Il ne pense qu’à ça… ou presque. Depuis le retour sur la scène publique de son prédécesseur, le président français le scrute et lui répond parfois. L’affrontement se déroule sur le terrain de la politique et aussi, bien sûr, sur celui des affaires. En face, le battu de 2012, persuadé d’être la victime d’un » cabinet noir « , prépare déjà sa revanche.
L’amour du foot ne peut pas tout expliquer. Le 7 novembre, le chef de l’Etat français décide de se rendre à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis, au nord-est de Paris), pour un match de National (l’équivalent en France de la troisième division !) entre le Red Star et Strasbourg. Les CRS prennent position en fin d’après-midi. Un dispositif costaud se met en place, qui s’étend de la porte de Clignancourt jusqu’au stade Bauer, enceinte mythique des années 1930, coincée entre des HLM, un cimetière et le périphérique parisien. N’y cherchez pas de loges présidentielles. Ici, les gradins sont en béton, la toiture d’antan a un parfum de Front populaire. Les joueurs, qui ne sont pas des anciens du Barça, viennent saluer les grappes de supporteurs blanc et vert. Cette authenticité – l’entrée coûte de 5 à 10 euros -, c’est l’image qui a intéressé les conseillers du chef de l’Etat. Ils lui ont suggéré d’aller faire un tour, discrètement, dans le 93, au lendemain de son émission Face aux Français.
Le PSG ou le Red Star : à chacun ses tribunes, à chacun sa tribune
Le président français a décidé de truffer la seconde partie de son quinquennat de visites de terrain surprises, médiatisées après coup, pour valoriser son sens du contact et sa bonhomie – ses points forts. Un club qui tente de remonter dans l’élite : beau message subliminal ! Mais c’est surtout une autre compétition qui a convaincu le président – avant que le projet soit différé, les services de sécurité alertant de la présence de supporteurs d’extrême droite venus d’Alsace en autocar. » Nicolas Sarkozy se montre au Parc des princes, au milieu des stars qui soutiennent le PSG. Hollande, lui, choisit le Red Star « , décrypte un habitué de l’Elysée. A chacun ses tribunes, à chacun sa tribune. Le bling-bling, l’opulence qatarienne et les people d’un côté ; les vendeurs de merguez et les stands de frites de l’autre.
Des frites ? Début novembre, Le Vif/L’Express et Le Canard enchaîné publient des extraits de Ça reste entre nous, hein ?, de Nathalie Schuck et Frédéric Gerschel (Flammarion). Dans ce livre sont rapportés des propos de Nicolas Sarkozy sur son successeur : » Il est mal fagoté. Il mange des frites. Quand on fait un métier public, il faut faire attention. » Dès le lendemain, le président réplique sur TF 1 en évoquant de lui-même la petite phrase : » On me reproche même de manger des frites. Mais quelle est cette conception ? » En 2012, pendant la campagne, François Hollande s’en était tenu à une grande maîtrise de lui-même. C’est le sortant qui, fidèle à son caractère tout en pugnacité et en réactions épidermiques, semblait le plus obsédé par son adversaire. Est-ce la fatigue du pouvoir ? Une forme de fébrilité ? Aujourd’hui, François Hollande a rejoint son prédécesseur sur ce terrain. Il cite certes peu Nicolas Sarkozy nommément, mais son déplacement à Florange, le 24 novembre, auprès des ouvriers d’ArcelorMittal est une nouvelle illustration de sa volonté d’agir en fonction de son prédécesseur.
