Quand tout bascule…
Deux couples, un petit rongeur et une caméra volante font déraper Lemming vers un suspense au mystère aussi fascinant qu’inquiétant, remarquablement mis en ouvre par Dominik Moll
Le film sort mercredi 8 juin.
Le thriller criminel décalé, original et prenant s’est trouvé en Dominik Moll un chantre doué, précis, capable de conjuguer sens du divertissement et noirceur assumée, sans oublier un humour et une inquiétude rarement mariés avec autant de bonheur dans le cinéma français. Harry, un ami qui vous veut du bien avait révélé ce jeune cinéaste ayant étudié à la City University de New York, puis à l’Idhec de Paris. Lemming, présenté en ouverture au tout récent Festival de Cannes, confirme et amplifie la singularité de Moll, tout en le rattachant quelque peu à la » ligne » surnaturelle créée par David Lynch. Dès qu’on aperçoit la maison du jeune couple interprété par Laurent Lucas et Charlotte Gainsbourg, on est frappé par sa ressemblance avec celle habitée par Bill Pullman dans Lost Highway, du réalisateur américain. D’autres éléments viendront en écho confirmer une parenté que Dominik Moll ne songe pas un instant à nier, confiant sa » grande admiration » et sa » profonde passion » pour Lynch. Mais référence n’est pas absence d’originalité, et l’on s’aperçoit d’emblée que Lemming est un film vraiment pas comme les autres…
Un lemming dans le siphon
Tout commence par une scène tout à la fois amusante et porteuse de sens. Dans un laboratoire simulant l’intérieur d’un logis, des hommes on ne peut plus sérieux assistent à la démonstration, par un jeune ingénieur (Alain, joué par Laurent Lucas), d’une mini-caméra de surveillance volante, pouvant être pilotée à distance û via un ordinateur û et permettant à son utilisateur de faire le tour de sa maison pour vérifier tout ce qui peut s’y passer en son absence, et de réagir ensuite en actionnant quelque autre commande d’un système domotique ultra-perfectionné. De retour chez lui après cette séance qui lui vaut les félicitations de son patron, Alain prévient son épouse Bénédicte (Charlotte Gainsbourg) que son boss et sa femme viendront dîner. La séquence qui suivra est anthologique, Richard et Alice (André Dussollier et Charlotte Rampling) laissant très vite apparaître le lamentable état de leur relation. Du rêve d’une absolue sécurité au cauchemar d’une vie de couple naufragée, il n’y aura qu’un pas, franchi avec brio par Dominique Moll, son complice en scénario Gilles Marchand, et un quatuor de comédiens superbes.
Déjà ébranlés par la soirée avortée avec Richard et Alice (est-ce ainsi qu’ils seront, eux aussi, trente ans plus tard ?), Bénédicte et Alain découvriront bientôt, par ailleurs, qu’un petit rongeur bloque le siphon de l’évier de la cuisine où il est venu se coincer. Il s’agit d’un lemming û une espèce vivant seulement en Scandinavie û dont on se demande comment il a pu arriver là… En trois temps, trois mouvements, Dominique Moll a planté son décor, installé son contexte, miné le quotidien de charges qui ne manqueront pas de sauter une à une, poussant personnages et spectateurs vers un abîme d’inquiétude et même d’angoisse de moins en moins contrôlable…
» J’ai voulu explorer les conséquences d’événements perturbants dans la vie d’un homme û Alain û qui pense que le bonheur (professionnel, conjugal) est affaire de contrôle, et qui va voir la réalité qu’il croit maîtriser lui échapper inexorablement « , explique le réalisateur de Lemming. Celui-ci définit son film comme » une descente aux enfers d’un réel déréglé, infiltré de fantasmes et de peurs, s’ouvrant même au fantastique « . Même s’il prend peut-être un trop grand soin, sur la fin, à expliciter des énigmes qu’on eût préféré voir survivre à la fin du récit (comme chez Lynch), le cinéaste confirme les belles quoique sombres promesses de Harry, un ami qui vous veut du bien. Son Lemming fascine, dérange, fait rire, frémir et réfléchir simultanément, dans un captivant mélange.
Louis Danvers
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