Quand le FDF faisait peur aux Américains…

Né il y a cinquante ans, le parti communautaire a rapidement inquiété les diplomates en poste à Bruxelles qui le comparaient à Rex ! Son radicalisme institutionnel a irrité le CVP, fâché le palais royal et provoqué la rupture avec le MR.

Cela fait cinquante ans que le FDF chatouille le monde politique belge avec son intransigeance institutionnelle et sa défense inconditionnelle des francophones. A l’occasion de cet anniversaire, une équipe de chercheurs, historiens et politologues retrace le parcours étonnant de cette formation atypique.  » Nous avons eu accès à de nombreuses archives inédites, y compris très récentes, ce qui est très rare « , souligne l’historien Vincent Dujardin (UCL), coordinateur de cette somme de 520 pages qui fera référence.  » Nous voulions un travail sérieux, pas un panégyrique « , insiste Olivier Maingain, président du parti, qui a commandité l’ouvrage  » en laissant aux auteurs la liberté la plus totale « . Le Vif/ L’Express a pu consulter l’intégralité de ce document qui réserve bien des surprises et dresse le portrait d’un parti précurseur à bien des égards, mais souvent taxé d' » extrémiste « .

 » Comparable à Rex  »

Quand le FDF voit le jour, le 11 mai 1964, notre pays vit une période charnière de son histoire, dans un contexte de violence, parfois physique. Il est encore unitaire, mais l’Exposition universelle de 1958 a marqué le chant du cygne de la Belgique de papa. La  » bataille de Bruxelles  » entre dans une phase aiguë, le Mouvement flamand multipliant les marches sur la capitale pour témoigner de son appétit pour la ville. Politiquement, le débat institutionnel devient virulent.  » La Flandre a créé deux fois le FDF, qui va connaître une première décennie de gloire « , explique Vincent Dujardin. En 1963, les lois dites Gilson, du nom du ministre PSC de l’Intérieur de l’époque, fixent la frontière linguistique. Cinq ans plus tard, le  » Walen buiten  » chasse l’UCL de Louvain. Le climat est délétère. Les francophones se révoltent.

Né d’une fédération d’associations citoyennes, le FDF dérange d’emblée.  » Parce que c’était, et c’est toujours, un parti hors normes, sans liens avec les piliers traditionnels de la société belge « , commente Olivier Maingain. A son programme, essentiellement communautaire au début : suppression des lois linguistiques, élargissement de la Région bruxelloise, référendum d’initiative populaire pour les communes de la périphérie… Après un premier succès probant aux élections de 1965, le parti s’impose comme le premier de l’agglomération bruxelloise en 1970.  » L’installation durable d’une formation politique dans un paysage historiquement « pilarisé » constitue un fait majeur, note Vincent Delcorps, chercheur à l’UCL. Surtout durant les premières années, les diplomates étrangers en poste à Bruxelles peinent à comprendre le phénomène FDF.  »

Plusieurs ambassades s’inquiètent ouvertement de ce succès, dans des rapports dévoilés par les auteurs du livre. Louis Boochever, ministre-conseil à l’ambassade des Etats-Unis, qualifie au début des années 1970 le FDF de  » mouvement extrémiste « . Il écrit en 1971 :  » La menace posée par le FDF pour le fonctionnement de la démocratie parlementaire en Belgique est comparable à celle que représentait Rex « , le mouvement fasciste des années 1930. Mais, ajoute-t-il, les brillants intellectuels fondateurs du parti, André Lagasse, responsable de la faculté de droit à l’UCL à Louvain, et Lucien Outers, auteur du Divorce belge, n’ont pas la  » présence charismatique  » de Léon Degrelle, fondateur de Rex. A l’ambassade de Grande-Bretagne, on met sur le même pied le FDF, le Rassemblement wallon (RW) et la Volksunie (VU) en les qualifiant d’  » extreme Walloon and Flemish groups « .  » C’est une réussite remarquable, mais potentiellement inquiétante « , analyse, en 1977, l’ambassadeur britannique Muirhead. Etienne de Crouy-Chanel, ambassadeur de France en Belgique, estimait à la fin des années 1960 que le succès du FDF et de ses semblables wallon et flamand venait  » confirmer l’audience que trouve de plus en plus la violence « .