Y penser toujours, n’en parler jamais. Les allusions sont de plus en plus omniprésentes ces dernières semaines. Pendant le week-end des 15 et 16 novembre, les allers- retours sont même permanents, qu’il s’agisse de la livraison des Mistral à la Russie ou du mariage homosexuel. Attaqué tous azimuts, le chef de l’Etat, qui se trouve alors au G 20 en Australie, commence toujours par renvoyer Nicolas Sarkozy à son statut de candidat à la présidence de l’UMP : » Je ne vais pas polémiquer avec un candidat à une élection partisane et qui se laisse forcément aller à des facilités qui n’ont pas cours ici. »
Et que dire des lapsus… Celui du 14 juillet, bien sûr : réagissant à la mise en examen de son prédécesseur, il déclare : » Chacun doit avoir la certitude qu’il est prisonnier, euh présumé innocent, avant d’avoir été condamné. »
En parler le moins possible, donc, mais y penser toujours. » Il y a deux sujets que Hollande ne veut jamais évoquer, raconte un visiteur du soir. C’est le retour de Nicolas Sarkozy et les ambitions de Manuel Valls. » Le président, d’un naturel bavard, sait alors faire preuve d’une prudence de Sioux. » Le moindre de ses propos, rapporté dans la presse, provoquerait un tremblement de terre « , justifie la députée de Corrèze (centre de la France) Sophie Dessus, qui fut sa suppléante. Même dans son palais, il se méfie. Les murs ont des yeux (les photos du président avec Julie Gayet publiées par Voici le prouvent), ils ont également des oreilles. Le 8 septembre, une poignée de socialistes, chargés de porter la parole dans les médias, se retrouvent autour du chef de l’Etat pour préparer des argumentaires. De quelle façon réagir au retour imminent dans l’arène politique de Nicolas Sarkozy ? Un participant prend la parole. Il faut ramener le revenant à son passé, à ses échecs ! » Comment peut-il s’exonérer de son bilan ? » renchérit l’élu. Le président français écoute. Sans mot dire. Sans acquiescer, ni réprouver. Il n’est pas plus prolixe quand un conseiller lui transmet une note évoquant le nom de Nicolas Sarkozy. Le document, après avoir été lu, retourne à l’auteur sans le moindre commentaire manuscrit en marge. Et quand l’ancien chef de l’Etat s’exprime sur France 2, le dimanche 21 septembre au soir, François Hollande ne fait pas partie des 8,5 millions de téléspectateurs. Il trinque dans le jardin d’hiver de l’Elysée avec les agents du palais mobilisés pour les Journées du patrimoine, qui viennent de s’achever.
» Il dit du nouveau Sarkozy que c’est le même que l’ancien, mais en pire »
Aucun propos de son prédécesseur ne lui échappe, cependant. Le socialiste veille déjà à engranger des munitions. Il note, par exemple, cette petite phrase du candidat à la présidence de l’UMP dénonçant, en meeting à Paris le 7 novembre, » la façon dont on traite le budget de la Culture « , une » faute » et une » honte « . Le moment venu, il rappellera dans quel état certains chantiers culturels se trouvaient à la fin du quinquennat précédent.
La girouette médiatique a tourné depuis le retour de Nicolas Sarkozy. Enfin, la guérilla des frondeurs ne fait plus les gros titres. La vie politique est à nouveau scandée par les échanges d’amabilités entre la gauche et la droite. François Hollande attendait ce moment et peut dire merci à son adversaire, même si les deux hommes ne parviennent pas à enrayer leur chute dans l’opinion. » Nicolas Sarkozy, c’est son sparring partner, estime un habitué du palais. C’est pour cela que Hollande provoque l’ancien président, mais ne dit pas un mot d’Alain Juppé, dont l’influence sur l’électorat centriste lui pose problème. » Flairant le danger, il a simplement demandé à ses amis de ne pas être trop gentil avec ce dernier.
Le chef de l’Etat est perplexe devant la campagne pour l’UMP de son prédécesseur. » Il dit du nouveau Sarkozy que c’est le même que l’ancien, mais en pire : plus excité, plus erratique « , témoigne un ministre, tandis qu’un autre ajoute : » On a presque envie que Bruno Le Maire (NDLR : ancien ministre de l’Agriculture, candidat à la présidence de l’UMP) gagne ! Pour emmerder Sarkozy. Puis on se reprend et on se dit qu’il vaut mieux que Sarkozy l’emporte. »
François Hollande, que guette souvent un sentiment de supériorité, préfère son prédécesseur à Alain Juppé pour une raison : fort de sa victoire de 2012, il est comme » un joueur de tennis qui a gagné Roland-Garros, commente un proche. Il a déjà remporté une finale contre Sarkozy, il en connaît les failles psychologiques « . C’est son adversaire idéal. Le meilleur repoussoir. Il a reçu des notes montrant que, chaque fois que Nicolas Sarkozy était sorti de son silence pendant sa pseudo-retraite politique, cela avait eu le don de susciter, sur Internet, un hérissement unanime, venu de toutes les composantes de la gauche.
Nicolas Sarkozy sent le soufre, et les nombreuses affaires dans lesquelles il apparaît ne rendent pas l’air plus pur. » Comme par hasard, aucune affaire ne sort sur lui actuellement, c’est bien la preuve que Hollande parie sur son retour comme facteur de division à droite « , avance un proche de Bruno Le Maire. C’est le monde à l’envers. Voilà maintenant que certains à l’UMP… reprochent presque au pouvoir sa discrétion – mais c’est aussi un moyen de l’accuser d’orchestrer le tout.
