La cellule antiblanchiment (CTIF) pourra bientôt collaborer avec la Sûreté. Il reste, malgré tout, beaucoup de choses à mettre en place pour frapper les terroristes au portefeuille.
Outre les camps d’entraînement, ce sont surtout les sources de financement de Daech qui sont visées par la coalition, à savoir les installations pétrolières. Lesquelles rapporteraient entre 8 et 10 millions de dollars par mois à l’Etat islamique. Des mesures sont également prises en Europe pour bloquer le trafic d’antiquités en provenance de Syrie et d’Irak. En France, le ministre des Finances a enjoint les banques à faire preuve de vigilance en surveillant les transferts d’argent liés aux flux de pétrole, aux oeuvres d’art et aux fonds humanitaires. Michel Sapin a, en outre, annoncé qu’il allait renforcer les prérogatives de Tracfin, la cellule de lutte contre le blanchiment.
Et chez nous ? On sait que le financement du terrorisme passe aussi par la Belgique et même de plus en plus. On peut le constater dans le dernier rapport de la CTIF, la cellule belge de lutte contre le blanchiment. L’année dernière, celle-ci a transmis 37 dossiers aux autorités judiciaires, estimant y déceler des » indices sérieux de financement du terrorisme « , contre 25 dossiers en 2013, et 19 en 2012. Une augmentation qui s’explique, toujours selon la CTIF, par la problématique des combattants partis en Syrie ou en Irak. Plusieurs des dossiers traités en 2014 concernent des crédits à court terme ou des prêts obtenus frauduleusement auprès d’organismes de crédit, afin de financer les frais de voyage vers ces deux pays.
La CTIF a aussi transmis plusieurs dossiers relatifs à l’utilisation d’asbl dirigées par des personnes connues pour leur position radicale et la diffusion de leurs idées auprès des jeunes en vue de les recruter pour le djihad en Syrie. Un dossier était même lié à des activités de trafic de drogue destiné à financer des activités terroristes. Tout cela est écrit noir sur blanc dans le rapport. Les montants cartographiés dans ces dossiers transmis au parquet ne sont, eux, pas très élevés mais en augmentation constante : près de 7 millions au total, en 2014, contre 2,5 millions en 2013, et 1,8 million en 2012. La tendance à la hausse se confirme pour cette année.
Que deviennent toutes ces informations transmises à la justice ? » Le retour administratif que nous en avons montre que la plupart de ces dossiers n’ont pas fait l’objet d’une enquête et ont été classés, constate Jean-Claude Delepière, le patron de la CTIF. Mais ce n’est pas propre au terrorisme. C’est la même chose pour les dossiers de blanchiment. Le judiciaire n’a tout simplement pas les moyens de traiter tout ce que nous leur transmettons. Je pense que le constat doit être le même dans les pays voisins. » Le hic est que la CTIF ne peut transmettre ses indices qu’au Parquet. Seule exception : un échange d’informations est possible avec les services homologues à l’étranger, dont Tracfin en France. Néanmoins, la cellule antiblanchiment peut avertir la Sûreté ou le SGRS (l’équivalent militaire) qu’un dossier a été envoyé à la justice. Libre à ces services de renseignement d’aller le consulter auprès du Parquet.
Pour simplifier les contacts entre la CTIF et les Renseignements, un projet de loi a récemment été avalisé par le conseil des ministres pour que les dossiers de la cellule puissent directement être transmis – sans passer par le Parquet donc – à la Sûreté, au SGRS et à l’Ocam (Organe de coordination pour l’analyse de la menace). Le texte sera inclus dans une loi » dispositions diverses » d’ici à la fin de l’année. Dès lors, en dehors du processus judiciaire, les infos de la CTIF pourront dorénavant aussi servir à établir des analyses stratégiques et à dresser des cartes précises de lieux et de liens entre personnes, voire à repérer des individus dangereux particuliers.
Par ailleurs, le 3 septembre dernier, le Conseil national de sécurité a adopté une circulaire activant un arrêté royal, datant de… 2006, permettant de geler les avoirs de personnes planifiant des infractions terroristes. Il reste, par ailleurs, bien d’autres questions liées à la traque financière des djihadistes. Exemples ? La Belgique encadrera-t-elle plus strictement, à l’instar de la France, les cartes bancaires prépayées, ce système intraçable utilisé pour préparer les attentats du 13 novembre ? La CTIF plaide depuis longtemps pour pouvoir suivre les mouvements de fonds de personnes repérées comme radicales. Or, elle ne travaille que sur la base d’infractions, et le radicalisme n’en est pas une. Va-t-on lui accorder cette prérogative ? Et puis, nommera-t-on enfin un juge financier parmi les juges antiterroristes ?
Par Thierry Denoël