 » Quand je l’ai découverte via le travail des historiens, cette perception initiale des milieux diplomatiques m’a étonné, commente Olivier Maingain, actuel président du FDF. Ils ne relayaient que les préjugés véhiculés par certains faiseurs d’opinion en Belgique. Or, on attend davantage d’eux que la compilation de lectures à gauche et à droite.  »

L’hostilité du CVP et du Roi

Cette inquiétude ne vient pourtant pas de nulle part. La perception d’un parti à la frontière de la démocratie émane surtout des partis flamands, et pour cause : le FDF affronte de plein fouet leurs revendications communautaires.  » L’Etat CVP  » est en ligne de mire. Premier ministre durant douze ans, de 1980 à 1992, Wilfried Martens aura la rancune tenace et utilisera encore le terme  » extrémiste  » pour qualifier le parti dans ses Mémoires, publiés en 2009.  » Le FDF a pourtant prouvé à plusieurs reprises qu’il était en mesure de nouer des compromis « , tempère Vincent Dujardin.

Dans les années 1970 et au début des années 1980, la Belgique s’ouvre dans la douleur au fédéralisme. Antoinette Spaak prend la tête du FDF en 1977, première femme à atteindre cette fonction dans notre pays. C’est l’heure du pacte d’Egmont, une refonte ambitieuse des institutions qui prévoit la création de trois Régions aux statuts similaires et un droit d’inscription à Bruxelles pour les francophones de la périphérie. Les exigences du FDF, qui accepte le compromis, suscitent la colère du CVP, qui obtient à plusieurs reprises la renégociation de l’accord. Finalement, le gouvernement emmené par Leo Tindemans tombe, CVP et FDF se rejetant la responsabilité de l’échec. En 1980, le chantier est remis sur la table sous Wilfried Martens. Trois ministres FDF, Lucien Outers, Léon Defosset et François Persoons, tentent de minimiser les renoncements au projet d’Egmont en misant sur un front francophone, qui ne tiendra pas. Le 16 janvier 1980, tous trois sont démissionnés d’office par le Premier ministre Wilfried Martens. Ils apprennent cette décision… par la radio.

 » A la suite de la démission forcée, Antoinette Spaak est reçue en audience par le roi Baudouin, raconte Vincent Dujardin. Alors qu’elle ne cache pas son mécontentement, le Roi reconnaît que sur le plan de la forme, les choses auraient dû se passer autrement. Mais il se garde bien de prendre quelque distance sur le fond. D’après Wilfried Martens, le Roi lui aurait dit qu’il était « heureux de la fin de la participation gouvernementale du FDF ». Antoinette Spaak, quant à elle, boycottera une cérémonie de la Cour, celle des voeux aux autorités du pays, ce qui choquera certains électeurs du FDF. Mais pour elle, il importait de marquer le coup face à cette révocation, estimant que c’est du côté du CVP que les accords d’Egmont puis du Stuyvenberg n’avaient pas été respectés.  »

Les relations du FDF avec le palais royal seront compliquées tout au long de son existence en raison de son radicalisme anti-flamand. Elu à la présidence du parti en 1995, Olivier Maingain devra attendre… dix-huit ans avant d’être enfin reçu au Palais.  » A l’époque du roi Baudouin, qui était sous l’influence de la famille sociale-chrétienne, on ressentait une hostilité marquée à notre égard, déclare-t-il. On a senti une évolution au fil du temps, déjà sous le règne d’Albert II. Si j’ai attendu aussi longtemps avant d’avoir été reçu au Palais, c’est plutôt parce que le MR faisait barrage en refusant que le Roi reçoive le président d’une de ses composantes.  » Une affirmation démentie avec force par Louis Michel, ancien président du MR :  » Jamais il n’a été question de cela avec le Palais.  »