» Toutes les personnalités susceptibles d’avoir un témoignage à charge sont encouragées à le faire »
Autant dire que, quand un ministre de l’Intérieur rencontre un ex-ministre de l’Intérieur, ils ont de quoi se parler. Il y a quelque temps, Bernard Cazeneuve s’est entretenu, les yeux dans les yeux – comme on ne dit plus dans la politique française – avec Brice Hortefeux : » François Hollande ne s’intéresse pas aux affaires, je peux te le garantir. » Le hic, c’est que le plus sarkozyste des sarkozystes n’en a pas cru un mot. Deux dossiers – parmi d’autres – illustrent, pour les amis de l’ancien président, l’obsession hollandaise sur le terrain des affaires. D’abord, la Libye. De Claude Guéant (ancien secrétaire général de l’Elysée et ancien ministre de l’Intérieur) à Brice Hortefeux, les proches de l’ancien président estiment que » toutes les personnalités susceptibles d’avoir un témoignage à charge sont encouragées à le faire, en échange de facilité administrative « . Mais les mêmes voyaient dans la lenteur de la justice à traiter la plainte pour faux et usage de faux déposée en avril 2012 par Nicolas Sarkozy contre Mediapart – pour la publication d’une note sur un supposé financement libyen de sa campagne de 2007 – une preuve de l’intervention du pouvoir. » Car la justice sait que c’est un faux ! » affirmaient-ils. Or, Mediapart vient de révéler que des experts avaient validé l’authenticité de la signature au bas du document.
La droite pointe aussi l’attitude de l’Elysée en 2013, lorsque des juges, enquêtant sur l’affaire Tapie et sur la fusion des Caisses d’épargne et des Banques populaires, réclament des archives datant du quinquennat précédent… et les obtiennent – c’est cette histoire qui a incité l’hebdomadaire Valeurs actuelles à évoquer un » cabinet noir « . » Les archives appartiennent à ceux qui les créent et elles doivent ensuite être gérées par les Archives nationales « , s’insurge l’ancien secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant. A l’appui de leur démonstration, les sarkozystes citent une circulaire signée… Manuel Valls. Le 25 août 2014, le Premier ministre a fourni à tous les membres de son gouvernement un mode d’emploi pour la gestion des archives, avec cette précision importante : les documents soumis » ne pourront être communiqués à des tiers qu’avec votre accord écrit « . Pour sa défense, l’Elysée brandit l’article 99-3 du Code de procédure pénale : hors » document classifié « , toute archive pas encore transférée doit être remise au juge. C’est à cette occasion que la présidence découvre un fichier répertoriant toutes les entrées à la loge depuis plusieurs années – il a depuis été mis en conformité avec les exigences de la Cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés).
Aux accusations de manipulation, les proches de François Hollande répondent donc : respect des procédures. » Il regarde la matière judiciaire de loin, avec circonspection « , souligne son ami l’avocat Jean-Pierre Mignard. Mais précaution n’empêche pas, au minimum, information. Le chef de l’Etat français a demandé à son entourage de lui préciser de nouveau l’état d’avancement des différentes procédures judiciaires impliquant Nicolas Sarkozy. Le calendrier des échéances (décisions, appels, procès) est trop confus dans sa tête. Il se plaint d’être pris de court par les rebondissements judiciaires. Il s’interroge aussi sur l’état d’esprit des magistrats. Les deux juges d’instruction (Patricia Simon et Claire Thépaut), qui ont placé Nicolas Sarkozy en garde à vue avant de le déférer dans la nuit, le 1er juillet, ont-elles fait du zèle, oui ou non ? Par SMS, il sonde des juristes sur le bien-fondé de cette mesure.
Un » cabinet noir » ? Un proche collaborateur en serait presque dépité : » Pour qu’il y ait un cabinet noir, encore faudrait-il qu’il y ait un cabinet. » Les éternelles guerres de clans, les rivalités entre technocrates, le manque de consignes claires de la part du chef, l’absence de hiérarchie pyramidale : l’Elysée de François Hollande est un destroyer privé d’instruments de navigation et peu réactif. Malgré les renforts des derniers mois, il n’est pas encore prêt au combat, alors que Nicolas Sarkozy veut transformer le prochain parti de la droite en machine anti-Hollande (voir en page 58). Le 10 novembre, au plus fort de l’affaire Jouyet-Fillon, la réunion des porte-parole à l’Elysée (avec des représentants du Premier ministre, du PS, du groupe socialiste de l’Assemblée) ne s’est pas tenue : elle a été annulée pour cause de pont. Personne n’a jugé bon de la convoquer alors que le secrétaire général de l’Elysée était l’objet d’un feu nourri de la droite. Le même jour, à quelques centaines de mètres de là, Nicolas Sarkozy a voulu organiser une réunion, avant de constater que la plupart de ses soutiens étaient sur leurs terres. Les plus concernés ne sont pas les moins impatients.
Par Eric Mandonnet et Marcelo Wesfreid