Bruxelles a engagé un candidat » déjà actif dans la prévention, une personne qui a l’expérience des quartiers « . A Schaerbeek, le responsable radicalisme est attaché au fonctionnaire de prévention. A Bruxelles, il a été engagé par l’asbl Bravvo (Bruxelles Avance – Brussel Vooruit), qui dépend directement du collège échevinal et centralise la politique de prévention.
Comment ces fonctionnaires composent-ils avec les services de prévention déjà en place et les acteurs de proximité ? Remplissent-ils une fonction de policier ? Interrogée au sujet des mesures pour lutter contre la radicalisation, la bourgmestre de Molenbeek, Françoise Schepmans, précise qu’une cellule a été mise en place pour surveiller les habitants de la commune soupçonnés d’être partis combattre avec les djihadistes : » Jusqu’à présent, Molenbeek comptait sur sa « cellule radicalisme », à savoir deux inspecteurs de police actifs sur cette problématique « , précise-t-elle. Engagé à la mi-octobre, le responsable radicalisme a à peine eu le temps d’effectuer un tour des différents interlocuteurs. » Il devra suivre de près les situations telles qu’elles existent sur le terrain, déterminer les profils des personnes susceptibles d’être embrigadées dans les mouvances radicales, éventuellement cartographier les endroits où ces recrutements ont lieu, mais surtout se poser comme interlocuteur des familles et des associations de terrain « , poursuit la bourgmestre.
Vision similaire à la Ville de Bruxelles. » Le poste consiste principalement en de la prévention et de la coordination, indique le bourgmestre Yvan Mayeur (PS). Sa mission est de poser un regard global sur la situation dans les quartiers, de rassembler et de partager les informations pour agir à l’égard de ceux qui souhaitent partir ou, de manière plus préventive, pour éviter toute contamination du radicalisme. Mais il n’est pas là pour résoudre les problèmes. »
A la Ville, un groupe de travail a été mis sur pied, il y a quelques mois, réunissant plusieurs partenaires : l’asbl Bravvo, en charge de la politique de prévention de la Ville, le CPAS, l’Ocam, la Sûreté de l’Etat, plusieurs services de l’administration communale et la police. Ce fonctionnaire » sert essentiellement d’interface entre ces différents services « .
Un phénomène aveugle
S’il est donc acquis que ce responsable radicalisme ne remplit pas une fonction de policier, un certain flou subsiste néanmoins. Sans autorisation du parquet, la police ne peut transmettre aux autorités communales les noms des personnes à risque. Or, qu’adviendra-t-il si le fonctionnaire en question est au courant de certaines informations sensibles ? » Pour des raisons déontologiques, toutes les infos qu’il récolte sont centralisées chez le bourgmestre « , indique Yvan Mayeur. Et d’admettre à demi-mot : » Si les assistants sociaux sont soumis au secret professionnel, ce n’est pas le cas des agents de prévention… Ils ont le devoir de signaler les cas suspects à la police. »
Agents de prévention et forces de police seraient donc embarqués dans le même bateau ? Une vision pas forcément partagée par le bourgmestre de Schaerbeek, Bernard Clerfayt (FDF) : » Bien entendu, les contacts avec la police sont fréquents. Mais la mission de ce fonctionnaire, ce n’est pas de faire du flicage ou du travail d’enquête. Il y a une séparation absolue entre les acteurs de la prévention et la police. » Et d’insister : » Il y a une espèce de psychose qui part de la Flandre, mais sur la commune de Schaerbeek, le risque est réduit à une dizaine de personnes. Dès lors, ce fonctionnaire n’a pas de profil répressif, il est là pour effectuer un travail de proximité et de prévention. »
Bernard Clerfayt plaide pour une approche intégrée de la lutte contre les radicalismes, » pas seulement islamistes « . En se basant sur des expériences initiées à l’étranger, il entend ainsi associer les écoles, le secteur associatif, les maisons de quartier à la prise en compte de ce phénomène. » Le radicalisme est un phénomène aveugle qui ne se passe pas dans les mosquées. Au contraire : c’est le fruit de personnes qui s’isolent de la société et qui recrutent essentiellement sur Internet, loin des groupes organisés, insiste le bourgmestre. La question qui se pose, pour nous, communes, c’est de savoir comment articuler un travail très précis, sans stigmatiser. « Pour repousser le sentiment d’insécurité.
Par Rafal Naczyk