Qu’est-ce que le juste ?
Entre le juste et le nécessaire comment trancher ? (II)
Elisa Jandon, BruxellesLa semaine passée, j’ai tenté de montrer ce qui différencie le juste du nécessaire. Si la notion de nécessaire est sans ambiguïté, celle de juste est moins évidente. Rien dans l’ordre naturel ne peut être considéré comme juste ou injuste, sauf par excès métaphorique.
La difficulté est d’autant plus grande que le langage courant fait un usage imprudent de la notion de juste. Elle coïncide avec l’idée concrète de justice, dans la mesure où, occupant tout l’espace du sens commun, celle-ci se rapporte à un code à partir duquel une société accepte ou refuse û condamne û des actes précis. Comment apprécier leur valeur si des codes différents les apprécient différemment ? Par exemple, selon une législation, la femme dispose des mêmes droits et devoirs que l’homme. Ailleurs, ce dernier l’emporte sur la première. Se contentera-t-on de mettre en avant les » différences culturelles » ? Autre exemple, à une époque où l’esclavage était de pratique courante, à quel titre parler d’injustice à son propos ? Bref, on ne dira plus, sur un sujet donné, qu’une loi est meilleure qu’une autre mais que telle société a son appréciation propre. Dès lors, la notion de ce qui est juste n’a plus qu’un sens banal : coïncider avec la pratique d’une collectivité donnée.
Accepter le relativisme à propos de la notion du juste et de l’injuste emprisonne l’individu dans une caricature de l’ordre naturel. La liberté se limite au droit d’agir selon la loi » locale « . Tout se passe comme si la coutume sociale constituait la seule règle valable du comportement de chacun. Le progrès moral, pour autant qu’il existe, serait synonyme d’une évolution aveugle et incertaine. Comment en penser le sens puisque aucun critère n’existerait pour le définir ?
Si, donc, le juste ne doit pas être confondu avec la soumission à la coutume ou à un code en vigueur, il ne peut davantage se penser comme un absolu réalisable ici et maintenant. Ce serait renoncer à sa pratique. Dans ces conditions, être juste se résume à une dynamique vers quelque chose qui offre à chacun la capacité d’être davantage soi-même tout en garantissant à la communauté que cet accroissement d’une liberté individuelle ne compromettra pas celle d’autrui. S’il est juste, par exemple, de se battre pour que la force brutale ne domine plus les rapports interhumains, il faut en même temps que je combatte ce qui se substituerait à elle comme violence sociale : l’argent, l’autorité, le favoritisme… En ce sens, être juste n’est pas un état mais une façon d’être tendu vers un objectif jamais entièrement réalisé. Jean Nousse
Jacky Pailhe, par courriel
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