A la fin de cette année étrange, faite de nombreuses tragédies et de quelques bonnes nouvelles, il faut s’habituer à vivre dans un monde de plus en plus incertain, dans des oscillations de plus en plus fortes. Malgré tout, au milieu des désordres, 10 tendances se dessinent dans le tourbillon de 2015.
1. C’en est fini des routines, l’histoire va s’accélérer dans les surprises, les barbaries et les démesures : la première leçon de l’année est donc la prévisibilité de l’imprévisible, la probabilité des surprises.
2. La violence est sortie de sa cage. Violence des mots, comme on l’a vu tant pendant les élections régionales en France que durant les élections primaires des républicains aux Etats-Unis. Violences domestiques, comme l’ont rappelé d’innombrables faits divers. Violence des armées, comme on l’a vu au Mali, en Ukraine, en Syrie, en Irak. Violences des terroristes, comme on l’a vu en France, en Egypte, en Russie, au Nigeria et dans tant d’autres endroits. Violence énigmatique, aussi, avec ses meurtres apparemment sans mobile, comme on l’a vu partout, en particulier aux Etats-Unis. Il est donc fini le temps où l’on pouvait dire que le monde était moins violent que jamais. La courbe s’est inversée en 2015.
3. La tentation protectionniste a connu d’inquiétantes avancées. Protectionnisme des marchandises, comme on l’a constaté cette année au Brésil, en Inde et ailleurs. Protectionnisme des idées, ainsi qu’on l’a vu aux élections en Hongrie, en France et au cours des primaires américaines. Protectionnisme des gens, comme on le voit en Europe avec la remise en question des accords de Schengen et l’érection de murailles dans bien des pays.
4. La tentation sécuritaire a également beaucoup progressé. En France avec l’état d’urgence, en de nombreux endroits du monde à travers la croissance des budgets de police et de défense et la réduction des libertés publiques. En fait, partout, c’est la sécurité qui a été préférée à la liberté.
5. Les inégalités se sont dramatiquement creusées. Jamais les 1 % les plus riches n’ont contrôlé comme aujourd’hui une part majoritaire des richesses du monde.
6. Inversement, l’état de droit mondial a accompli des progrès. En particulier avec l’accord au sein de l’OCDE sur la taxation mondiale des multinationales, et la réussite de la COP21 sur le climat. Même si ces deux textes sont encore très incomplets – pour l’un, à cause des innombrables paradis fiscaux non concernés par le texte ; pour l’autre, en raison de l’absence de fixation d’un prix du carbone.
7. Une formidable prise de conscience a commencé : jamais il n’y eut autant d’ONG, d’associations, de fondations, de mécènes… L’ont ainsi illustré le prix Nobel de la paix attribué à des associations tunisiennes et l’abandon de leur fortune par plusieurs milliardaires américains, dont Mark Zuckerberg.
8. De même, de superbes progrès ont été accomplis dans l’usage des nouvelles technologies en matière de santé, d’éducation et d’agriculture.
9. Des avancées ont été garanties dans la construction européenne, qui a résisté à la crise grecque, malgré toutes les craintes.
10. Enfin, et c’est peut-être l’essentiel, une prodigieuse prolifération d’oeuvres d’art, utilisant les nouvelles technologies pour s’exprimer et se faire connaître, a submergé la planète, comme l’ont montré les grandes foires de Miami, New York, Hongkong, Venise et Paris.
2015 restera donc comme l’année du retournement, de l’accélération de ces 10 signaux faibles. Pour le meilleur ? Pour le pire ? 2016 le dira.
par Jacques Attali