A suivre les débats politiques français, la situation du pays semble désespérée. Un président empêtré dans des négociations humiliantes avec des partenaires européens désireux de lui imposer des économies budgétaires supplémentaires ou des réformes incontournables. Un Premier ministre reculant devant le chantage d’un ancien sénateur radical du Sud-Ouest et remettant en question, parmi d’autres réformes, celle, nécessaire, des collectivités territoriales. Un gouvernement semblant à court de ressources et d’énergie. Une majorité parlementaire qui s’étripe sur le moindre texte et sur l’ampleur de la rigueur, dont chacun sait pourtant qu’elle n’existe pas. Une opposition obnubilée par les rivalités de ses dirigeants et se contentant de critiquer le gouvernement, sans proposer un programme ni s’excuser pour ses errements anciens, lorsqu’elle était au pouvoir. Au même moment, tapie dans l’ombre, l’extrême droite attend son heure, éructant et décrivant une France au bord du néant, envahie par des hordes de sauvages.
Tous sont d’accord sur un seul point : le pays va très mal. Pour ceux qui gouvernent, il est ingouvernable ; pour ceux qui aspirent à gouverner, il n’est pas gouverné.
A cela s’ajoutent les discours tout aussi déprimants des corps dits » intermédiaires « . Le patronat décrit une France proche d’une démocratie populaire. Les syndicats ouvriers se lamentent d’une nation spoliée par un patronat cupide. Les diverses professions, regroupées en différents lobbys, se traitent les unes les autres de parasites.
Personne, ou presque, parmi ceux qui parlent en son nom ou aspirent à le faire, ne vante ses merveilles et ses réussites. Qui ne connaît que cette vision de la France la pense immanquablement condamnée au pire déclin, et il n’est pas étonnant que les Français forment l’un des peuples les plus pessimistes du monde.
Et pourtant, la semaine dernière, pendant que les soi-disant élites faisaient assaut de dénigrement, bien des événements ont montré que la France est infiniment vivante : la réouverture du splendide musée Picasso, dans l’un des plus beaux bâtiments du XVIIe siècle parisien ; l’inauguration d’un magnifique édifice, dans le bois de Boulogne, qui restera sans doute, comme bien des chefs-d’oeuvre, plus encore par le nom de son architecte, Frank Gehry, que par celui de son commanditaire éclairé. Le succès de la Fiac, ceux de l’exposition Hokusai et de tant d’autres donnent de multiples signes de la passion française pour l’art et ses audaces.
Au même instant, la création par Xavier Niel, après son école d’informatique, d’un incubateur visant à rassembler plus de 1 000 jeunes entreprises, souligne la formidable créativité française. Et d’innombrables entrepreneurs remportent victoire sur victoire sur tous les marchés du monde.
Tel est l’état du moment : un pays vivant, en grand bouleversement, animé et éveillé dans ses profondeurs par des créateurs de toutes sortes, que les dirigeants et les corps intermédiaires ne connaissent plus. Ce fossé, béant, sera comblé un jour. Ou bien la classe politique comprendra qu’elle doit retrouver un lien avec les forces les plus vives et les plus positives du pays ; ou bien de cette France-là surgiront d’autres acteurs politiques, qui balaieront tous les esprits chagrins et conduiront le pays vers son meilleur avenir, en lui rendant confiance en lui et fierté d’être ce qu’il est.
par Jacques Attali