 » L’oubli francophone  »

Poil à gratter de la politique belge, le FDF ulcère souvent les autres partis francophones par son inlassable quête communautaire et son obsession pour l’élargissement des frontières régionales bruxelloises. Procès-verbaux inédits des instances du parti à l’appui, le récit des historiens s’attarde longuement sur la détérioration des rapports entre le parti d’Olivier Maingain et le MR, dont il s’est séparé en 2011. Principal objet du litige final : l’approbation de la sixième réforme de l’Etat et la scission de l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde.

Au moment de la création de la fédération avec les libéraux, en 1993, les dents grincent déjà, certains FDF privilégiant un rapprochement avec le PSC. En bureau de parti, l’actuel ministre bruxellois Didier Gosuin admet qu’il éprouve des difficultés face à ce mariage avec la droite  » en tant qu’homme de gauche « , mais se dit prêt à prendre le risque pour défendre la cause francophone. Bernard Clerfayt, actuel bourgmestre de Schaerbeek, est plus réticent encore : il craint que  » les militants ne suivent pas et que la structure du parti en soit fragilisée « .

La suite ne sera, au fond, qu’une litanie d’incidents avec un FDF régulièrement insatisfait. En 2004, suite à un mauvais résultat électoral de la fédération et son rejet dans l’opposition régionale, une attaque forte est menée en bureau de parti contre le président d’alors, feu Daniel Ducarme, qui a  » oublié de payer ses impôts « , une allusion à ses démêlés avec le fisc. Le 24 mars 2008, la fédération est déjà à deux doigts d’éclater en raison du mécontentement lié à l’absence d’un FDF au sein du gouvernement fédéral en voie de constitution avec le MR. Le rapport est clair :  » Dans l’hypothèse où le parti ne serait pas représenté au gouvernement, le président postule la méfiance au gouvernement, ce qui suppose la rupture avec le MR.  » Bernard Clerfayt sera finalement secrétaire d’Etat. Au MR, parallèlement, l’exaspération monte quant à la place trop importante octroyée au FDF par le président Didier Reynders.

Lors des crises à répétition de 2010 et 2011, le FDF multiplie les attaques à l’égard des autres formations francophones, accusées de laxisme institutionnel. Personne n’échappe à la vindicte francophonissime. Les humanistes ?  » La situation est bloquée car le CDH ne veut pas effaroucher outre mesure le PS.  » Les libéraux ?  » Il ne faut pas perdre de vue qu’au sein du MR, la perspective du pouvoir est prioritaire par rapport au refus d’avancées institutionnelles.  » Les socialistes ?  » L’objectif du PS est de forcer l’accord par l’intermédiaire d’une rhétorique liée à la fin de l’Etat belge. Les FDF rejettent cette optique.  » Finalement, en septembre 2011, la fédération avec le MR éclate. Lors d’un bureau exceptionnel, le 19 septembre, Didier Gosuin affirme que les libéraux se sont écartés de son acte fondateur, qui prévoyait l’élargissement de la Région bruxelloise.

S’ils saluent l’influence réelle du FDF dans l’histoire institutionnelle récente, les auteurs estiment par contre que la sixième réforme de l’Etat sonne sans doute le glas d’une de ses revendications historiques.  » Nous nous doutons bien que l’on ne pourra pas rouvrir ce débat-là dans l’immédiat, rétorque Olivier Maingain. Mais je continue de penser que tôt ou tard, si la Flandre souhaite avoir davantage d’autonomie encore, il y aura un débat sur les frontières. Du côté francophone, plus personne n’ose en parler pour l’instant, c’est le grand oubli. La Flandre nationaliste nous rappellera vite à l’ordre.  »

Le FDF n’a sans doute pas fini de déranger l’establishment belge, au nord comme au sud.

FDF 1964-2014. 50 ans d’engagement politique, éd. Racine, 520 pp.

Par Olivier Mouton

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